Du Sahel au Maghreb, les forces franco-maliennes et leurs alliés sont confrontés à trois groupes animés par une seule idéologie : la charia.
En se lançant à la reconquête des étendues arides du nord du Mali, les forces franco-maliennes et leurs alliés africains se heurtent à des combattants aguerris. Voilà des années que ces bandes d'islamistes radicaux et de soldats perdus de la cause touareg écument ces immenses étendues entre Sahara et Sahel. Enrichis, entre autres, par les prises d'otages, équipés grâce, notamment, à l'armement récupéré en Libye et basés - avec une certaine complaisance des autorités locales? - dans les profondeurs du désert algérien, ils se sont taillé des fiefs au Mali sans grande difficulté.
C'est à leurs trousses que les 2000 soldats français flanqués de leurs camarades africains se sont lancés il y a deux semaines. Combien d'hommes composent ces bandes fanatisées, et qui sont leurs chefs? Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi), le Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (Mujao) et Ansar Dine («Les partisans de la religion») : une même idéologie anime les trois groupes jihadistes maîtres du Nord-Mali. Ces milices armées partagent trois principes: le salafisme, le jihad et la charia comme mode de gouvernance, non seulement au Mali, mais dans l'ensemble du Sahel et des pays du Maghreb.
Aqmi, dirigée par l'Algérien Abdelmalek Droukdel, alias Abou Mossab Abdelwadoud, est la plus ancienne. Conséquence de la guerre civile algérienne des années 1990, ses principaux émirs ont fait leurs classes au sein du tristement célèbre Groupe islamique armé (GIA), avant de faire scission et de créer, en 1998, le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC).
En septembre 2006, le GSPC a fait allégeance à Oussama Ben Laden et Ayman al-Zawahiri et s'est rebaptisé al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) dans la foulée. Les liens entre les terroristes algériens et al-Qaida sont anciens et se sont noués aussi bien dans la zone pakistano-afghane qu'en Europe.
Mais le label «al-Qaida» va permettre à l'émir Droukdel et à ses hommes de dépasser le cadre national pour recruter au-delà des frontières algériennes et asseoir une légitimité internationale. Aqmi va s'étendre de la Libye à la Mauritanie en passant par le Niger, le Burkina Faso et le Mali.
L'Algérie reste son navire amiral, mais ses opérations vont désormais viser aussi bien la Mauritanie que le Niger et le Mali, où la France, ennemi désigné, compte des intérêts et plusieurs milliers de ressortissants
Des millions d'euros tirés des rapts
Dès 2003, le GSPC-Aqmi va investir le Sahara et se spécialiser dans les prises d'otages. Le rapt de 32 ressortissants allemands, autrichiens et suisses va inaugurer ce mode opératoire fructueux financièrement et rentable sur le plan politico-médiatique. Pour libérer les captifs, les Etats mettront la main à la poche: 5 millions d'euros déboursés par l'Allemagne, l'Autriche et la Suisse.
Les kidnappeurs du désert s'appellent Amar Saïfi, alias Abderrazak El Para, et Mokhtar Belmokhtar, plus connu chez les islamistes sous le pseudonyme de Khaled Abou al-Abbas. Si le premier a été remis aux autorités algériennes à la suite de son arrestation par la rébellion tchadienne, le second va, lui, s'imposer comme l'homme fort du Sahara aux côtés d'Abdelhamid Abou Zeid, cadre d'Aqmi dans le sud algérien.
Mais les deux hommes vont entrer en concurrence. Vieux routier du jihad, Belmokhtar est un authentique salafiste et pas un simple «trafiquant de cigarettes» comme l'affirme la propagande algérienne. Cet ancien d'Afghanistan connaît personnellement les chefs d'al-Qaida. Il en a fréquenté certains dans la zone pakistano-afghane et en a rencontré d'autres au début des années 1990 lorsqu'il était allé trouver Ben Laden au Soudan pour solliciter son aide financière. Il se considère comme le vrai patron des terroristes du désert. Ce n'est pas l'avis d'Abdelmalek Droukdel qui, lui, préfère Abou Zeid. En décembre 2012, Mokhtar Belmokhtar prend donc ses distances avec Aqmi tout en poursuivant les objectifs de l'organisation. Emir de la katiba des Moulathamines (Brigade des dissimulés), il crée une nouvelle brigade baptisée al-Mouwakioune bel Dimaa (Ceux qui signent avec le sang).
