Tentative de justification politique ou aveu de bavure procédurale ? La réaction de l’honorable Président de la Haute Cour de Justice, Abderhamane NIANG, à travers le communiqué de presse n° 001/2016/HCJ-P daté du 11 mars 2016 entretient plus qu’elle ne dissipe l’amalgame. Se noyant dans ses contractions et confusions, le président de l’institution judiciaire chargé de juger le président et les ministres pour haute trahison crée plus de malentendus qu’il n’éclaire l’opinion.
Oubliant que « qui se justifie, s’accuse », et en reniant rien de ce qu’il a dit auparavant à nos confrères de l’AFP (à savoir que la Cour a rejeté la plainte du BIPREM), le président de la Haute Cour de Justice s’enfonce pour finir par tout avouer dans un classement suite qui pose plus de problèmes qu’il n’ait cessé de résoudre.
Sous le numéro d’arrivée N° 0104 du 1er mars 2016, la Cour a bel et bien reçu ce qu’elle a considéré comme une plainte. Et parce qu’elle l’a considéré comme une plainte, elle l’a examiné comme un procureur. Au lieu de répondre au BIPREM en toute civilité qu’elle s’est trompée d’adresse faute de destinateur, la Haute Cour de Justice a choisi de réserver à ce qu’elle appelle tantôt « tract », tantôt « courrier », tantôt « document », tantôt « plainte », une suite : classement sans suite.
C’est dans cette confusion qui fait le lit de la manipulation que l’honorable président de la Haute Cour de Justice, dans son Communiqué N° 001, lance en l’air la grave accusation d’entretenir l’amalgame.
Des manquements suspects
Au lieu d’accuser le BIPREM d’imprécision quant à la date, le numéro d’expédition et le destinateur de son « courrier », la Haute Cour de Justice aurait gagné en crédibilité si elle avait réussi, elle, à donner et à arrêter une seule et unique qualification à ce qu’elle a accepté de réceptionner, le 1er mars dernier.
L’opinion aurait été très à l’aise aussi si l’honorable président de la respectable Haute Cour de Justice avait spécifié la provenance de cet amalgame. Qui a entretenu et qui entretient l’amalgame ? N’est-ce pas l’auguste Haute Cour qui se fourvoie et résume son existence à une administration publique ?
Pour le grand déshonneur de notre pays, faudrait-il objecter à l’honorable président de la Haute Cour de justice, Abderhamane NIANG, que l’Institution qu’il préside n’est pas une administration, mais bel et bien une juridiction. D’essence politique, mais juridiction tout de même.
Par ailleurs, la formulation de la seconde phrase du Communiqué N° 001/2016/HCJ-P du 11 mars 2016 n’entretient-elle pas sciemment l’amalgame sur la question de fond ainsi que sur les notions soulevées si ce n’est une boiteuse tentative de manipuler l’opinion ? Ce qui est en cause, ce n’est pas la réception d’un courrier, la Haute Cour de Justice en a reçu 103 avant cette affaire sans que cela ne soulève la moindre polémique et sans qu’elle n’ait eu à essuyer le moindre grief. Le courage et l’objectivité auraient commandé à l’honorable président Abderhamane NIANG de parler d’amalgame entre « la réception d’un courrier » et la « recevabilité » d’une plainte. Mais au lieu de cela, il forge, pour les besoins de sa justification, un tout nouveau concept, celui de recevabilité du contenu d’un courrier.
Les enfants du Bon Dieu ne sont point des canards sauvages et les Maliens ne sont pas des benêts et des stupides.
Le janotisme
En toute connaissance « des dispositions pertinentes des lois de la République relatives aux procédures suivies devant la Haute Cour de Justice et des textes qui encadrent l’inviolabilité de la fonction présidentielle », la Haute cour de justice ne peut tirer argument et se réfugier derrière l’absence de destinateur pour prétendre avoir réfuté au « courrier » du BIPREM la qualité de plainte. Une qualité que l’honorable président de la Cour, dans son communiqué, finit par reconnaître à ce qu’il avait appelé la semaine dernière « tract ». Le communiqué dit :
« Nulle part dans le texte, il n’a été relevé un quelconque destinataire de la « plainte contre le Président de la République, Ibrahim Boubacar KEITA, pour haute trahison et gestion scandaleuse de l’argent public ».
Comme on le voit, la Cour écrit noir sur blanc, ce qu’elle ne veut ni dire ni reconnaître : que c’est une «Plainte », une plainte qu’elle a réceptionnée et à laquelle elle a donné une suite : classement sans suite.
Les anciens ont fixé les principes dans le marbre et le granite : Nemo auditur propriam turpitudinem allegans («nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude»).
Des incongruités
Le droit par-delà le fond, c’est aussi et surtout la forme. Dès que la forme ne va pas, rien ne va. Aussi, on peut se poser la question du pourquoi une respectable institution comme la Haute cour se sent obligée de réceptionner un document qui ne comporte ni date, ni numéro d’expédition et qui plus ne lui est pas destiné : «il n’est destiné à personne». Or, jusqu’à la fin des temps, la Haute Cour de Justice n’est pas un dépotoir d’immondices, de défections et de vomis sur la première institution de la République et son président ne s’appelle pas « personne ».
