L’Assemblée nationale s’apprête à voter, avant la fin de ce mois de mars, le projet de loi initié par le ministre de la Décentralisation et de la réforme de l’État pour la mise en place des autorités intérimaires dans les collectivités du Nord. Ce projet de loi qui été adopté en conseil des ministres le 24 février dernier fait déjà l’objet de ce qu’on peut qualifier de «tirs de barrage» de la part du Collectif des élus du nord qui accusent, à tort ou à raison, le Gouvernement mettre les régions du Nord sous la coupe des mouvements armés de la CMA et de la plateforme.
Cette attitude du Collectif des élus du nord pose un certain nombre d’interrogations sur la motivation de cette fronde, à peine voilée, qui tranche avec une certaine volonté de favoriser l’application correcte et rapide de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali. Ce, au grand bonheur des populations des régions du Nord dans la tourmente de l’insécurité depuis 2012. En effet, dans une correspondance adressée au président de la République, les élus nord, notamment les élus locaux des collectivités territoriales des régions de Tombouctou, Gao et Kidal ont exprimé leur désaccord avec la décision du gouvernement de mettre en place les autorités intérimaires dans leurs régions. Leur principal grief est que le mode de désignation des autorités intérimaires fait la part belle aux mouvements armés. Ce qui est sûr, c’est que le retour de la sécurité et de la paix est une volonté nationale face à la menace djihadiste qui fait des misères dans notre pays depuis la crise de 2012. Pour atteindre cet objectif majeur, il est évident que l’application de l’Accord pour la paix et la réconciliation est un passage obligé.
Aujourd’hui, le bon sens nous commande de tout faire pour aider le Gouvernement à une mise en œuvre rapide de cet Accord pour la paix et la réconciliation pour le salut des populations qui vivent dans la peur des éléments djihadistes qui sévissent dans le Nord du pays. Il est donc inconcevable pour des élus qui se réclament comme étant les représentants de ces communautés du Nord, meurtries par les attaques djihadistes, d’entreprendre des manœuvres visant à ralentir la mise en œuvre de cet Accord combien important pour la sécurité des personnes et de leurs biens et pour le développement dans les régions du Nord. Ce que nos élus devraient comprendre, c’est qu’on ne peut pas faire le changement avec l’ordre ancien. Il est indéniable que pendant la crise, nombreux sont ces élus qui ont été les premiers à prendre la poudre d’escampette pour venir se mettre dans les bonnes grâces de l’Etat à Bamako, abandonnant les populations à leur triste sort. Où se trouve, par ailleurs, la légitimité quand on sait que le mandat de ces conseils des collectivités est caduc depuis belle lurette et que le dysfonctionnement des organes de gestion est la règle générale dans les régions du Nord ?
De toute façon, «on ne peut pas faire d’omelettes sans casser des œufs », dit-on. Et cela, les élus du Nord sont sensés le savoir. La mise en place des autorités intérimaires est une exigence qui dépasse la seule volonté du Gouvernement, car, tout le monde le sait, elle est contenue dans l’Accord que le Mali a signé à la face du monde entier. Il ne sert à rien de vouloir fermer les yeux sur cette réalité pour se constituer en groupe de pression à Bamako au seul dessein de mettre les bâtons dans les roues du Gouvernement qui a déjà assez problèmes à accélérer le processus de mise en œuvre de l’Accord.
Pour le retour de la paix et de la réconciliation aucun sacrifice ne sera de trop, et le sacrifice des mandats des élus du nord ne devrait pas être la goutte d’eau qui ferait déborder le vase si on est convaincu que c’est pour la bonne cause, à savoir l’unité nationale. Sans faire l’apologie de la rébellion, il est clair que les rebelles de la CMA et les groupes d’autodéfense de la Plateforme n’ont pas combattu pour permettre à des élus de s’éterniser à leurs postes.
Que reproche-t-on au Gouvernement ?
