Que reste-t-il de l’esprit du 26 Mars 1991 ? Si cette question était un sujet d’examen, j’aurais répondu en un mot, un seul : RIEN ! Mais par respect pour votre journal je vais ajouter quelques phrases pour étayer cette réponse brute.
Mars 91 a mis fin à 23 ans d’une dictature, dont les effets ont entamé ce pourquoi les Soudanais et les Maliens s’étaient toujours battus, c’est-à-dire l’indépendance du pays, la souveraineté du peuple, la liberté et le bonheur des citoyens.
L’insurrection populaire, aboutissement de ces longues années de lutte, avait des objectifs simples et clairs. Premièrement, l’assainissement de l’administration civile et militaire apatride et corrompue. La 3è République lui tourna le dos. Deuxièmement, la maîtrise des politiques économiques et sociales que le CMLN et l’UDPM avaient cédée dès 1971 à la France, commanditaire du coup d’Etat du 19 novembre 1968. Le plan triennal de redressement économique et financier 1971-1973 consacra un retour au modèle extraverti du régime colonial, et la réorientation du commerce extérieur vers la France. En 1979, au FMI et à la Banque Mondiale, le Programme d’ajustement structurel (PAS) est imposé avec une panoplie de mesures : la libéralisation des marchés agricoles sauf pour le coton, spéculation contrôlée par la France ; la privatisation et la liquidation des entreprises publiques, la réduction des budgets des secteurs sociaux.
Les luttes et les espérances étaient connues. Elles demeurent encore la base politique du programme du parti SADI que j’ai dirigé jusqu’en décembre 2014. Nous les avions synthétisées ainsi : « Il nous faut, pour rendre à notre peuple la maîtrise de son destin, sacraliser 4 principes non négociables : Principe 1 – que notre peuple puisse en toutes circonstances, décider souverainement de la conduite des affaires nationales ; Principe 2 – que les intérêts matériels et moraux du Mali et des Maliens de partout dans le monde, soient le référentiel primordial et absolu de nos dirigeants ; Principe 3 – que notre pays est et restera un et indivisible ; Principe 4 – que chaque Malien puisse avoir une place reconnue dans son pays, et avoir la possibilité de manger à sa faim, de se loger, d’y être soigné, éduqué, d’y travailler, d’y entreprendre, d’y accomplir ses projets.
Bref de s’y épanouir afin d’y avoir une fin de vie digne et honorable. Traduire ces principes sacrés dans la réalité exigera des engagements collectifs, des pactes nationaux négociés et acceptés par tous : un pacte national de solidarité horizontal et vertical / intergénérationnel ; un pacte national de développement des forces de travail, de la création et de l’innovation ; un pacte national de respect scrupuleux et de sauvegarde des biens publics ; un pacte national de fidélité au Mali et à l’Afrique. Mais à l’avènement du multipartisme, la 3è République va renforcer cette orientation libérale et extravertie de notre économie jusqu’aux secteurs stratégiques et de souveraineté.
Les PAS seront poursuivis, diversifiés et systématisés. Notre système économique et social était désormais régi par trois dispositions obligatoires : la libéralisation dans tous les domaines : marchés agricoles, services… ; la dérèglementation du fonctionnement de l’économie nationale dont la régulation était laissée aux seules forces du marché, c’est-à-dire aux capitaux organisés et circulant librement à l’échelle mondiale ; la privatisation de pans entiers de l’économie nationale. L’Etat national perdait ainsi sa capacité de conception, d’orientation, de pilotage de l’économie en fonction des objectifs de développement humain et social. Il n’était plus maître des politiques économiques, sociales et militaires. Comme chacun peut le constater, nous sommes retournés quasiment à la case départ. Les bases militaires françaises se mettent en place.
La Françafrique se fait un beau toilettage avec le franc CFA, les marchés publics, les banques françaises, Air France, Orange, Bolloré, Total et bientôt les mines, si ce n’est déjà fait. L’ONU et sa Communauté internationale déploient des moyens humains et financiers colossaux qui auraient pu permettre en temps de paix, de développer les pays de la sous-région. La culture de la médiocrité, de la bêtise humaine, de la malhonnêteté a nettoyé notre société des valeurs qui ont fondé le Mali : dignité, solidarité, amour de la patrie, ardeur au travail, sens de l’honneur et du partage, tolérance, respect de l’âge et de l’autre. Suis-je surpris de la tournure des évènements ? Absolument pas !
Le 26 Mars 1991, immédiatement après la rencontre du Mouvement démocratique avec les putschistes, ATT en tête, à la Bourse du Travail, j’ai dit à mon estimé et respectueux aîné Mahamadou Yacouba Maïga dans la cour de l’UNTM : « Grand frère, la marche à reculons a commencé ». Vous pouvez le lui demander. Il vit à Faladié. Il est membre fondateur de l’ADEMA et du RPM. En fait, toute la nuit après l’arrestation du dictateur, j’ai essayé avec mon camarade du CNID, Oumar Hamidou Soumaré, de réunir la Coordination des Associations et Organisations à la Bourse du Travail : d’abord à 6 heures du matin, puis à 8 heures du matin. En vain.
Le besoin d’examiner la situation et d’aller avec une seule et même voix, rencontrer les militaires, n’était pas le souci de l’élite syndicale et politique. Elle s’était déjà aplatie devant les putschistes. La Bourse du Travail, ce 26 mars 1991, fut le théâtre désastreux d’une classe politique et syndicale sans âme. C’était pitoyable et honteux. L’esprit de résistance du Peuple du Mali sommeille. Il se réveillera … un jour…