Alors que la plainte du Bloc d’intervention populaire et pacifique pour la réunification entière du Mali (Biprem) contre le Président IBK pour «haute trahison » fait encore la Une de l’actualité nationale, nous avons approché un spécialiste du Droit, en l’occurrence Me Baber Gano. Dans cette interview, l’Avocat rappelle, à la lumière de la Constitution du 25 février 1992, les circonstances dans lesquelles la notion de haute trahison peut être retenue. Mieux, il explique la procédure suivie devant la Haute cour de justice ainsi que les sanctions judiciaires auxquelles s’expose désormais le Biprem, entre autres.
Le Prétoire : La semaine dernière, le Biprem a affirmé avoir déposé une plainte contre le Président IBK pour «haute trahison». Quelle lecture en faites-vous ?
Me Baber Gano: Nous avons été stupéfaits d’apprendre qu’une association s’appelant Biprem, une association de cette qualité, se donne le droit d’attaquer une institution de la République. Notamment celle du Président de la République par une plainte qui semblait être déposée à la Haute cour de justice pour haute trahison. Je voudrais d’abord déplorer deux choses, car il y a eu un incident de procédure dans la gestion de cette plainte au niveau de la Haute cour de justice. Premièrement, je pense que la Haute cour de justice est une Institution de la République. Elle fonctionne avec des hommes et des femmes qui ont une carrière administrative et judiciaire, dont on ne peut douter des compétences. Cette institution est d’ailleurs à l’honneur du Président Ibrahim Boubacar Keïta qui l’a activée. Il l’a fait fonctionner conformément à sa vision de prendre la fonction du Président de la République comme étant une fonction de citoyen qui n’est pas supérieur aux autres et que personne n’est au-dessus de la loi. En mettant en place la Haute cour de justice, les règles de fonctionnement ont été définies par la loi n°97-01 du 13 janvier 1997 portant l’organisation et les règles de fonctionnement de la Haute cour de justice. Je suis stupéfait de voir que la Haute cour de justice, malgré toute la présomption de compétence et d’administration bien outillée qu’on lui accorde, se saisisse d’un document qui n’était pas destiné à elle. Cette plainte est un document qui n’a aucune référence à une autorité. C’est un document sur lequel il est écrit plainte, mais le destinataire n’est pas connu. Donc, quand vous êtes une administration vigilante, avant de recevoir un document, le minimum est de vérifier s’il vous est réellement destiné. Malheureusement, cette vigilance a manqué au secrétariat de la Haute cour de justice qui a reçu et apposé son cachet sur un document qui n’était pas destiné à cette institution. C’est un incident de procédure. Je demande au secrétaire général de la Haute cour de justice de donner des explications claires à l’opinion nationale et internationale. Car, il a fallu que son administration reçoive la plainte pour que la presse s’en serve et en fasse ses choux gras.
C’est là où je vais en venir à ma deuxième déception du traitement de ce document. La presse, sachant bien que le document de cette association n’est pas régulier, parce que n’étant pas adressé à la Haute cour de justice, l’a relayé comme si c’était une affaire sérieuse qui a été portée devant la Haute cour de justice. Cela est également un incident que j’ai déploré, parce que la presse aussi doit être professionnelle. On ne se saisit pas d’un document comme ça, alors qu’on sait que le document n’est pas pertinent pour faire tout de suite un commentaire national et international.
Pour revenir à votre question, je dirais que cette plainte est fallacieuse. Elle est sans fondement juridique. Elle a été devant une institution, outre celle qui devrait la recevoir. En plus, elle a été déposée par des personnes qui n’ont aucune qualité pour agir comme elles l’ont fait. Parce qu’il y a une faute de la Haute cour de justice pour que les plaignants se prennent au sérieux pour penser qu’ils ont réellement déposé une plainte alors qu’il n’en est rien du tout.
Dans leur requête, les plaignants accusent le Président de la République de haute trahison. Dans quelles circonstances juridiques la notion de haute trahison doit-elle être retenue ?
