Après plusieurs mois de manifestations et de violentes répressions, les organisations socio-politiques en lutte pour la démocratie ont décidé d’unir leurs forces. La jonction entre ce regroupement et un groupe d’officiers finira par avoir raison du régime du général Moussa Traoré
Le grand chamboulement politique de 1991 dans notre pays est redevable au combat mené par le Mouvement démocratique pour l’avènement du multipartisme. Cet épisode de notre histoire est remarquable parce qu’il a mobilisé une frange importante de la population, particulièrement les jeunes scolarisés en butte eux aussi aux conséquences des programmes d’ajustement structurel. Ces mesures, censées redonner du souffle à l’économie nationale, ont notamment entraîné une diminution du nombre des boursiers, l’institution d’un concours d’entrée à la Fonction publique, des départs volontaires à la retraite et des licenciements dans les sociétés et entreprises d’Etat. La mauvaise gouvernance caractérisée par l’enrichissement illicite des dirigeants, les retards des salaires et des bourses et surtout l’absence de perspectives avaient alimenté un mécontentement qui atteignit son paroxysme en 1991. Le bouillonnement qui éclata en Mars 1991 avait suscité la naissance d’associations politiques et de défense des droits de l’homme. Ces mouvements politiques et de la société civile, autorisés par les pouvoirs publics de l’époque pour faire baisser la pression, ont tôt fait de mobiliser le peuple pour exiger la démocratie et le multipartisme. Leurs messages étaient relayés efficacement par une presse privée mordante dont les organes les plus emblématiques étaient Les Échos et Aurore. La vie politique était alors dominée par le parti unique constitutionnel, l’Union démocratique du peuple malien (UDPM), dirigé par le chef de l’Etat en personne, le général Moussa Traoré. Parmi les mouvements socio-politiques les plus en vue, figurait l’Association malienne des droits de l’homme (AMDH), portée sur les fonts baptismaux le 11 décembre 1988 par Me Demba Diallo. Lors de son conseil central extraordinaire tenu les 28 et 29 mai 1990 à Bamako, l’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM), l’unique centrale syndicale de l’époque, s’est débarrassée de relations parfois encombrantes avec le pouvoir pour rejoindre les associations qui ferraillaient pour l’avènement de la démocratie et le multipartisme. Cette centrale a radicalement rompu les amarres en ces termes : « Considérant que le parti unique constitutionnel et institutionnel ne répond plus aux aspirations démocratiques du peuple malien, le conseil central extraordinaire rejette en bloc le dirigisme politique qui entrave le développement de la démocratie au Mali, opte pour l’instauration du multipartisme et du pluralisme démocratique ». Le Comité national d’initiative démocratique (CNID) a vu le jour le 18 octobre 1990 et tenu sa première assemblée générale le 3 novembre suivant à l’Institut islamique de Hamdallaye. Le CNID a été créé par Me Mountaga Tall et ses compagnons parmi lesquels Tiébilé Dramé, Me Hamidou Diabaté, Cheick Oumar Sissoko, Yoro Diakité, Konimba Sidibé, etc. Ceux-ci ont préconisé « un saut qualitatif » en inscrivant leur combat dans la quête du multipartisme « à visage découvert ». Ils ont fondé l’association CNID en exhumant une ordonnance coloniale régissant la création d’association. Ce texte législatif servira de base juridique à la création de nombreuses associations socio-politiques qui joueront un rôle important dans la lutte pour la démocratie dans notre pays. Après le CNID, c’est l’association Alliance pour la démocratie au Mali (Adema) qui voit le jour. C’était le 24 octobre 1990. Le Pr Abderhamane Baba Touré était le premier président de cette association qui regroupait, entre autres, Alpha Oumar Konaré, Mamadou Lamine Traoré, Aly Nouhoum Diallo, Mohammedoun Dicko, Mme Sy Kadiatou Sow, Moustaph Dicko, Abdoulaye Barry, Cheick Mouctary Diarra, Salif Berthé, Ousmane Sy, Tiémoko Sangaré, Soumeylou Boubèye Maïga. Trois jours après la création de l’Adema association, le 27 octobre 1990, des étudiants sous la conduite de Oumar Mariko ont créé l’Association des élèves et étudiants du