INTRODUCTION
«La parole donnée engage loin et pour toujours». C’est ce que nous apprend, notre éthique sociale traditionnelle. «N’i
da y’i don, i te bo».
Le 3 mai 1990, lors de l’audience que vous leur avez accordée, les Évêques du Mali, vous ont promis leur contribution au débat sur la démocratie, auquel vous avez invité vous-même toute la Nation malienne. Divers événements et circonstances ont retardé la réalisation de cet engagement. Ils ne pouvaient nous faire oublier notre promesse. Lorsqu’est en jeu l’avenir de l’homme et de la société dans laquelle il vit chaque jour, des hommes de Dieu pourraient-ils rester indifférents et spectateurs ?
Il faut dire d’ailleurs, Monsieur le Président, que notre engagement a déjà connu un début de réalisation, avec les réflexions que Monseigneur Luc Sangaré a partagées avec vous, le 16 août 1990. Comme pour tous les grands rendez-vous de l’histoire de notre peuple, notre aîné voulait que l’Église Catholique soit présente et partie prenante au Conseil National Extraordinaire convoqué pour les 23 et 24 août 1990. Il vous a ainsi offert comme les primeurs de la contribution aux débats sur la démocratie qu’ensemble nous avons élaborée pour vous, au cours de la deuxième assemblée annuelle de notre Conférence Épiscopale. «Maa kelen hakili kelen, maa fila hakili fila».
1. LE SENS D’UNE INTERVENTION
Au fait, Monsieur le Président, pourquoi vous avoir fait une telle promesse ? Vouloir apporter notre contribution à la recherche d’un projet de société plus démocratique serait-ce, de notre part, nous «mêler de choses qui ne nous regardent pas ?…
Accoutumé maintenant au style de relations entre l’Église et l’État, que vous avez vous-même contribué à créer, n’est-ce pas le silence des Évêques qui vous aurait étonné, déçu même, plutôt que leur prise de parole, face aux débats engagés ?
C’est vrai, Monsieur le Président, nous ne pouvons nous prévaloir d’aucune compétence technique, qui nous autoriserait à vous proposer des chemins sûrs, des moyens infaillibles, pour construire une société plus démocratique au Mali. Nous n’avons que notre compétence éthique et notre volonté de servir notre peuple. À la lumière de l’Évangile qui nous est confié, nous pouvons dire ce qui favorise ou pas, la construction d’une société qui laisse plus de place à la liberté et à la participation de tous ; nous pouvons dire ce qui, dans les traditions de vie des Maliens, rejoint le dessein de Dieu sur eux, leur révélant ainsi à eux-mêmes ce qu’il y a de meilleur en eux.
Depuis sa naissance dans notre pays, l’Église Catholique (à peine 2 % des quelque 8 millions d’habitants) accompagne le peuple malien par des activités religieuses. C’est là sa mission première. Et c’est par l’accomplissement de
cette mission qu’elle contribue réellement à la construction nationale, en formant des croyants pour qui la foi en Dieu conduit nécessairement à l’engagement au service de la Cité, pour un monde meilleur.
Mais depuis sa naissance aussi, l’Église Catholique a voulu vivre une solidarité active et agissante avec le peuple malien. Ses activités caritatives (SECAMA) et son engagement social dans l’éducation, la santé, la promotion du monde rural, au bénéfice de tous, sans aucune distinction, l’attestent plus que tout discours.
Cheminant ainsi, chaque jour, avec les «populations de ce pays, sur les routes de leur histoire, l’Église Catholique n’hésite pas à prendre la parole sur les multiples préoccupations qui les assaillent. La rencontre et le contact d’une grande diversité d’acteurs sociaux, lui permettent de percevoir et de mesurer les enjeux et les fragilités de la vie sociale et politique. Le service de la foi des communautés lui donne de sentir les faiblesses et les déviances des comportements religieux et moraux ; de jauger et de connaître la température spirituelle des croyants. Sa parole se fait, ainsi, pour tous, tantôt exhortation, tantôt interpellation, tantôt encouragement.
La note juste n’est pas toujours facile à trouver. Car si elle se veut proche et attentive, l’Église Catholique ne veut cependant pas abdiquer son rôle «d’éducatrice et de mère». L’Église ne prend la parole que pour aider la nation malienne en train de naître et de croître, à répondre toujours au projet de Dieu sur l’homme et sur le vivre en commun des hommes.
C’est le sens qu’il faut voir, Monsieur le Président, dans les discours du Nouvel An de Monseigneur Luc Sangaré ainsi que dans ses diverses interventions auprès de vous.
Lorsqu’il partage avec vous ses préoccupations sur la vie de l’homme dans notre pays, il témoigne que, pour la foi catholique, la cause de l’homme, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, se confond avec la cause même de Dieu. Lorsqu’il invite croyants et hommes de bonne volonté de notre pays à réfléchir sur les sujets importants d’ordre politique, économique, moral ou spirituel qui conditionnent notre vivre ensemble harmonieux, il offre sa contribution à la recherche des principes directeurs et des forces nouvelles qui conduiront vers le Mali de l’avenir. Montrant que, de toute évidence, nous avons un avenir à construire ensemble.
Cette tradition malienne de prise de parole, sur un registre qui fait appel aux exigences éthiques et spirituelles, s’inscrit» dans une tradition plus vaste encore : celle de la grande Église, pluriséculaire et universelle.
