SEGOU (Mali) - Barbe et cheveux blancs en broussaille,
Pedro, Espagnol de 77 ans, ne s`est pas enfui de la ville malienne de Ségou
comme les autres Blancs menacés par les islamistes. "Il faut bien mourir
quelque part", commente-t-il avec sérénité.
Pedro a ses habitudes. Un matin sur deux, il s`installe dans la cour
intérieure d`un hôtel de la ville située à 270 km au nord-est de Bamako, doté
du wifi, pour consulter internet sur un très vieil ordinateur portable qui
semble dater des premières heures de l`informatique.
Un serveur apporte aussitôt un café noir, "voici monsieur Pedro!". Il
allume une cigarette blonde, qu`il fume à la chaîne, lance un programme de
musique classique d`une radio catalane et puis consulte, lentement, El Païs,
Le Monde, le Times.
"Ils sont tous partis, tous les autres Blancs. Je n`ai pas peur, c`est
comme ça", raconte simplement ce Catalan, ancien économiste à Barcelone, qui
parle un bon français d`une voix basse, depuis longtemps à la retraite.
"Ceux qui travaillaient dans des projets de développement, pour les ONG,
les patrons d`hôtels ont quitté, je me suis retrouvé seul blanc, avec les
Africains".
La fuite précipitée des Blancs est intervenue à la suite des menaces des
islamistes qui se sont déclarés prêts à frapper partout au Mali, après le
début de l`offensive militaire française contre leurs positions, dès le 11
janvier.
L`ambassade espagnole à Bamako a bien essayé de lui faire quitter Ségou, à
peine à 100 km au sud de Diabali, prise quelques jours par les jihadistes.
"Ils m`envoyaient des SMS, il faut prendre des précautions monsieur Pedro,
et puis après, il faut quitter!. N`insistez pas, je leur ai dit, je reste".
Arrivé à Segou il y a six ans, Pedro Ros est voyageur depuis longtemps.
"C`est ici ma vie"
"Depuis tout petit, j`avais envie de découvrir l`Afrique. J`ai traversé le
Maroc, le Sahara, la Mauritanie, le Sénégal... jusqu`au Cameroun. Et puis le
Mali, Gao, Tombouctou, l`habituel trajet, et je me suis dit, tiens, ça c`est
un bon pays, c`est ici ma vie".
Il travaille alors pour la Croix-Rouge malienne, sur un projet de
sensibilisation consacré aux mutilations génitales des femmes ("Je ne
connaissais rien de ce problème"), puis se lance dans la construction d`une
école avec une aide de l`Espagne.
"Nous l`avons fait, ca fait deux ans que ça marche, à Mouni, dans la zone
de Bobofing, au sud-est de Segou".
Il est sur un autre projet d`installation d`un moulin à grains, dans un
pays où la population, à 85% rurale, reste très pauvre.
Pedro, à la voix murmurante, semble un peu fatigué. Il n`écrase pas ses
mégots dans le cendrier, il se contente de les déposer...
Il ne retourne plus en Espagne, il n`a plus de famille, si ce n`est un
cousin en Galice, et une cousine aux Etats-Unis.
Sa famille est africaine, à Ségou. "J`ai épousé une Malienne, qui s`appelle
Genevière car elle est chrétienne, nous avons un enfant qui aura bientôt deux
ans, Kim Pedro".
Le serveur lui apporte un petit déjeuner, sans qu`il ait à le commander. On
pose une serviette sur la tasse de café, pour éviter les mouches.
Pedro prend le temps de se raconter, il n`est pas pressé de manger. A 77
ans, il semble avoir tout son temps.
Pour les soins, il va "de temps en temps à l`hôpital, pour un palu". Quant
à ses dents plutôt abîmées, il est vrai que "les dentistes de Ségou ne sont
pas les meilleurs"....
"Je me tiens informé de l`actualité, mais, finalement, je ne comprends rien
à la marche du monde", reconnaît-il. Il ne va plus à Bamako: "c`est de la
folie là-bas, trop de monde".
En location, il a même le projet d`acheter un terrain et faire construire
une maison. Sa retraite espagnole tombe régulièrement, mais il a oublié
comment convertir les francs CFA en Euros.
Après trois heures de lecture en musique, il part retrouver sa famille et
"déjeuner à l`africaine".
Après son départ, un jeune serveur s`exclame: "Ah! Monsieur Pedro, il va
mourir au Mali!"