Ils ne savent pas ce qu’ils disent. La haute trahison a été prévue par la Constitution de la République du Mali pour mettre en accusation le Président de la République ou les ministres lorsqu’il est susceptible d’être engagées contre eux des procédures de crime et de délit. En ce qui concerne le Président de la République, pour entrer en fonction, il prête un serment prévu par l’article 37 de la Constitution. Ce serment est clair. Il est libellé ainsi qu’il suit: «Je jure devant Dieu et le peuple malien de préserver en toute fidélité le régime républicain, de respecter et de faire respecter la Constitution et la Loi, de remplir mes fonctions dans l’intérêt supérieur du peuple, de préserver les acquis démocratiques, de garantir l’unité nationale, l’indépendance de la patrie et l‘intégrité du territoire national.
Je m’engage solennellement et sur l’honneur à mettre tout en œuvre pour la réalisation de l’unité africaine». Alors, le Président de la République ne peut être accusé de Haute trahison que lorsqu’il aura commis un parjure, autrement dit lorsqu’il a violé ce serment qu’il a tenu devant le peuple malien. Ce n’est que dans ce cas précis que si le Président de la République agit contrairement à cet engagement pris devant le peuple malien qu’on peut le mettre en accusation pour haute trahison. La définition de la haute trahison ne peut résulter que du serment que le Président de la République prête en entrant en fonction.
Pouvez-vous nous parler un peu de la procédure suivie devant la Haute cour de justice ? Qui a qualité à saisir cette Cour ?
Je suis heureux que vous me posiez cette question. L’article 95 de la Constitution prévoit la création de la Haute cour de justice. La mise en accusation du Président de la République est votée par scrutin public à la majorité des 2/3 des députés composant l’Assemblée nationale lorsque celle-ci est saisie par son Président.
La loi qui définit la Haute cour de justice est la loi n°97-o1 du 13 janvier 1997. Elle dit dans son article 15 que la mise en accusation du Président de la République ou d’un ministre dans l’exercice de ses fonctions est faite après une saisine du Président de l’Assemblée nationale. Ce dernier, lorsqu’il est informé que le Président de la République ou un ministre, dans l’exercice de ses fonctions, a commis un délit ou un crime, introduit la saisine en demandant à l’Assemblée nationale de créer une commission composée de députés, sans les membres de la Haute cour de justice. Et demande à ces députés d’examiner la plainte et à la majorité des 2/3 des députés, on vote une résolution. La résolution est un acte pris par l’Assemblée nationale qui renvoie le Président de la République ou un ministre devant le Procureur général près la Cour suprême. L’avis de cette résolution est donné à la Haute cour de justice qui n’est pas une institution d’introduction d’une instance. On ne va pas à la Haute cour de justice pour introduire une instance. Elle n’est informée que de l’avis pris par le Président de l’Assemblée nationale de la résolution qui doit mettre en route l’accusation du Président de la République ou d’un ministre. Et cette résolution est transmise au Procureur général. Dès que ce dernier reçoit la résolution, dans les 24 heures qui suivent, il désigne un magistrat instructeur à qui on confie le dossier. Ce n’est qu’en fonction de cela que le magistrat instructeur met l’accusation déférée devant lui et commence à interroger les personnes mises en cause pour les entendre sur les faits de l’accusation. Donc, la procédure étant décrite comme ça, le Biprem qui n’a pas nommément adressé sa plainte à la Haute cour de justice, qui, malheureusement, par maladresse, l’a reçue. Le Biprem est allé déposer un document qu’il appelle plainte au niveau de la Haute cour qui n’est pas une instance d’introduction de plainte. C’est la première irrégularité. La deuxième irrégularité, c’est que le Biprem est une association dont la vocation doit être vérifiée, parce qu’une association n’a pas pour vocation d’attaquer un Président de la République. Les associations sont créées pour une vocation que la loi leur confère. C’est le Procureur général près la Cour suprême qui, s’il est informé, c’est l’action publique qui est déclenchée par le Procureur de la République, le magistrat instructeur pour tout fonctionnaire ayant qualité pour le faire. Le Biprem ne peut pas se donner la qualité d’une autorité de poursuite en République du Mali alors qu’elle a été créée pour être une association d’animation d’un secteur bien défini.
S’il est vrai que le Biprem s’est arrogé le droit de saisir la Haute cour de justice, cette association encourt-elle donc des sanctions judiciaires ?
