La guerre au Mali est entrée dans sa deuxième phase avec la reconquête des trois villes du Nord : Gao, Tombouctou et Kidal. Si l’on en croit les spécialistes, ce conflit est néanmoins parti pour durer longtemps. Au vu des paramètres, notamment les caractéristiques liées au territoire et aux groupes terroristes présents au Nord-Mali, Afrik.com s’est demandé si le Mali peut devenir l’Afghanistan de l’Afrique. Contactés par la rédaction, plusieurs spécialistes du Mali nous expliquent les similitudes et différences entre le conflit malien et le conflit afghan. Décryptage.
« Comme le Pakistan, l’Algérie joue un rôle ambigu ». La Guerre au Mali risque de s’enliser et de contaminer tout le Sahel. D’autant que les groupes islamistes concernés sont présents et au Mali mais également dans les pays limitrophes. Le territoire désertique du Nord-Mali, sans frontières, peut provoquer une guérilla au dépens d’une guerre conventionnelle. Afrik.com s’est demandé si le Mali peut devenir l’Afghanistan de l’Afrique.
Interrogé, en juillet dernier, Philippe Hugon, chercheur et spécialiste du Mali à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris), en est convaincu : « Oui. Il y a des risques d’Afghanisation de la zone sahélo-saharien. Plusieurs facteurs concourent en ce sens. L’état de décomposition du Mali, le non-contrôle de la zone par les autorités politiques et militaires, le système Kadhafi (libre circulation des armes), le coup d’Etat du 22 mars dans le Sud du Mali contre le régime d’Amadou Toumani Traoré, la possibilité de refuges dans des grottes. Tout cela nous laisse penser que le Mali présente tous les ingrédients d’un nouvel Afghanistan ».
L’armée française s’est engagée dans une intervention militaire au Nord-Mali depuis deux semaines maintenant. Son avancée spectaculaire a permis de reconquérir les villes de Konna, Douentza et Diabaly, stoppant ainsi la descente des islamistes vers Mopti et Bamako. A la suite de cette nouvelle donne, Afrik.com a alors décidé de reposer cette question sur les ressemblances et différences entre les conflits malien et afghan.
« L’Algérie joue le rôle du Pakistan » ?
Est-ce que le Mali peut être l’Afghanistan de l’Afrique ? « Sur le plan culturel et politique, les deux conflits n’ont rien à voir. La guerre au Mali présente quand même plusieurs similitudes avec le conflit en Afghanistan. Pour commencer, ça touche plusieurs pays. L’Algérie jouerait un rôle, ambigu, comme le Pakistan. Une situation qui dure depuis longtemps avec les trois villes du Nord-Mali nourries et alimentées en essence par l’Algérie », répond à Afrik.com Michel Galy, politologue et sociologue. « L’Algérie préfère avoir des islamistes en dehors de son pays, donc au Nord-Mali. Car, elle craint de revivre la décennie d’attentats et d’affrontements avec les islamistes, elle favorise ainsi l’extension du fléau terroriste. Mais, la suite de la prise d’otages en Algérie a peut-être changé les choses », ajoute le spécialiste du Mali. D’autres paramètres viennent justifier la comparaison entre le conflit malien et le conflit afghan. « Le parallèle avec l’Afghanistan s’explique aussi par ce constat : on a d’un côté, les pachtounes à la frontière afghane-pakistanaise, et de l’autre, les Touaregs qui sont présents dans cinq pays du Sahel. De plus, comme en Afghanistan, on a une armée qui essaye de reconquérir un territoire sans frontières, avec des montagnes. Il s’agit d’une guerre, contre la coalition occidentale, qui ressemble à une guérilla. Elle pourrait notamment se traduire par des attentats à Bamako et dans les pays voisins ».
Si l’Algérie peut être le Pakistan de l’Afghanistan malien. Cela dit, cette théorie n’est pas partagée par tous les spécialistes. « La différence avec l’Afghanistan c’est que les pays voisins coopèrent avec le Mali. L’Algérie a réagi sans équivoque (en menant un assaut contre les islamistes) lors de la prise d’otages d’In-Amenas », confie à Afrik.com Lydie Boka, manager du site Strategico.fr. « On n’a pas le Pakistan qui a joué pendant un temps un double jeu. L’Algérie a montré qu’elle ne va pas permettre ce genre de comportement. La différence fondamentale avec l’Afghanistan, c’est que les voisins du Mali ne laisseront pas faire », précise la spécialiste de l’Afrique. Et de conclure : « Il y a plus de dix ans, les islamistes ont été chassés de Kaboul pour revenir après et forcer la communauté internationale à négocier. Ils se trouvent, actuellement, dans les pays voisins de l’Afghanistan comme le Pakistan. Hormis la similitude géographique, le Mali peut devenir l’Afghanistan de l’Afrique si les islamistes réussissent à se réorganiser et à revenir en petits groupes susceptibles de devenir grands ».
Une guerre longue comme en Afghanistan
Malgré l’avancée spectaculaire des armées française et malienne, la guerre au Mali n’est donc pas prête de se terminer. Cela, même si la première phase de l’intervention militaire est achevée et que la reconquête du Nord-Mali a débuté.
« La reconquête de Tombouctou, Gao et Kidal c’est relativement facile. Les jihadistes vont se réfugier dans la partie désertique, où il y a des montages et grottes. Ils ont même creusé des tunnels. La guerre va se transformer en guérilla et s’inscrire dans la durée et se radicaliser. Les jihadistes des pays voisins et éloignés du Mali pourraient débarquer au Nord-Mali », indique à Afrik.com André Bourgeot, chercheur au CNRS. « Mais, c’est encore prématuré d’établir une analogie avec l’Afghanistan parce que le processus d’afghanisation de la politique du septentrion malien est très éloigné des Talibans », signale le spécialiste du Mali. Avant de nuancer : « Si par "Afghanistan de l’Afrique", on entend une guerre longue et l’organisation d’un processus d’enlisement, on se trouve dans cette situation. Il y a un risque d’enlisement très important : seule la France est en première ligne, la Cedeao (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) n’est pas encore arrivée au Nord-Mali. Cette guerre ne se fera pas rapidement d’autant plus que les problèmes politiques au Sud ne sont pas résolus. On a l’impression que le Mali est un peu sous tutelle ».
Les forces africaines arrivent au compte-goutte au Mali. Toutes ces forces, qui ne sont pas formées ou pas suffisamment, devront faire face à des islamistes mieux formés et armés que prévu, qui maitrisent en outre ce genre de territoire désertique.