Cela fait déjà dix ans (7 mars 2006- 7 mars 2016 !) que la légende du blues s’est éteinte, que la culture malienne a perdu un porte étendard. Une décennie qu’Ali Ibrahim Touré alias Ali Farka Touré a sevré les mélomanes du monde de son imposante et agréable présence physique, mais pas de sa virtuosité. Mais, c’est comme si le «Paysan-bluesman» n’avait pas quitté ce monde tant sa notoriété est intacte dans le showbiz international. En plus d’un fabuleux répertoire, ce sont des héritiers qui perpétuent de nos jours la mémoire d’une star altruiste qui voulait qu’on garde de lui le souvenir d’un paysan attaché à la terre et non d’une vedette planétaire du blues.
Chauffeur, auteur-compositeur, paysan, maire et respecté comme l’une des figures musicales les plus importantes d’Afrique, Ali Farka aimait la vie. Même s’il a toujours été conscient de son destin de mortel. «L’homme n’est rien», nous répétait-il souvent dans nos moments de causerie à bâtons rompus.
L’ayant côtoyé aussi bien à Mali K7 Sa que dans sa vie d’artiste ainsi qu’en famille où il nous recevait souvent, il nous est difficile d’écrire sur Ali Farka à cause de l’embarras de l’angle à privilégier. Mais, nous ne pouvons non plus nous empêcher de parler d’Ali.
«L’homme n’est rien» ! Parole de sagesse qui avait valeur de leitmotive pour cet atypique auteur-compositeur. C’est sans doute pourquoi le triple Grammy Awards s’est beaucoup investi dans l’accompagnement de la nouvelle génération pour maintenir haut, après lui, le flambeau du Mali dans le showbiz.
Un espace dont il a été sans doute l’un des premiers Africains, avec Toumani Diabaté comme éternel complice voire Salif Kéita, à comprendre et à conquérir avant d’ouvrir la porte à des talents du Mali comme Oumou Sangaré, Bassékou Kouyaté, Afel Bocoum, Samba Touré, Fantani Touré (paix à son âme)…
Sous la direction artistique du maestro Oumar Barou Diallo, Ali Farka Band est toujours très sollicité dans les Festivals de Jazz et de Blues un peu partout dans le monde. C’est un groupe composé des musiciens qui ont fait plus de 2 fois le tour du monde avec Ali Farka Touré. «Ali Farka Touré vit en nous», rappelait Barou Diallo à la veille d’un inoubliable spectacle l’année dernière à l’Institut Français du Mali (Ifm).
Et on doit aussi, entre autres, à la regrettée star le «parrainage» de Rokia Traoré, Prix «Découverte Afrique RFI» en 1997. Sans compter le rôle incontestable jouer par Mali K7 et son Studio Bogolan dans la révélation et la promotion de nombreux talents du pays, donc dans le développement de la musique moderne et traditionnelle malienne.
Une maison de production qui a longtemps marché à perte à cause de la piraterie, mais qu’Ali a porté sur les épaules, avec le très passionné Philippe Berthier, jusqu’à sa mort.
Cet engagement n’est pas surprenant pour celui qui avait l’habitude d’entendre Ali Farka Touré lui rappeler que, «le miel n’est doux dans une seule bouche».
Et pourtant, l’homme était convaincu d’évoluer dans un milieu où la reconnaissance n’est pas monnaie courante et où la jalousie et la rivalité peuvent briser à jamais un talent. Il en était conscient au point de n’avoir rien fait pour encourager la passion de Vieux Farka dont l’encadrement fut plutôt l’affaire de mentors comme Toumani Diabaté, Bassékou, Barou Diallo…
En 1997, Ali Farka ne cachait plus sa volonté de se retirer de la scène définitivement pour se consacrer à l’agriculture dans son village, Niafunké située à 200 km de Tombouctou. «Sur mes papiers, c’est écrit artiste, mais en réalité, je suis cultivateur», nous a-t-il rappelé à l’époque.
Mais, en échangeant avec lui, on comprenait que son projet allait au-delà du cadre de l’agriculture. En effet, Ali était très préoccupé par le chômage des jeunes de sa région qui les contraignait à l’exode voire à l’émigration. Son ambition était d’initier un véritable projet de développement autour des potentialités agro-pastorales de sa terre natale pour mieux occuper ces jeunes ruraux.
D’ailleurs «Niafunké», l’album sorti en 1999, traduit cet attachement à la terre. Avec un blues toujours chatoyant, le «Paysan-bluesman» célèbre les paysans et l’unité nationale, prône l’éducation et la justice et dénonce l’apartheid. Jusqu’à la fin de ses jours, Ali est resté dans l’âme un paysan viscéralement attaché à la terre.
Ce qui ne l’a pas empêché d’être une star du showbiz immortalisée par son fabuleux héritage (albums, documentaires, films…) et de prestigieuses distinctions.
Ainsi, en février 2006, le bluesman a reçu avec Toumani Diabaté, un Grammy Awards pour le meilleur album traditionnel de musique du monde de l’année, grâce à «In the Heart of the Moon».
Ce trophée arriva à Bamako la veille de ses obsèques. En effet, Ali Farka Touré s’est éteint le 7 mars 2006 à l’âge de 67 ans à la suite d’une longue maladie.
Avec Ray Cooder, il avait déjà reçu un Grammy Awards avec «Talking Timbuktu» (1994). Et le 13 février 2011, un autre album enregistré en 2005 avec Toumani Diabaté et intitulé «Ali et Toumani» a remporté le Grammy Awards du «Meilleur album» d’inspiration traditionnelle.
Dix ans après cette éclipse qui a frappé la musique malienne et le blues, l’enfant prodige de Niafunké est plus que jamais adulé et admiré pour son talent, son engagement à défendre l’Afrique comme la racine du blues… ! Aux panthéons du blues, sa notoriété n’a pas pris une ride !
Moussa Bolly