La quête du multipartisme a été l’élément moteur du soulèvement populaire qui a abouti à l’avènement de la démocratie pluraliste le 26 Mars 1991. Aujourd’hui avec le recul, il apparait que l’UDPM n’était pas arc-bouté dans une position de refus systématique du pluralisme.
Au sortir de la 7è session extraordinaire de son Conseil national en août 1990, la question qui se posait au parti n’était pas l’instauration du multipartisme mais quand et comment mettre fin à son monopole constitutionnel du pouvoir. Dans l’éditorial de Sukaabe n°10 de septembre 1990, nous écrivions : « l’instauration du multipartisme n’est pas un préalable à la démocratie, encore moins une fin en soi.
L’instauration du multipartisme est une étape dans notre processus permanent de démocratisation. Cette étape nous semble très importante parce qu’elle aboutit à l’avènement de la IIIè République. Cette transition doit donc se faire en toute humilité, sérénité et sagesse sans précipitation ni confusion ». Il en a été autrement. Ceux qui ne voulaient pas d’un multipartisme « offert sur un plateau d’argent » ont opté pour le changement tout de suite quel qu’en soit le prix.
La IIIè République naîtra dans la violence et dans le sang. Les acteurs du Mouvement démocratique originel aujourd’hui éclaté, assument tous le 26 Mars, mais pas de la même façon. On peut schématiquement les répartir en deux groupes. L’un a combattu le régime de l’UDPM de bonne foi pour davantage de liberté et de démocratie. Pour ce groupe, le 26 mars était le départ d’une nouvelle gouvernance avec une nouvelle élite politique. Son slogan était : « an te kôrôlen fè fo kura». L’autre groupe avait une démarche plutôt putschiste.
Pour les tenants de ce groupe, le 26 Mars a été un moyen d’accéder au pouvoir et aux richesses. Ils évoquent sans cesse les idéaux du 26 Mars qu’ils se gardent bien d’inventorier. Ils crient à l’unité du Mouvement démocratique pour mieux entretenir la confusion et la division du pays entre « démocrates convaincus et patriotes sincères » et citoyens de seconde zone. Ils ont fait croire au peuple que l’instauration du multipartisme était la panacée, qu’avec le changement de régime, tous les problèmes du pays trouveront solution. Ils ont mis dans la tête des plus jeunes que de 1960 à 1968, c’était le paradis, que le 19 novembre 1968 on est tombé en enfer et que 23 ans après, le 26 mars 1991 on est revenu au paradis.
A l’euphorie des journées chaudes va cependant très vite succéder le temps du désenchantement. Aucune couche de la société n’est satisfaite. Dans Cauris numéro 71 de juillet 1994, Cheibane Coulibaly écrit : « Il n’est pas rare aujourd’hui d’entendre les citadins dire « Nous nous sentons trahis par la démocratie ». Il n’est pas rare non plus d’entendre les paysans dire : « Le vent du changement n’a pas encore tourné dans le sens que nous souhaitons ».
L’espoir soulevé était immense mais immense sera la désillusion. La terre promise s’est avérée un mirage. Le « kokajè » a vite été oublié. La quête du pouvoir a pris le dessus sur l’approfondissement du processus démocratique. Simon Mukuna mettait en garde à propos des pouvoirs issus de La Baule et des Conférences nationales : « En balayant devant notre porte, nous les intellectuels africains, prenons garde : dans les autres sociétés, les intellectuels au pouvoir ont presque toujours accouché de monstres ». Notre pays n’y a pas échappé. Le 26 Mars a accouché d’un monstre : il a pour nom : Révolution trahie, Révolution inachevée. Les intellectuels au pouvoir ont soigneusement évité toute réflexion sur le choix du type de pouvoir à mettre en place. Le débat de clarification idéologique qui aurait pu assainir le jeu politique a été étouffé par les invectives et les diatribes contre un pouvoir déjà à terre. Dans un entretien accordé à L’Indépendant, le 8 mai 2014, le Pr Issa N’Diaye affirme : « la démocratie a fini par faire pire que la dictature, surtout au niveau de la qualité des ressources humaines. Elle a injecté sur la scène politique toutes sortes de gens, parfois de véritables voyous ». Il épingle le président Alpha Oumar Konaré qu’il accuse d’avoir une grande part de responsabilité dans le désastre. « Terrible fardeau que le sien ! Se construire sa propre prison pour échapper au regard accusateur de ses propres concitoyens !
Alpha le démocrate, rase les murs tandis que Moussa le dictateur parade. Quelle terrible leçon de l’histoire ! » Il est temps de se rendre à l’évidence. Le discours qui consiste à soutenir que le paradis perdu le 19 novembre 1968 a été retrouvé le 26 mars 1991 ne résiste pas à l’analyse. Le dessein utopique de reconstituer le Mouvement démocratique pour barrer la route à la Restauration relève de la cécité politique car nul n’ignore qu’on ne peut mettre durablement ensemble l’extrême droite et l’ultra gauche. Le multipartisme intégral est l’un des acquis essentiels de la Révolution du 26 Mars 1991. « Nous avons eu le multipartisme, disait Mamadou Lamine Traoré, qu’en avons-nous fait ? ».
Le Mali compte plus de 160 partis mais il n’y a rien de plus difficile que de vouloir en dresser une typologie à partir de leurs positionnements idéologiques. Leur émiettement, au lieu d’illustrer la bonne santé de la démocratie pluraliste dans notre pays, apparaît plutôt comme son talon d’Achille. Les partis sont de plus en plus décriés, de plus en plus discrédités. Avec la libéralisation sauvage de la presse, le quatrième pouvoir a
été investi par des gens qui n’ont aucun souci de l’éthique et de la déontologie du métier, laissant la porte ouverte à toutes les dérives. Quant au pluralisme syndical, il a poussé les syndicats à se neutraliser. Le phénomène associatif connait des dérives dangereuses sous la forme de replis identitaires à travers des regroupements à caractère ethnique, lignager (associations de ressortissants, descendants de …) qui sont, à terme, des menaces contre l’unité nationale.
Bref, il y a lieu de consolider le processus démocratique en canalisant les pluralismes, en d’autres termes en allant de la quantité à la qualité. Par ailleurs, tout le monde s’accorde à dire que la Constitution en vigueur est une pâle copie de la Constitution de la Ve République française. Ne faut-il pas alors ouvrir le débat sur la nature du régime ? Tout le monde s’accorde aussi à dire qu’il y a déphasage entre notre société et nos institutions. Que faire alors pour que nos institutions soient le reflet de notre société ? Comment mettre en synergie et en cohérence le Mali officiel et le Mali réel ? En effet, s’il est vrai que les principes de la démocratie sont universels, il est aussi vrai que leur mise en œuvre doit partir d’une connaissance profonde de nos valeurs de civilisation.
De tout ceci, il faut retenir qu’à l’évidence la IIIe République s’est essoufflée. Qu’il y a lieu d’envisager vivement l’avènement de la IVe en instaurant ce qu’Issa N’Diaye appelle une nouvelle dynamique institutionnelle. Aujourd’hui plus que jamais le débat de clarification est d’actualité. Puisque nous voulons tous consolider l’acquis et bâtir le futur, il est insensé de vouloir prendre sa revanche sur l’histoire.