Mali (AEEM). Cette association a tôt fait de défier dans les établissements scolaires et universitaires les comités de l’Union nationale des jeunes du Mali (UNJM), filiale de l’UDPM. D’autres mouvements socio-politiques comme l’Association des jeunes pour la démocratie et le progrès (AJDP) ou encore la Jeunesse libre et démocratique (JLD) feront leur apparition dans la foulée et viendront grossir les rangs des activistes opposés au parti unique. Les associations démocratiques vont passer rapidement à l’organisation de manifestations de rue pour réclamer la démocratie et le multipartisme. C’est ainsi que le CNID organisera une manifestation pacifique qui a réuni 10 000 personnes dans la capitale le 10 décembre 1990. Le 30 décembre, le CNID se joindra à l’Adema pour une grande marche unitaire et pacifique, allant de la Place de la Liberté au terrain du Camp Digue. L’activisme des démocrates n’a pas manqué d’exaspérer les militants de l’UDPM qui ont organisé une contre-marche ce jour-là. Quand les deux cortèges se sont croisés au niveau de la Place de la Liberté, les militants du CNID et de l’Adema ont cédé le passage. CLIMAT INSURRECTIONNEL. Le gouvernement décidera par la suite de mettre fin à la « récréation » en interdisant les manifestations. Les activités du CNID seront interdites à partir de 18 janvier 1991. Mais d’autres manifestations vont se dérouler, malgré l’interdiction prononcée par les autorités, le 18 janvier 1991 à Bamako et le lendemain à Ségou. Le 3 mars 1991, une nouvelle marche est organisée par les deux associations politiques (CNID et Adema), rejointes par l’Association des jeunes pour la démocratie et le progrès (AJDP) et la Jeunesse libre et démocratique (JLD), ainsi que l’Association des diplômés, initiateurs et demandeurs d’emploi (ADIDE). Le 17 mars 1991, l’ADEMA, le CNID et l’AEEM ont organisé une marche silencieuse en souvenir de Cabral, leader étudiant assassiné le 17 mars 1980. Les forces de sécurité tentèrent de faire respecter la mesure d’interdiction des manifestations. Ce qui entraina des affrontements avec les manifestants. A partir du 22 mars, un climat insurrectionnel s’est installé dans la capitale. Ce jour-là, des militants de l’AEEM ont bloqué les artères de la ville pour protester contre la répression des manifestations et réclamer l’ouverture démocratique. Plusieurs personnes trouveront la mort lors des affrontements de ce « Vendredi noir ». Devant le durcissement du pouvoir qui réprimait les manifestations tout en soumettant l’ouverture politique à la tenue du congrès de l’UDPM, les associations socio-politiques se sont organisées en créant un comité de coordination qui prendra l’appellation de Mouvement démocratique, composé du CNID, de l’Adema, de l’AJDP, de la JLD, de l’UNTM, de l’AMDH, de l’AEEM et du Barreau. Le président Moussa Traoré campera sur sa position malgré les nombreuses victimes et les destructions d’édifices publics. Le chef de l’Etat finira cependant par recevoir une délégation du Mouvement démocratique pour lui confirmer sa décision de ne procéder à une éventuelle ouverture politique qu’à l’issue du congrès de l’UDPM. Les manifestations reprirent de plus belle et l’UNTM décréta le 25 mars 1991 une grève illimitée pour appuyer les manifestants. Un groupe d’officiers de l’armée, conduit par le lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré, renversa alors le régime de Moussa Traoré dans la nuit du 25 au 26 mars 1991. Les militaires putschistes étaient regroupés au sein du Comité de réconciliation nationale (CRN) qui fait sans tarder la jonction avec le Mouvement démocratique lors d’un meeting unitaire à la Bourse du travail. Les scènes de fraternisation ont scellé la réconciliation entre les soldats et les manifestants. Leaders civils et militaires putschistes vont se regrouper, les 27 et 28 mars, au sein Comité de transition pour le salut du peuple (CTSP) qui dirigera le pays pendant une Transition d’un peu plus d’un an, marquée notamment par une Conférence nationale qui a élaboré une nouvelle Constitution et une Charte des partis politiques en consacrant le multipartisme intégral.
B. M. SISSOKO
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