L’Expert indépendant sur la situation des droits de l’homme au Mali, Suliman Baldo, a noté avec satisfaction les avancées significatives qui ont été réalisées pour que l’accord pour la paix et la réconciliation soit mis en œuvre, ainsi que l’arrêt des combats entre les groupes armés.
«Il y a une bonne dynamique dans le sens que le gouvernement et les groupes armés, qui sont signataires de l’accord pour la paix, respectent leurs engagements envers le cessez-le-feu et continuent à être engagés dans de sérieuses négociations pour faire avancer le processus», a déclaré l’Expert au terme de sa sixième visite au Mali, du 21 février au 2 mars. M. Baldo a cependant déploré des retards dans la mise en application des mesures prévues dans l’accord pour renforcer la dévolution de pouvoirs aux instances régionales et locales. Ces retards semblent avoir encouragé certains groupes ayant un intérêt dans la déstabilisation du Mali à intensifier leurs attaques contre les Fama et les forces de la Minusma, occasionnant en même temps des pertes considérables parmi les populations locales.
Aux attaques de ces groupes extrémistes violents, dits «jihadistes», dont les combattants sont souvent des étrangers, s’ajoutent les risques locaux grandissants de violence intercommunautaire. On note aussi des agressions contre la circulation des personnes et des biens civils et humanitaires attribués à des narcotrafiquants et autres bandits armés. «Des sources fiables m’ont rapporté que des individus ont été agressés et volés, alors qu’ils empruntaient des transports publics, et des enfants ont été tués ou blessés par des engins explosifs improvisés», a-t-il indiqué.
M. Baldo s’est alarmé du fait que très peu d’endroits dans les zones du Nord et du Centre du Mali ont été sécurisés jusqu’à présent, malgré la signature de l’accord pour la paix, depuis bientôt un an. «Je me suis rendu à Mopti, dans le centre du Mali, et j’ai été attristé par les informations faisant état de graves violations et d’abus des droits de l’homme que subi la population, du fait de jeunes gens radicalisés et armés. Ces derniers agissent contre les représentants de l’Etat, y compris les enseignants et les écoles, et contre les chefs traditionnels qui s’opposeraient à leur idéologie», a ajouté l’Expert indépendant.
Dans les opérations militaires menées par les forces de l’ordre et les forces internationales pour neutraliser de tels groupes, des dérapages continuent d’exister. On a ainsi relevé que des personnes interpellées ont subi des mauvais traitements et le non-respect de leurs droits à des procédures judiciaires rapides. Des détentions au-delà des délais légaux existent trop souvent.
Dans certains cas, il est rapporté que les Fama avaient procédé à des représailles contre les populations locales, suite aux attaques contre leurs forces. «L’insécurité qui règne, en particulier dans le Centre et le Nord du Mali, prive les populations de la jouissance des droits de l’homme qui leur sont chers, et entrave la reprise des services de l’Etat. L’insécurité et l’absence ou l’insuffisance des services sociaux de base continuent à entraver le retour des réfugiés et des personnes déplacées qui veulent regagner leur communauté dans les zones affectées par le conflit. Cette situation souligne la nécessité de passer à une vitesse supérieure dans la mise en œuvre de l’accord pour la paix et la réconciliation», a-t-il noté.
«Il est la responsabilité primaire des signataires de cet accord de procéder à une accélération dans le processus de paix. Ceci est nécessaire pour assurer le plein respect des droits de l’homme, notamment la protection des civils et le retour de services de base et des forces de l’ordre public, particulièrement dans le centre et le nord du pays», a ajouté M. Baldo. «La situation sécuritaire au Mali nécessite une réponse robuste et décisive de la part du Mali, des pays de la région et de la communauté internationale. Sinon, la situation des droits de l’homme ne va pas s’améliorer comme il se doit et les populations du centre et du nord vivront dans l’insécurité physique et alimentaire», a déclaré l’Expert indépendant.
Quant aux mesures que le gouvernement malien avait déployées pour lutter contre l’impunité pour les crimes graves commis dans le contexte de la crise depuis 2012 et jusqu’à présent, l’Expert indépendant a noté avec préoccupation que de nombreux dossiers n’avancent toujours pas. Seules les affaires des bérets rouges disparus et la répression du contre-coup d’Etat, qui remontent à l’année 2012, semblent avancer. «Il ne faut absolument pas laisser un climat d’impunité s’installer», a-t-il insisté.
M. Baldo s’est en outre félicité du fait que le Mali s’est engagé sur la voie de la justice transitionnelle à travers l’établissement de la Commission Justice-Vérité-Réconciliation. Il a indiqué que beaucoup de travail a été fait jusqu’ici dans le domaine de la sensibilisation et de l’engagement pour la création des antennes régionales pour la Commission Vérité-Justice-Réconciliation.
«L’élargissement de la composition de la Commission de 15 à 25 commissaires, récemment décrété, devra observer les normes de bonnes pratiques, y compris de transparence et de participation dans l’identification de nouveaux candidats», a observé l’expert de l’Onu.
Au cours de sa visite, M. Baldo a rencontré des membres du gouvernement malien ; des représentants de la société civile, y compris des associations de victimes ; des représentants des mouvements armés signataires de l’accord pour la paix ainsi que des membres du corps diplomatique et de l’Onu.
L’Expert indépendant présentera un rapport sur la situation des droits de l’homme au Mali au Conseil des droits de l’homme le 22 mars 2016.
BAMAKO/GENEVE (2 mars 2016)