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Art et Culture

Musique - Mali - Boubacar Traoré : "Ma musique est qualifiée de blues, mais je fais de la musique mandingue"
Publié le vendredi 11 mars 2016  |  Le Point




VIDÉO. Il a formé pendant longtemps avec Ali Farka Touré le duo du blues malien. La légende Boubacar Traoré n'en reste pas moins un homme d'une grande simplicité.

Musicien reconnu internationalement, Boubacar Traoré est l'un des pères du nlues malien.
Musicien reconnu internationalement, Boubacar Traoré est l'un des pères du nlues malien. © DR
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Par Hassina Mechaï
Dans la loge où il attend l'heure de son passage sur scène, Boubacar Traoré est serein. Il semble presque étranger au bruissement des techniciens qui agitent la salle encore vide, entre essais sons et lumières. Un peu en retrait, un peu en réserve, l'artiste malien porte comme toujours, vissée sur sa tête, sa casquette plate emblématique : ce soir-là, elle est bleue à carreaux blancs. Sa guitare est posée près de lui, et durant l'entretien, le regard de Boubacar Traoré ne cessera d'y revenir. Pourtant, il se plie volontiers aux questions, sérieux, parfois rieur quand il évoque son frère aîné, son enfance, triste aussi quand il parle de sa défunte épouse et pour finir enflammé quand il s'agira de son pays, le Mali.

Boubacar Traoré est un musicien autodidacte venu relativement tard à la musique. Avant qu'une blessure ne le stoppe, c'est le football qui intéressait le plus l'adolescent vif qu'il était. Il y gagnera d'ailleurs son surnom : Kar-Kar : « J'étais le meilleur footballeur de ma région de Kayes. Karkaré signifie dribbler, casser parce que je marquais vraiment beaucoup de buts », se souvient-il tandis que ses grandes mains miment, presque involontairement, le geste footballistique.

Un frère professeur de guitare
Plus de 50 ans après, il s'amuse encore de ses débuts à la guitare : « Mon grand-frère l'avait étudiée pendant 8 ans à Cuba et l'enseignait. Après ma fracture, vers l'âge de 17 ans, et je me suis mis en tête d'en jouer. Mais mon frère m'interdisait de toucher à la sienne. Je m'exerçais alors quand il n'était pas là, et s'il me surprenait, il se fâchait, mais je continuais quand même. Je progressais bien, et un jour il m'a entendu. Mon frère m'a alors dit : J'ai entendu un accord, qui l'a joué ? J'ai nié évidemment. Il m'a alors dit : C'est dommage, car si cela avait été toi, je t'aurais appris », se souvient Boubacar Traoré, avant de conclure dans un large sourire : « J'ai alors avoué. »

Son frère ne s'était pas trompé devant le talent évident de son cadet qu'il devine à sa simple façon de poser les doigts : « Il m'a dit : Je joue de la guitare avec 10 doigts. Mais toi, tu en joues à la façon mandingue. Si tu continues comme cela, un jour viendra où tout le monde te connaîtra. Je jouais de ma guitare comme d'une kora. Or, la kora a 21 cordes, contre 6 pour la guitare. Je jouais donc sur ces 6 comme s'il y en avait 21, on appelle cela une double-gamme. Nous sommes très peu à pouvoir le faire », précise l'artiste malien, qui, encore une fois, agite ses mains, montrant sur une guitare imaginaire sa façon unique de poser ses accords.

La résurrection après l'oubli
Guitariste prodige, Boubacar Traoré deviendra vite une vedette dans son pays nouvellement indépendant : « J'ai été un des premiers à chanter du twist. Au-delà du Mali, mes chansons étaient écoutées en Haute-Volta [le Burkina Faso actuel, NDLR], le Sénégal, et toute l'Afrique de l'Ouest », rappelle-t-il. Mais trop associé au régime de Modibo Keita, Boubacar Traoré n'est plus programmé sur les ondes au changement de régime opéré par Moussa Traoré en 1968.
S'ensuit une longue absence durant laquelle Boubacar Traoré s'exile en France en 1989 après le décès de son épouse Pierrette. Certains au Mali le croient même mort. Il faudra tout l'acharnement d'un producteur anglais pour que se fasse sa résurrection artistique sous les yeux médusés de son pays qui l'avait depuis longtemps enterré. Suivront l'album Mariama en 1990, Kongo Magni en 2005, Mali Denhou en 2010 et en 2015, Mbalimaou (Mes frères), superbe collaboration avec le joueur de kora Ballaké Sissoko.

La musique de Boubacar Traoré est aisément reconnaissable mais difficilement qualifiable : une voix chaude, des mélodies étirées, comme prenant le rythme calme, serein du fleuve Niger, et une guitare qui structure et scande le tout : « Ma musique a été qualifiée de blues, mais je fais de la musique mandingue. Je compose, invente, c'est mon style à moi. Les mots jazz, blues, rock sont des inventions anglaises, des mots mis sur des musiques différentes. Car chez nous, il y a toute sorte de musiques : Danssa, Bara, Kotèba… Mais si je parle de musique Kotèba à un non-Africain, il ne peut comprendre. Si je lui dis blues, il situera très vite le style en question. Mais on sait que le blues vient de l'Afrique, à travers les esclaves africains vendus en Amérique. Ce chant typiquement africain. Mais je suis quand même fier quand on dit de ma musique que c'est du blues », indique-t-il.

« Je me transformerai en petit oiseau »
Quant aux paroles, chantées en khassonké pour cet originaire de la région de Kayes, elles disent la vie simplement : « Toutes mes chansons sont imprégnées de tristesse et d'amour. J'ai eu beaucoup de soucis, de choses tristes dans ma vie, ma femme est décédée, certains de mes enfants aussi. Ma musique est née de cela. C'est pour ça qu'elle touche les gens, je pense. Même s'ils ne comprennent pas ce que je dis, ils ressentent mes états d'âme. Il me fallait faire de ma tristesse des chansons. »

Mais Boubacar Traoré dit aussi le monde, son pays, dont il sait bien qu'il est en proie à des tensions internes, « mais comme tous les pays désormais », précise-t-il avec force avant d'ajouter : « Les problèmes ne concernent pas que le Mali. C'est dans le monde entier maintenant. Il y a des malentendus partout, en Europe, aux États-Unis. On ne parle que de nous, mais les attentats sont partout. J'ai parlé de cela dans une de mes chansons, Bembalisso, où je dis : Ce monde est mauvais, je me transformerai en grand oiseau. Mais ils ont tué le grand oiseau. Alors j'ai dit : je me transformerai en petit oiseau, mais ils ont attrapé le petit oiseau et l'ont enfermé. Ce monde est celui des morts-vivants désormais, et moi je dis que tout cela ne va pas ».

Mais il se fait tard et Boubacar Traoré regarde sa guitare avec de plus en plus d'insistance. L'heure du concert est proche décidément. Se saisissant de l'instrument, il l'accorde alors tranquillement, méticuleusement tandis que la salle se remplit doucement.
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