DÉCRYPTAGE - Dans le contexte du désengagement en cours de l'Amérique de ses longues guerres extérieures, la négociation du soutien logistique américain à l'opération française au Mali suscite des tiraillements.
Correspondante à Washington
Des avions américains ont commencé le transport de troupes et de matériel de France vers le Mali, en réponse aux demandes de soutien aérien émises par les Français depuis plusieurs jours. Les avions de ravitaillement en vol de l'Hexagone se comptant sur les doigts d'une main, la France va aussi disposer des avions ravitailleurs de l'US Air Force (l'Amérique dispose d'une flotte de quelque 350 avions ravitailleurs), dont elle a un cruel besoin vu le caractère éloigné du théâtre d'opération malien.
Mais derrière ces annonces, présentées à Paris et à Washington comme l'exemple de «l'excellente coopération» militaire et politique qui lie les deux pays, se joue une partie diplomatique un brin plus compliquée entre la France et son grand allié d'outre-atlantique. La réalité est que Paris bute sur la fatigue d'une Amérique qui, après dix ans d'engagement de ses boys dans des pays lointains pour des guerres «antiterroristes» coûteuses en hommes et en dollars, rêve de se replier un temps sur ses frontières, pour s'y consacrer à ses propres défis.
Cette hostilité à s'engager à nouveau sur un terrain aussi incertain que le Mali, où les Américains ont subi récemment de lourds déboires, après avoir formé et encadré une armée malienne dont une partie a finalement organisé un putsch tandis que l'autre ralliait la rébellion islamiste du nord, a été tangible ces derniers jours pendant la négociation qui s'est engagée sur les contours de l'aide que l'Amérique apporterait à l'intervention surprise décidée par la France au Mali. Si une consultation permanente prévaut à tous les niveaux - les présidents Obama et Hollande se sont parlé avant l'envoi des troupes françaises et plusieurs fois depuis - il reste difficile de démêler jusqu'à quel point les Américains vont s'engager et ce qu'ils ont en tête. Mais le savent-ils eux-mêmes?
Une contrepartie financière demandée
Certes, au Pentagone, comme au Département d'État et à la Maison-Blanche, la satisfaction, voire le soulagement que les Français y soient allés et assument, s'exprime. Les Américains restent admiratifs des capacités de l'armée française et fascinés par la rapidité du processus de décision, sans débat public préalable, et concentré à la présidence, qui prévaut à Paris en matière d'intervention. Une situation impensable à Washington où l'exécutif doit passer sous les fourches caudines du Congrès pour décider d'entrer en guerre. «Dans le jeu de cartes de la puissance, notre capacité à intervenir en Afrique est une de nos cartes clé vis-à-vis des Américains», note d'ailleurs une source diplomatique française.
Mais cela n'empêche pas les Américains de traîner les pieds pour assumer leur rôle de soutien. Ainsi les Français ont-ils été très «surpris» selon une source indépendante qui s'est confiée au Figaro, de la manière dont Washington aurait traité leurs demandes de soutien aérien. S'ils ont donné un accord de principe, les États-Unis restent peu coulants sur les modalités exactes de cette aide. Washington a notamment demandé que la France paie pour les avions alloués par l'Amérique, une exigence qui en dit long sur les préoccupations budgétaires du moment. «Une demande sans précédent» en matière de coopération occidentale, nous confie la même source indépendante.
Paris conteste l'existence d'un blocage politique, parlant au contraire d'une négociation technique et d'un débat américano-américain bureaucratique. Outre la question des compensations financières, les Américains ont invoqué des arguments légaux pour expliquer leur réserve, se disant gênés par le fait d'avoir à ravitailler des avions qui seraient destinés à frapper des cibles, car cela les mettrait, expliquent-ils, en situation de «cobelligérance». La France cherche de son côté à s'assurer que le soutien aérien américain sera au rendez-vous si ses troupes se retrouvent en difficulté. Le débat est toujours en cours. Mais selon une source indépendante, l'ambassadeur de France a accentué la pression ce week-end, appelant plusieurs contacts à la Maison-Blanche, dont la conseillère du président Valerie Jarrett et le sénateur John Kerry, pour rappeler l'importance du soutien américain.
