SEGOU (Mali) - "Si vous donnez nos noms, on est morts".
Dans son échoppe artisanale, l'un des rares touareg à être restés malgré les menaces à Ségou, ville située à 270 km au nord-est de Bamako, fait mine de se trancher la gorge.
Depuis les revers militaires des islamistes frappés par l'aviation française à partir du 11 janvier, les Touareg et Arabes maliens, souvent assimilés aux "terroristes" par les populations noires qui ont eu à souffrir des exactions des jihadistes, ont à leur tour "beaucoup peur".
La Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH) a même accusé
mercredi des soldats de l'armée malienne d'avoir perpétré "une série
d'exécutions sommaires" dans l'ouest et le centre du Mali et réclame la
création "immédiate" d'une commission d'enquête indépendante.
"Ici, si tu es enturbanné, barbu et que tu portes un boubou touareg, tu es
menacé", affirme l'artisan de Ségou, qui tient échoppe dans une rue qui donne
sur le large fleuve Niger, proche de quelques hôtels pour touristes.
Il a cependant gardé son turban vert, sa barbe et son boubou blanc: "On me
dit d'enlever le turban pour être moins repéré, je dis non", poursuit-il.
En revanche, l'un de ses fils présent dans l'atelier "a préféré raser sa
barbe et enlever le turban pour être tranquille".
"Depuis que la guerre a commencé à Konna, c'est devenu très, très dangereux
pour nous". Konna, ville située plus au nord, avait été prise par les
islamistes au cours d'une offensive surprise qui avait balayé l'armée malienne
peu avant l'intervention française.
Selon l'artisan, "beaucoup, beaucoup de Touareg sont partis" depuis le 11
janvier, en raison de menaces d'exactions et de représailles. Ils ont fui au
Burkina Faso voisin.
Son voisin de boutique, qui porte aussi turban et barbe, acquiesce. "On a
peur de sortir, ils disent qu'on est avec eux, mais non. On est musulmans, pas
terroristes".
Arrivé à Ségou en 1985, depuis Tombouctou, pour "mieux gagner sa vie", il
dit, d'une voix soudain très basse, avoir maintenant des "problèmes de faim".
"Pas d'amalgame"
Depuis des enlèvements d'étrangers en 2011, puis l'offensive en mars 2012
des islamistes qui se sont emparés de tout le Nord du Mali, le tourisme s'est
écroulé, dans l'un des pays les plus pauvres au monde.
Les artisans n'arrivent plus à écouler leurs boites en cuir de dromadaire,
leurs cadres de miroir en bois, leurs bagues d'argent et leurs couteaux.
Pourquoi restent-ils malgré leur peur? Le premier désigne du regard sa
boutique aux piliers de bois plantés dans le sable, le toit en feuilles de
palme tressées: "Si on fuit, on ne retrouvera plus rien, on nous aura tout
pris. Et comment reconstruire, avec quel argent?".
Mais l'artisan touareg avoue: "Je ne vais plus en ville, seulement de la
boutique à chez moi, vite fait".
Et Yakouba, jeune habitant bambara (l'ethnie majoritaire au Mali, noire)
natif de Ségou, confirme: "Oui, tous ceux qui ont une peau un peu blanche sont
menacés, ce n'est pas bien, çà, ils n'osent plus bouger".
Des représentants des communautés arabes et touareg - qui constituent la
majeure partie des membres des groupes islamistes armés - ont tout récemment
fait état de violences.
Le premier adjoint au maire de Segou, Madani Mniang, minimise les craintes
des Touareg. "Il n'y a pas d'exactions contre eux, on a toujours vécu
ensemble, bambara et touareg. Mais il est vrai que, depuis une semaine, porter
le turban en ville est assimilé aux terroristes. On leur conseille de
l'enlever", explique-t-il à l'AFP.
"Il ne faut pas faire l'amalgame", a tenu à dire le chef d'état-major de
l'armée malienne, ajoutant. "Toute peau blanche n'est pas terroriste ou
jihadiste et parmi l'ennemi qui a attaqué nos différentes positions, il y
avait beaucoup de peaux noires".
Mardi à Diabali, un homme à la peau noire, accusé de collaboration avec les
islamistes qui ont occupé la ville la semaine dernière avant de l'abandonner
après des raids aériens de l'armée française, s'est plaint d'avoir été frappé
par des habitants, a constaté un photographe de l'AFP.
Nomades du Sahara d'origine berbère, les Touareg, estimés à un peu plus de
500.000 personnes sur 16 millions de Maliens, sont en rébellion depuis des
décennies contre ce qu'ils considèrent comme la domination des sédentaires
noirs du Sud.