Déjà trente-cinq jours que la presse malienne est sans nouvelles du journaliste Birama Touré dit Bruno, Reporter au journal d’investigation «Le Sphinx», mystérieusement disparu le 29 janvier dernier. Des enquêtes aux opérations de recherches policières, aucun indice ne circule sur une éventuelle découverte de l’intéressé, quand bien même que ses confrères veulent croire qu’il est toujours en vie. Pour en savoir davantage, nous avons approché le président du Comité de soutien au journaliste disparu, Kassim Traoré. Interview.
Afribone : La presse malienne est sans nouvelle du journaliste Birama Touré, disparu le 29 janvier dernier. À l’heure actuelle, quelle information concrète a-t-on le concernant ?
Kassim Traoré : Nous savons simplement que notre confrère Birama Touré a disparu depuis plus d’un mois maintenant. J’avoue qu’à l’instant où je vous parle, (1er mars 2016, date de la réalisation de cette interview, [Ndlr]), nous n’avons aucune information le concernant. La preuve, ceux qui sont même à sa recherche, n’ont pas encore donné de détail par rapport à l’opération de recherche. La police est là-dessus ; la sécurité d’Etat a délégué deux éléments pour sa recherche. En plus de la procédure normale qui est l’ouverture d’une enquête au niveau du tribunal de la commune II, nous avons aussi engagé un avocat, en la personne de Me Mamadou Konaté, qui mène un travail de recherche sur le plan judiciaire. De tous ces procédés, nous n’avons aucune information. Seulement, on espère que Birama serait en vie, jusqu’à preuve du contraire.
Votre espoir est-il fondé sur le seul fait qu’il n’y a pas d’information portant sur un éventuel décès ?
C’est un espoir, dans la mesure où ceux qui sont à sa recherche, n’ont pas découvert de corps, ni même appréhendé de bandits des suites de scène macabre, de sa disparition à nos jours. La recherche continue et on espère qu’on aura de très bonnes nouvelles, le plus vite possible.
Beaucoup de rumeurs circulent. Je pense notamment à la présumée découverte d’un corps sans vie ou encore des articles qui pourraient expliquer sa disparition. Pouvez-vous nous fournir une explication plausible afin d’extraire la bonne graine de l’ivraie dans ces informations ?
Primo, Birama n’est pas le journaliste qui a écrit des articles fâcheux contre le régime en place. C’est vrai, le journal dans lequel il travaille, «Le Sphinx», est connu pour sa ligne éditoriale, un journal d’investigation. Ce n’est pas également Birama Touré qui a dénoncé ce que tout le monde appelle "l’affaire d’achat d’avion par Karim Keïta", le fils du président de la République. De nature, l’investigation n’est pas le domaine de prédilection de Birama Touré. Il s’occupe des informations relatives aux faits divers recueillis à partir des commissariats. Donc, on ne peut pas dire que c’est l’honorable Karim Keïta qui serait à la base de sa disparition, et qui l’aurait kidnappé et assassiné. Nous nous portons en faux contre cela, parce que même la sécurité d’Etat, qui est censée avoir des informations fiables, travaille avec nous. Nous l’avons cherché partout en tant que vivant : on est parti dans les commissariats, les hôpitaux, les prisons… Nous l’avons aussi cherché en tant que mort en nous rendant dans les morgues.
Secundo : ce présumé corps sans vie qui aurait été découvert à Baguinéda. En tant que journalistes, nous avons mené des investigations et nous nous sommes rendu compte qu’aucun corps n’a été découvert dans ce village, à plus forte raison qu’il soit celui de notre confrère ! Cette rumeur est partie d’un organe de la place que je ne vais pas citer, en raison de la confraternité. Mais j’avoue que quand on a été à la brigade de Baguinéda, les gendarmes nous ont dit que nous leur apprenons une telle nouvelle ; d’où leur étonnement. Au-delà, les autorités locales, alertées par nos soins, ont tenu les mêmes propos. Et si un corps avait été découvert, la population de Baguinéda nous aurait avertis. Comment peut-on publier une telle information qui soit ignorée de la population de Baguinéda ? À ce stade, nous admettons qu’il n’y pas de corps découvert à Baguinéda qui soit celui de notre confrère.
Justement, quel est le degré d’implication de l’Etat dans ces opérations de recherche ? Pensez-vous que les autorités sont vraiment volontaristes dans cette opération de recherche ?
Au début, j’étais confiant. On pensait qu’avec l’arsenal dont dispose la sécurité d’Etat, nous n’allions pas dépasser une semaine pour les recherches. Mais, avec le temps qui passe [Ndrl : un mois déjà écoulé], nous nous interrogeons sur l’efficacité des recherches. Cela a créé des suspicions. Je pense qu’il serait mieux que l’Etat intensifie la recherche au niveau de ses relations internationales, c’est-à-dire, voir s’il ne se trouve plus sur le territoire malien. Parce qu’au stade où nous sommes, plus ça tarde, plus il y aura de la place pour les rumeurs et les mauvaises informations. Chose que nous ne souhaitons nullement. Nous demandons à ceux qui sont sur ce dossier de nous donner les premières informations. Parce que tant qu’on ne dira pas quelque chose de concret à la population, les gens créeront eux-mêmes leurs propres informations. Même si l’information semble minime ou insignifiante, que les autorités nous la communiquent pour qu’on puisse la porter à la connaissance du public. En tout cas, jusqu’à preuve du contraire, nous leur faisons confiance. Le Premier ministre même a rencontré le président de la Maison de la presse. Il a demandé au ministre de la Sécurité et son homologue de la Communication de nous aider dans nos recherches.
Je présume donc que le Comité de soutien, que vous présidez, n’est pas assez associé aux informations sur l’opération de recherche des officiels. Pourquoi ?
Nous ne sommes pas habilités à accompagner, sur le terrain, les éléments de la sécurité d’Etat, ou de la police dans leurs opérations de recherche. Ils font leur travail librement. Mais la responsabilité leur incombe de nous dire, un mois après, ce qu’ils ont pu obtenir comme éléments d’information. C’est après qu’il reviendra à nous, journalistes, d’informer l’opinion nationale et internationale. C’est ce que nous leur demandons. Sinon, nous ne pouvons pas nous substituer à eux. Que ce soit Birama ou un autre, s’il y a un problème dans le pays, les journalistes font tous les jours leurs recherches.
Un avocat a été commis par vos soins. Peut-on savoir si une plainte à été déjà déposée ? Si oui, quel en est l’objet ?
Pour le moment, il n’y a pas de plainte parce qu’une enquête est ouverte. Nous avons commis un avocat avec qui nous devons nous entretenir en fin de semaine. Il nous fera le point de la situation. C’est à partir de cela que nous pouvons envisager la possibilité de porter plainte. L’avocat fait ses démarches et il nous rend compte régulièrement des éléments dont il dispose.
Avez-vous espoir qu’une suite heureuse sortirait de cette opération ?
Je suis croyant. Je prie Dieu pour qu’on le retrouve. Je l’implore de mettre la lumière sur cette affaire très rapidement, même s’il n’est pas au Mali. Si Birama même m’entend, je lui demande de nous faire signe, ne serait-ce dire : «Je ne suis plus au Mali pour telle ou telle raison». Cela permettra aux gens de se tenir tranquilles parce qu’aujourd’hui, beaucoup de rumeurs sont colportées. S’il y a des problèmes, nous le prions de se signaler pour que l’on cherche ensemble la solution... En tout cas, Birama n’est pas mort. Cela demeure ma conviction personnelle.
Propos recueillis par Seydou COULIBALY d’Afribone