Une menace contre les intérêts français dans toute la région
Dans une vidéo du 5 décembre dernier, il menace de s'en prendre aux intérêts français et à ceux des pays qui soutiendront François Hollande dans une action militaire au Mali. Promesse tenue: cette katiba investira le site gazier d'In Amenas cinq jours après le début de l'opération militaire française. Belmokhtar, qui commande plus de 200 hommes selon des sources algériennes, ne veut pas s'arrêter en si bon chemin. Le 20 janvier dernier, il menaçait les intérêts occidentaux et français dans toute la région. Un avertissement à prendre au sérieux: malgré les divergences entre cadres d'Aqmi, l'accord sur les questions doctrinales reste entier, notamment sur la nécessité des opérations contre les sites stratégiques (algériens et étrangers) et contre les ressortissants occidentaux.
La propagande algérienne affirme que les membres d'Aqmi ne seraient que quelques dizaines d'hommes en armes. En fait, le groupe en compte 500 à 600 dans le nord de l'Algérie et près d'un millier dans le sud. Des terroristes répartis en sections mobiles de quelques dizaines de combattants dotés d'un important arsenal, de moyens financiers et de faux documents. Ils disposent d'un réseau d'informateurs, d'aides logistiques et de sympathisants en Afrique et, dans une moindre mesure, en Europe. Dissident d'Aqmi mais idéologiquement proche, le Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (Mujao) compte moins d'un millier d'hommes. Lourdement armés, ils se sont emparés de Gao et d'une partie du nord malien.
Ce groupe est apparu dans le courant de l'année 2011. Il a fait parler de lui en enlevant sept agents consulaires algériens à Gao. Fondé par Hamada Ould Mohammed Kheirou, 42 ans, alias Abou Ghoum-Ghoum, le Mujao a également chassé les Touareg laïques du Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA) des villes qu'il a conquises.
Des Nigérians de Boko Haram, une violente secte antichrétienne
Salafiste mauritanien, Abou Ghoum-Ghoum a fait plusieurs séjours dans les geôles de Nouakchott. Notamment en 2005, après avoir battu des musulmans qui ne respectaient pas assez les principes de l'islam. Au bout de quelques mois, il s'est évadé pour entrer dans la clandestinité. C'est à ce moment qu'il se rapproche de Mokhtar Belmokhtar. En 2009, il est arrêté, cette fois par les autorités maliennes. Incarcéré à Bamako, il est relâché en février 2010 dans le cadre des négociations pour la libération de l'otage français Pierre Camatte.
Hamada Ould Mohammed Kheirou a pris ses distances avec Aqmi pour des raisons «ethniques». Il reproche aux chefs de l'organisation de ne pas accorder assez de place dans le commandement aux non-Algériens. D'où la création du Mujao qui garantit son autonomie sans rompre avec la «maison-mère». Essentiellement composés de Mauritaniens, Maliens et de Nigériens, ses rangs comptent aussi des Nigérians du groupe Boko Haram, qui s'est récemment illustré par une série d'attentats antichrétiens meurtriers au Nigeria. Après avoir visé des intérêts algériens, le Mujao s'en est pris à des cibles mauritaniennes. Désormais, tous ses efforts sont concentrés sur le Nord-Mali, où il s'est déjà taillé une part du gâteau.
Dernier-né des djihadistes sahéliens, le groupe Ansar Dine (les partisans de la religion) a profité de la chute du régime libyen pour récupérer une partie de ses milices touareg et de son armement. Créée par Iyad Ag Ghali (voir portrait page 32), un chef touareg proche des services algériens - le fameux Département de renseignement et de sécurité (DRS) -, c'est sa milice qui a mené l'offensive vers le sud du Mali pour étendre la règle de la charia à l'ensemble du pays. Fort de près de 3000 hommes, Ansar Dine est l'un des groupes les mieux armés de la région.