Le chanteur malien livre son analyse de la crise que traverse son pays. Entre peur, colère et espoir. De passage à Paris, où il entame une tournée pour la sortie de son album « Talé » avec un concert prévu le 6 février à l’Olympia, le chanteur malien Salif Keita livre son analyse de la crise que traverse son pays. Sa peur face aux djihadistes du Nord, sa colère contre la classe politique malienne mais aussi ses espoirs. Interview.
Comment avez-vous accueilli l’intervention militaire française ?
- L’avant-veille de l’intervention française (l’opération a été lancée le 11 janvier, NDLR.), j’étais à Bamako, où je réside, avec la peur au ventre. J’ai vraiment cru que les islamistes allaient nous envahir. Jusque-là, on pensait qu’ils resteraient au Nord, mais quand ils ont pris Konna, on a commencé à avoir vraiment peur. On s’est dit que s’ils prenaient ensuite Mopti, ils pourraient très bien aller jusqu’à Bamako. Pendant ce temps-là, notre classe politique continuait à se faire la guerre pour le bout de terre qui restait. Si la France n’était pas intervenue, on aurait été envahi par les djihadistes. Parce qu’il n’y a pas d’Etat au Mali, il n’y a rien, il n’y a aucune défense possible.
Comment se fait-il qu’il n’y ait, selon vous, plus d’Etat ?
- Je crois qu’à quelque chose malheur est bon, cette crise nous a permis de découvrir à quel point notre démocratie était un mensonge et combien la classe politique était corrompue. C’est le problème fondamental. On a compris que ceux qui nous dirigent n’aiment pas le Mali, qu’ils sont mus seulement par leurs propres intérêts. Le pouvoir en place a créé les conditions pour que les islamistes et les trafiquants s’installent dans notre pays. Ils les ont laissés faire. On sait maintenant qu’il y avait des connexions entre Bamako et les islamistes et narcotrafiquants, des complicités. Nous savons désormais ce que valent tous ces hommes politiques. C’est pour cette raison qu’on ne peut pas accepter qu’ils reviennent au pouvoir. S’ils restent aux commandes, le Mali reprendra un mauvais départ. C’est pour cela que le président de transition, Dioncounda Traoré pose problème.
Que voulez-vous dire par « il pose problème » ?
- C’est vrai que Dioncounda Traoré, en tant que président de l’Assemblée, devait légitimement devenir le président de la transition. C’est la Constitution qui le dit. Mais il fait partie de cette classe politique qui s’est discréditée aux yeux des Maliens. Il est le président de la principale force politique du pays, l’ADEMA, qui fonctionne par clientélisme, qui fonctionne comme une mafia, qui a participé à plonger le pays dans le chaos parce que ses membres ne poursuivent que leurs propres intérêts. Cette classe-là a perdu la confiance du peuple.
Avez-vous cru un jour dans la démocratie malienne ?
- J’y ai cru. Mais depuis l’indépendance, ceux qui ont gouverné ce pays nous ont menti. Ils ont reflété un Etat qui en vérité n’existait pas. Comment un pays peut-il être envahi aussi facilement ? C’est ce qui nous a fait mal. La démocratie en elle-même est une bonne chose, mais, dans le cas du Mali, elle a été utilisée comme un moyen d’exploitation du peuple. Les Maliens sont analphabètes à 80%. Les gens qui votent pour des chemises, des T-shirts, pour 1000 francs ne savent rien de l’immoralité de la classe politique.
Vous comptez donc parmi les partisans du capitaine Sanogo qui a fait le coup d’Etat du 22 mars ?
- Le coup d’Etat en soi n’est pas une bonne chose, mais la situation était telle qu’il était nécessaire. Mais Sanogo n’aurait pas dû laisser les hommes politiques responsables du naufrage de ce pays revenir sur la scène. C’est la Cédéao (l’organisation régionale de l’Afrique de l’Ouest, NDLR) qui le lui a imposé. Il n’aurait pas dû non plus continuer à avoir un rôle politique en coulisse. Il aurait dû prendre modèle sur le Niger : après son coup d’Etat, l’armée a tenu ses promesses en organisant des élections. J’étais d’accord avec le coup d’Etat, mais pas avec son maintien au pouvoir.
Comment voyez-vous l’avenir immédiat ?
- Je veux que la France reste le temps qu’il faudra pour redonner un bon départ politique et militaire à ce pays.
Que faudra-t-il faire pour résoudre la question du Nord ?
- Il ne faut pas discuter avec les Touaregs. Les Touaregs sont minoritaires, ils comptent pour à peine 5% de la population du Nord. Il y a énormément d’argent qui a été versé au Nord pour créer des infrastructures, ils bénéficient de quotas dans l’armée, la fonction publique. Mais ils ne veulent pas être gouvernés par le pouvoir central qui est noir. C’est pour cela qu’ils veulent un Etat indépendant : c’est le fond du problème.
Mais il faudra bien trouver une solution et donc discuter…
- S’ils sont maliens, qu’ils le restent, qu’ils vivent et soient traités comme les autres Maliens. Il est hors de question de privilégier une minorité, qui a en plus réduit en esclavage les Noirs.
Pensez-vous qu’il faudra poser la question du statut de l’islam au Mali ?
- Le Mali est profondément un Etat laïc. Comme la plupart des Maliens, je suis musulman. Mais on aime bien nos féticheurs, nos chrétiens avec qui on a grandi en harmonie. Le Malien est un laïc.
Vous aviez essayé sans succès en 2007 de devenir député. Aujourd’hui, envisagez-vous de nouveau de jouer un rôle politique ?
- Je ne suis pas un politicien. Je fais ce que je sais faire : avec d’autres artistes on a ainsi organisé un concert à Bamako pour le Nord et on a reversé l’argent pour aider les réfugiés. Je crois que le simple fait d’aimer mon pays, de dénoncer et de dire au reste du monde ce qui s’y passe peut être utile. Les atrocités que le Nord a subies, les humiliations, les amputations, les viols, les destructions des mausolées des Saints, c’est impossible de rester silencieux face à ça. Ces islamistes ont détruit la seule source de revenu du Mali, le tourisme. Ils ont achevé de nous mettre à terre.
A qui donnerez-vous votre confiance lorsque les élections seront organisées ?
- Il y a beaucoup de gens honnêtes qui n’ont pas voulu se joindre à cette classe politique qui nous a tant nui. Il y a par exemple IBK (Ibrahim Boubacar Keita, figure politique majeure au Mali, NDLR), il est resté en dehors de tout ça, il s’était fait voler sa victoire en 2007 (IBK avait alors contesté le résultat de l’élection qui avait reconduit le président Amadou Toumani Touré, NDLR), il est très populaire. Mais avant de faire des élections, il faudra que le pays soit sécurisé
Le Nouvel Observateur Paris
Coup de chapeau au Rossignol !
A vrai dire, le Domingo de la musique malienne ne finit jamais de surprendre. Et pour cause, sa sortie dans le Nouvel Observateur » journal Parisien, abonde dans le même sens que nous. Patriote dans l’âme, l’enfant de « Djoliba », a dénoncé la démocratie de façade que nos « experts » en démocratie nous ont arrosé deux décennies durant. Et sans porter de gangs, il a fustigé la « présidence » imposée par la CEDEAO du Pr Dioncounda, le plus impopulaire que notre pays ait connaître. En vrai démocrate, Salif Kéïta a remué le couteau dans la plaie et exprimé son ras-le-bol d’une gestion clanique d’une bande de « patriotes » en passant.