Dès lors qu’on se permet de réceptionner un courrier (ni date ni numéro d’expéditeur encore moins destinateur) la bonne tradition administrative, de laquelle Abderhamane NIANG se réclame, voudrait qu’on réponde. La Haute Cour de Justice a-t-elle répondu au « courrier » du BIPREM ? Au lieu d’un communiqué aux allures d’aveu, il fallait répondre à ce qu’elle appelle tantôt « tract », tantôt « courrier ». Et auquel cas, la juridiction chargée de connaître la Haute trahison sous toutes ses coutures, à travers un suprême amalgame, classer « sans suite ».
La pirouette ne peut prospérer, car la langue de Molière et les subtilités juridiques sont désormais accessibles même aux Malinké et aux Soninkés.
Aussi, excepté probablement l’honorable président de la Haute cour de justice du Mali, tout le monde sait que les bons principes et la bonne tradition veulent qu’on réserve : à un courrier une réponse et à une plainte, une suite.
Si dans la langue de Molière « suite » pourrait aussi désigner «réponse » s’agissant d’un courrier ; en aucun cas et sous aucun ciel, le terme «classé sans suite» n’est réservé à un courrier, mais bien à une plainte ou à une requête.
Est-ce donc parce que la Haute cour de justice, se substituant à l’Assemblée nationale, dans sa légitimité et dans ses prérogatives (l’article 95 de la Constitution et les articles 16 et 17 de la loi N° 97-001 du 13 janvier 1997 fixant la composition et les règles de fonctionnement de la Haute Cour de Justice ainsi que la procédure suivie devant elle), et qu’elle considère le «courrier » du BIPREM comme une plainte (sans le reconnaître) qu’elle l’a classé sans suite ?
Le défaut de qualité
Parce que n’ayant pas en l’espèce, l’opportunité des poursuites, la Haute Cour ne pouvait, sans mépris de la légalité, ni recevoir ni classer sans suite ce qu’il appelle « tract » ou « courrier ».
Pour l’honorable gouverne du président de notre Haute Cour de justice, le « classement sans suite » contrairement à l’amalgame qu’il tente d’entretenir n’est ni un principe de base de l’administration publique ni une procédure d’examen par un quelconque service spécialisé. Mais bien une décision de justice. Notamment, celle d’un magistrat du ministère public de ne pas donner suite à une affaire, conformément au principe d’opportunité des poursuites édicté aux articles 3 et 23 du Code de procédure pénale :
-« L’action publique pour l’application des peines est mise en mouvement et exercée par les magistrats ou par les fonctionnaires auxquels elle est confiée par la loi. »
-« La poursuite est intentée à la requête du ministère public du lieu où réside le prévenu ou du lieu où il peut être trouvé. »
L’opportunité des poursuites veut dire en d’autres termes que le procureur peut donner ou refuser de donner suite à une plainte.
S’il refuse de poursuivre, c’est ce qu’on appelle un classement sans suite. Le Ministère public peut en effet choisir le classement sans suite pour plusieurs raisons :
-les faits portés à sa connaissance ne peuvent recevoir de qualification. Il y a absence d’infraction ou l’infraction est insuffisamment caractérisée.
-L’auteur de l’infraction est demeuré inconnu (cas des procédures contre X), le plaignant se désintéresse de l’affaire et le préjudice ou le trouble sont minimes.
En vertu de l’application du principe de l’opportunité des poursuites, le procureur peut estimer que l’affaire n’est pas assez grave pour y donner suite.
Le fourvoiement
Mais que la Haute cour de justice n’est certainement pas à mesure de savoir que le classement sans suite (qu’elle brandit comme un trophée de compétence et de loyauté) n’éteint pas l’affaire.
Non seulement il ne fait pas obstacle à l’exercice direct des poursuites par la victime. La victime peut en effet passer outre la décision du procureur : en portant plainte avec constitution de partie civile ou en saisissant elle-même le tribunal avec une citation directe.
Mais aussi parce qu’il n’a pas l’autorité de la chose jugée, le Parquet peut revenir à tout moment sur la décision et engager des nouvelles poursuites, sauf en cas de prescription ou de décès de l’auteur des faits.
Que la Haute Cour de Justice «informe l’opinion publique que le document déposé à son niveau par l’Association BIPREM a été archivé, depuis le vendredi 04 mars 2016 à 15 h 30 min avec l’annotation « classé sans suite », ne change rien aux faits. Le mal est fait. Le précédent est créé.
C’est pourquoi, Info-Matin, maintient, persiste et signe que ce précédent maladroit ainsi posé est une bavure. Une grosse bavure qui ne peut souffrir d’aucun amalgame.
Par Sambi TOURÉ