Evidemment ! Mais ça dépend du Président de la République dont la dignité et l’honneur ont été trainés dans la boue. Parce qu’ils ont tenté de ternir son image. Donc, c’est à lui de porter l’action personnelle contre le Biprem. Premièrement, il peut attaquer cette association en dénonciation calomnieuse parce que les faits révélés dans la plainte ne sont pas des faits qui sont juridiquement vérifiables et ne sont assis sur aucune preuve. Deuxièmement, ces faits ont été relayés dans les journaux. Ce qui constitue un délit de presse. Donc, il peut attaquer en diffamation et en calomnie cette association qui l’a vilipendé, qui a souillé son honneur et qui a porté atteinte à sa dignité. Parce qu’on parle des faits aggravants, de détournement, entre autres. Ils invoquent dans le dossier des présumés détournement dans l’achat de l’avion, d’équipements militaires, de l’engrais frelaté ainsi de suite. Ce n’est pas le Président qui a géré l’achat de l’avion. Ce n’est pas lui non plus qui a passé les marchés des engrais. Le Président n’est pas ministre. Ce sont les départements de l’Etat qui ont géré ces dossiers.
Ce n’est pas sa personne qui est en cause. Et il n’y a aucun rapport; ni du Vérificateur général ni de quelque autre institution de contrôle qui a dit que c’est le Président de la République qui est à la base de ces présumés détournements. Donc, le Président de la République peut personnellement porter une action en justice contre le Biprem. A sa place, j’allais aller jusqu’à la dissolution de cette association. Car, si l’association se permet d’aller au delà de sa vocation, il faut vérifier d’abord si elle a un récépissé. Il faut vérifier également qu’est-ce que le récépissé lui donne comme autorisation d’exercer dans l’environnement national. Donc, le Président de la République peut attaquer cette association devant le tribunal pénal pour demander que la dénonciation calomnieuse dont il a été objet soit prouvée. Et que ces gens-là encourent des peines qui conviennent. Car ce dossier a pu atteindre des proportions jamais égalées. Car toute la presse nationale et internationale s’en est servi.
En votre qualité d’avocat du parti présidentiel, avez-vous vent d’une éventuelle plainte du Président de la République contre cette association ?
Je n’ai aucune information relative à une action que le Président serait en train de porter contre cette association. Je n’ai pas été commis pour porter une plainte, je n’ai pas non plus connaissance que le président ait commis un avocat ou qui que ce soit pour défendre ses intérêts en attaquant cette association.
Quel enseignement faut-il tirer de cette plainte, même s’il est vrai qu’elle a été rejetée ?
Je pense qu’il faut former nos institutions, et les inviter à plus de professionnalisme. Parce que la Haute cour de justice, à l’entame de son exercice, commence par des erreurs. Je crois que c’est de façon irrégulière qu’elle a reçu ce document que le Biprem appelle plainte. Il faut qu’elle se professionnalise et qu’elle ne se prenne pas à la légère. Aussi, je pense que la presse ne doit pas être à la solde de quelques mouvements ou quelques réseaux que ce soit. Elle doit être professionnelle. Lorsqu’elle est informée d’une action de cette envergure, elle doit d’abord s’en convaincre. Elle doit se donner les moyens de comprendre avant de se porter complice d’une action dont elle n’est pas auteure. Parce qu’elle a relayé cette information et que les gens ont pris au sérieux cette association en pensant que le Président de la République a commis une infraction alors qu’il n’en est rien du tout.
Je pense que nous sommes à une phase critique de l’exercice du pouvoir au regard de la situation critique dans laquelle le Mali a été plongé il y a quelques années. Nous devons faire bloc derrière le Président de la République afin d’ouvrir la page de l’émergence du Mali. Que chacun sache que nous avons besoin d’autres choses que de nous distraire. L’essentiel c’est de pouvoir sortir le Mali de sa léthargie actuelle. Partant, j’invite tous : la presse privée et publique, acteurs politiques et mouvements associatifs à aller dans le sens de la construction, tout en tournant la page de la distraction et des manigances de bas étage.
Interview réalisée par Oumar KONATE et
Bakary SOGODOGO