La révolution du 26 mars 1991 a suscité d’immenses espoirs de changement et de prospérité chez les Maliens. Mais 25 ans après, on s’interroge sur la nécessité de commémorer une date qui aura presque perdu son essence. Les idéaux du 26 mars 1991 ne sont plus qu’un lointain souvenir. Les progrès politique, économique et social, tant espérés, laissent toujours à désirer.
Après mars 1991, la jeunesse malienne, qui s’est sacrifiée pour la révolution, espérait des lendemains meilleurs. L’école devrait offrir de meilleures opportunités d’épanouissement aux jeunes. On voulait une amélioration constante des conditions de vie et de travail de nos compatriotes, une armée républicaine et une classe politique sans reproche. La lutte contre la corruption, le renforcement de la démocratie, l’émancipation des femmes, le développement des infrastructures sont, entre autres, des grands projets, qui faisaient rêver chaque malien, de l’intérieur et de la diaspora. Mais hélas, 25 après, le rêve s’est plutôt transformé en cauchemar.
Après la révolution de mars 1991, notre pays est devenu un symbole de la démocratie, surtout en Afrique au sud du Sahara. Les premières élections de 1992 se sont déroulées dans une ambiance de fête, mais aussi de transparence. L’élection du premier président de la troisième République n’a fait l’objet d’aucune contestation. Mieux, le Mali, qui avait moins de deux ans de pratique démocratique, était cité en exemple dans des conférences internationales. Le multipartisme intégral et la liberté d’expression étaient devenus des réalités dans un pays, qui venait, à peine, de s’affranchir, du joug impérialiste. Le décor était très beau. Il n’en fallait pas plus pour faire du Mali un havre de paix et une cité démocratique dans laquelle le peuple avait voix au chapitre.
Mais la réalité et les délices du pouvoir ont eu une emprise sur les hommes en charge de la gestion des affaires publiques. L’argent est devenu la principale convoitise, dans le but exclusif de conquérir ou de conserver le pouvoir.
Qui ne se souvient des violences qui ont précédé les élections de 1997 où le régime avait bâillonné tous les opposants politiques ? Dès lors, les enjeux de mars 1991 ont été mis en veille. La conquête du pouvoir est devenue le leitmotiv des hommes politiques. Conséquence : la corruption et la délinquance financière ont pris des proportions inégalées. Pis, elles ont été encrées dans les habitudes des Maliens. La corruption est devenue une règle de gestion. Le système a été rodé. La pratique a atteint tous les secteurs de l’économie nationale et détient même ses « mots de passe ».
La constitution du Mali a prévu l’alternance au sommet de l’Etat. Chaque cinq ou dix ans, le président de la République doit remettre en jeu son fauteuil en organisant des élections libres, démocratiques, crédibles et transparentes. C’était le vœu des acteurs du mouvement démocratique. Mais, ce fut un autre rêve difficile à réaliser. Vingt cinq ans après, les Maliens sont toujours dans l’attente d’une élection fiable qui implique tous les acteurs politiques et la société civile, sans restriction ; d’un fichier biométrique sécurisé, d’un organe indépendant de gestion des élections, d’une élection incontestable et incontestée. De 1997 à nos jours, toutes les élections ont presque fait l’objet de fraudes et de manipulations. Parce que tout simplement, les acteurs, voire les tenants du pouvoir, n’en ont jamais fait leur priorité, avant l’année du scrutin.
Aussi, la crise du nord a connu différentes phases qui ont conduit notre pays et sa démocratie dans un gouffre indescriptible. Les garants de la souveraineté nationale avaient légèrement apprécié la menace des différentes rebellions. Au lieu de renforcer la sécurité nationale, ils ont préféré distribuer des espèces sonnantes et trébuchantes à des enfants égarés comme Bahanga, Iyad Ag Ghaly et autres trafiquants de drogue. Qui, pendant ce temps, complotaient contre la République. La suite est connue.
Comme si cela ne suffisait pas, un coup d’Etat est venu chambouler, le 22 mars 2012, le peu de crédibilité démocratique qui restait au Mali. Une armée républicaine ? C’était également un vœu des acteurs du mouvement démocratique et du peuple malien. Il a fallu un stupide putsch pour remettre en cause cet idéal de la révolution de mars 1991. Amadou Haya Sanogo et ses compagnons d’infortune ont sali, par ce putsch, la mémoire de nos martyrs, et brisé l’espoir de toute une nation. Pis, ils ont fait sombrer l’Etat à Bamako, mais aussi dans les régions nord du pays. Le coup d’Etat avait précipité la chute des régions, qui sont tombées dans les mains de djihadistes et des terroristes.
Le Mali venait ainsi de trébucher, mais grâce à des bonnes volontés (la CEDEAO, la France et l’ONU), il n’est pas tombé. Mieux, notre pays s’est redressé et a pu tenir des élections qui ont permis le rétablissement de l’ordre constitutionnel. Le président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta, a été élu, en août 2013. Le parlement a été également renouvelé.
Dans le sillage de ce putsch débile, on a même entrepris de réhabiliter le bourreau des martyrs de la révolution. Une réhabilitation de Moussa Traoré n’a d’autres objectifs qu’une remise en cause des idéaux de mars 1991.
S’agissant de la lutte contre la corruption, elle est le mal de notre pays. La corruption a annihilé tous les efforts de développement. Et pourtant, ce ne sont pas les textes pour la répression qui manquent. En plus de la loi, l’ancien président ATT a même créé une structure dédiée à la lutte contre la corruption : le Bureau du Vérificateur général. Depuis sa mise en place, ses recommandations ne sont presque pas suivies. Même son initiateur n’a pas pu faire payer les délinquants financiers épinglés. Du gâchis !
Le mal est toujours là. L’argent du contribuable est toujours détourné sans crainte. Des fonctionnaires, des religieux et des députés deviennent des multimillionnaires en quelques mois, voire des semaines. Ce n’est qu’au Mali que cela est possible. Et çà, c’est sous l’ère démocratique, du pluralisme politique et de la liberté d’expression.
Enfin, notre pays a signé, en mai et juin 2015, un accord pour la paix et la réconciliation, qui est loin de faire l’unanimité. Pendant que les autorités maliennes et une frange de la population apprécient la teneur du document, certains compatriotes expriment des réserves. Ces derniers sont convaincus que l’accord de paix ne présage rien de bon pour le Mali. Alors, à la veille de cette commémoration, des questionnements fusent de partout. Devons-nous continuer à commémorer l’anniversaire de la révolution de mars 1991 ? N’est-il pas temps de s’arrêter pour s’interroger ? Sommes-nous vraiment sur la bonne voie ? Est-ce le sens du sacrifice consenti par nos camarades, nos frères, nos sœurs et nos parents pour que le Mali soit digne des Maliens ?
Idrissa Maïga