Un projet de résolution «de m…»
Dès le début de la crise, les Américains ont apporté une aide immédiate et totale en matière de renseignement à leurs alliés français, notamment grâce à leurs satellites. Mais les observateurs avertis soulignent qu'ils semblent en revanche peu pressés de s'engager plus directement dans un engrenage malien dont ils ne voient pas clairement l'issue. Il y a quelques mois, certains au Pentagone avaient préconisé des frappes de drones sur les intérêts d'al-Qaida au Maghreb islamique. La France, qui connaît bien le terrain et craignait que des frappes spectaculaires n'attirent en terre malienne des hordes de djihadistes (et ne mettent en péril les otages français détenus par Aqmi), les avaient alors freinés, préférant privilégier des missions de contre-terrorisme plus discrètes.
Quand la situation s'est gâtée à l'automne, le gouvernement de François Hollande a en revanche été en première ligne pour accélérer la mise en place d'un dispositif de forces africaines susceptibles de se déployer en tampon entre le nord et le sud, avec pour objectif ultime de rétablir l'intégrité territoriale du Mali. Mais les États-Unis ont alors ralenti le processus, traînant des pieds et jugeant que le projet était mal ficelé et trop précipité. Ils ont préconisé la tenue d'élections préalables à Bamako, aujourd'hui tenu par un gouvernement issu d'un putsch. Les désaccords ont été suffisamment forts pour que l'ambassadeur américain à l'ONU Susan Rice qualifie le projet de résolution française de projet de «m…», avant qu'un vote n'ait finalement lieu fin décembre pour confirmer le droit à l'utilisation de la force et le déploiement futur de troupes africaines.
Une prise de conscience progressive du danger
Aujourd'hui, après la surprise suscitée par la marche forcée des islamistes vers le sud et la décision d'intervention éclair de Paris, le credo actuel américain consiste à affirmer «son soutien» à la France et à encourager le déploiement des forces africaines aussitôt que possible. Les États-Unis promettent aussi d'être très actifs dans la phase 3 d'africanisation du conflit, notamment en matière d'aide financière et de formation. Mais certains observateurs, notamment américains, soulignent qu'en dehors des Tchadiens, rompus à la guerre dans le désert, les autres forces africaines impliquées ne sont pas vraiment préparées à se battre sur le terrain désertique du Nord Mali et auront du mal à prendre la relève des Français.
Une réalité qui pose avec d'autant plus d'acuité la question des forces occidentales susceptibles de venir en renfort, si la situation se gâte ou s'éternise. La spectaculaire prise d'otages en Algérie par les mêmes groupes terroristes islamistes qui agissent au Mali, semble avoir suscité une prise de conscience de certains pays, comme la Grande-Bretagne. La mort de 3 otages américains pourrait potentiellement changer les paramètres de l'équation d'engagement de Washington, supputent certains experts. Mais le sujet est resté pour l'instant relativement absent des télévisions américaines, sans doute en raison des festivités d'investiture.
L'idée que l'Amérique, sous l'effet de la mort de ses compatriotes et de la propagation de l'instabilité, finisse par s'engager dans des opérations secrètes pour frapper Aqmi et ses alliés est théoriquement envisageable. Mais pour l'instant, cela n'apparaît pas dans les cartes, assurent les experts. «Ils ne prennent que progressivement conscience du danger que représente Aqmi, dit une source diplomatique française. Pour eux, le terrorisme, c'est l'Afghanistan, le Pakistan, le Yémen, la Somalie et un peu le Nigeria. Cela fait des années que nous nous efforçons de les sensibiliser à cette problématique sahélienne. Il faut du temps pour faire bouger le paquebot américain, mais cela progresse», ajoute-t-il, sûr que la présence de John Brennan à la tête de la CIA, aidera les intérêts français, car ce expert du contre-terrorisme «connaît très bien le sujet».