Au regard des arguments présentés par ce Collectif, il y a ce qu’on peut qualifier d’intox et de mauvaise foi. Ces élus accusent le Gouvernement de donner «pleins pouvoirs» à la CMA et à la Plateforme de désigner les autorités transitoires. De même, les mêmes personnes accusent la CMA et de la Plateforme d’envoyer, prématurément, des missions pour sillonner les différentes collectivités pour les informer des changements à venir dans la gestion des collectivités. Mais ce qui fâche davantage les membres de ce Collectif frondeur, c’est que ces missions des groupes armés auraient expliqué que la gestion des collectivités allait être confiée à la CMA et à la Plateforme. Ce qui, disent-ils, est incompréhensible dans certaines localités où ces mouvements n’avaient même pas de représentants. Selon nos sources, ces élus des régions du Nord ont adressé trois courriers au président de la République pour manifester leur opposition à l’idée d’instaurer des autorités transitoires, après que les mandats des organes des collectivités aient été prorogés jusqu’à la tenue des prochaines élections communales et régionales.
A regarder de près, on se rend compte que tous ces arguments relèvent, en fait, de la pure manipulation ou d’un déni de la vérité. Ce qu’il faut comprendre, c’est que si de l’avis de ces élus, le projet de loi présenté par le Gouvernement comporte des injustices dans certaines de ces dispositions, la responsabilité est à partager quand on sait que le document a été soumis aux responsables des formations politiques dont sont issus les élus avant même la rédaction du projet de loi.
Argument pour argument, dans la désignation des membres des autorités intérimaires, il est dit clairement: «Aux termes présent décret d’application, les autorités intérimaires seront mises en place de façon prioritaire dans les collectivités suivant une approche concertée et inclusive. Les membres seront désignés, en fonction de la taille des conseils des collectivités territoriales par le gouvernement, la Coordination et la Plateforme au sein d’un vivier comprenant la société civile, les conseillers sortants et les agents des services déconcentrés du ressort de la collectivité territoriale concernée. Elles exercent toutes les fonctions exécutives dans les domaines relevant de leurs compétences et sont en charge de l’administration ». Au regard de cette disposition, comment peut-on parler d’exclusion des anciens élus ? Mais, force est de reconnaitre la confiance se mérité, et certains élus ne sont pas sûrs, au regard de leur bilan, de retenir l’attention ni du Gouvernement ni des mouvements armés, en encore moins des populations qui les ont vue à l’œuvre.
La notion de plein pouvoir est aussi à écarter quand on sait que les autorités intérimaires évolueront dans limite de la loi, notamment le Code des collectivités. De même, il faudra reconsidérer l’argument selon lequel les ex-rebelles sont en train de battre campagne dans les localités où ils n’étaient pas présents pendant la crise. Et pour cause, ce sont des Maliens avant tout, et qui, par conséquent, ne peuvent pas être empêchés légalement et dans le cadre de la réconciliation, de se retourner chez eux. De toute façon, cette exception ne saurait être un prétexte pour violer la règle.
Un compromis
Dans la note de présentation de la loi par le ministre de la Décentralisions et de la réforme de l’Etat, il est dit clairement que «La mise en place des autorités transitoires dans les collectivités territoriales des régions de Tombouctou, Gao et Kidal est le fruit d’un compromis qui a l’avantage de s’inscrire dans le cadre général de la décentralisation et touche l’ensemble du pays ». En terme clair, c’est une réforme de la délégation spéciale sur toute l’étendue du territoire national. Ensuite, la mise en place des autorités intérimaires s’inscrit dans le cadre du renforcement de la continuité des organes élus des collectivités territoriales. Car, contrairement aux Délégations spéciales, elles sont chargées, sans restriction, des attributions dévolues aux conseils des collectivités territoriales qu’elles remplacent. Enfin, le projet de loi s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, issu du processus d’Alger. A ce niveau, il est dit effectivement: «afin d’assurer la continuité de l’État, les institutions actuelles poursuivront leur mission jusqu’à la mise en place des organes dans le présent Accord. La mise en place, le cas échéant et au plus tard trois mois après la signature de l’Accord, des autorités chargées de l’administration des communes, cercles et régions du Nord durant la période intérimaire…».
Un examen
serein du projet de loi
Malgré l’urgence du contexte et cette pression inopportune des élus, les élus de la nation ne semblent pas céder à la précipitation.
En Tout cas les membres de la commission de la décentralisation saisie pour l’étude au fond de cette loi sont formels. Chaque composante de la société malienne a été écoutée. Il ressort de leurs explications que la majorité des personnes ressources rencontrées par la commission s’impatiente pour la mise en place de ces autorités intérimaires.
PAR ABDOULAYE OUATTARA