Faut-il le préciser, Monsieur le Président ? En prenant la parole, l’Église ne se présente pas comme un tribunal ou un censeur universel. Encore moins comme un groupe de pression particulier…
Pour les responsables de l’Église Catholique, prendre la parole lorsque des grandes questions se posent sur la vie et sur l’avenir des hommes, c’est à la fois, accomplir une mission reçue de Dieu et rendre un service aux hommes et aux peuples avec lesquels ils font route dans le monde. L’Église a reçu de Dieu une lumière sur l’homme et sur Dieu de qui découlent, à ses yeux, les droits et les devoirs de l’homme et cette lumière, elle la doit à l’humanité.
À cet égard, il n’est peut-être pas indifférent au bien public, que des hommes qui ont une responsabilité dans le domaine religieux puissent, dans certaines situations socio-politiques être des interlocuteurs de ceux qui ont la responsabilité majeure du pays. . .
Cette solidarité qui lie les fidèles catholiques avec tous les hommes a trouvé récemment une consécration solennelle au Concile Vatican II, le 7 décembre 1965. De cette réunion de tous les Évêques du monde, autour du Pape, il est sorti un texte magnifique, dont les premiers mots latins : «Gaudium et Spes» sont devenus le titre de tout le document. Voici les premières paroles de ce message : «Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les .angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur… La communauté des chrétiens se reconnaît donc réellement et intimement solidaire du genre humain et de son histoire.» (Gaudium et Spes n° 1).
Comment ne pas rappeler ici, Monsieur le Président, le discours d’adieu du Pape Jean Paul II à tous les Maliens, ce 30 janvier 1990 ? Ces paroles du Pape sont notre héritage commun. Dans le cadre de cette réflexion, elles prennent valeur d’appel et de mission.
«Alors que l’on vient de fêter le premier centenaire de l’évangélisation du Mali, j’exhorte à nouveau les Catholiques. Au nom de la foi en Jésus-Christ, que chacun s’engage sur tous les chantiers où se joue-le devenir du pays, pour relever les défis de la justice, de la paix, de la vérité et de l’amour, mots d’ordre de l’Évangile… Le Mali dispose de cadres compétents auxquels je souhaite de remplir avec ténacité leur engagement personnel au service de tous.»
Ce sont là, Monsieur le Président, les motivations qui nous poussent à vous proposer cette contribution aux débats sur la démocratie. L’Église Catholique est «experte en humanité», disait le Pape Paul VI à l’ONU, le 8 octobre 1965. Évêques, cela nous impose d’éviter que ne soit réduit à un enjeu politique un des problèmes fondamentaux de la société civile, la démocratie, qui touche à la liberté, à la responsabilité, fondements et exigences de la dignité de l’homme créé à l’image et à la ressemblance de Dieu.
2.LA DÉMOCRATIE A L’ÉPREUVE DES MUTATIONS DU MONDE
La mutation à accélération rapide est sans doute une des caractéristiques de notre époque. Le phénomène tient à la fois de l’histoire, de l’économie, du social et du religieux.
Le fait est d’autant plus massif que le monde est devenu un village. Les puissants médias aidant, tous les peuples sont présents aux événements qui se passent sur la face opposée du globe qu’ils habitent. Notre monde est un monde de plus en plus branché, un monde lié, qui se tient ensemble comme un tissu retenu par l’ensemble de ses fils. «Adamadenw ye gnogon fale ni gese ye». Il en résulte qu’aucune société particulière n’échappe aux vagues et aux remous des bouleversements politiques, économiques et sociaux qui se produisent autour d’elle. Les problèmes et les richesses qui sont vécus dans un endroit ont vite fait de traverser les frontières des pays.
2.1. L’Afrique dans la tourmente d’un vent venu de l’Est.
Il était difficile qu’une telle mutation, aussi profonde et aussi universelle, n’entraîne pas une remise en question des expériences et des modèles démocratiques. Tant à l’ouest qu’à l’Est. .
Ces derniers temps, des «révolutions» en chaîne ont gagné les pays de l’Est, les uns après les autres. En l’espace de quelques mois, ces totalitarismes que l’on prenait pour des citadelles inébranlables se sont trouvés désarçonnés. Et tandis que les systèmes craquent de toutes parts et que des certitudes s’effondrent, une nouvelle répartition des forces se met en place, de nouvelles alliances se créent.
Ce vent de l’Est n’épargne pas l’Afrique. Les pays pauvres (dont fait partie le Mali) consommateurs de tout ce que produisent les pays riches subissent, impuissants, ce qu’il faut bien appeler un syndrome mondial de type culturel. Un peu partout, on assiste comme à une poussée irrésistible vers le multipartisme. D’une part, les démocraties occidentales se considèrent comme investies d’un devoir d’intervention, pour mettre au service des autres pays, des nôtres notamment, leur savoir-faire, en matière de pluralisme politique.
D’autre part, tous ceux qui, pour une raison ou une autre, sont mécontents des régimes en place – régimes à parti unique bien souvent – voient facilement dans le multipartisme la porte d’une ère nouvelle.
2.2. La démocratie : son contenu essentiel
Avec vous, Monsieur le Président, nous sommes bien convaincus qu’il faut garder la tête froide et bien analyser surtout la situation nouvelle du monde et du Mali.
Des réserves sont à faire devant les jugements sans appel, l’absence de nuances, le manque de tolérance à l’égard des tenants et militants du parti unique. Mais il ne faut pas pour autant fuir la discussion ouverte et rejeter tout pluralisme, surtout pas au nom d’une fidélité à l’Afrique que l’on peut fort bien suspecter.
Le faire, ce serait sous-estimer l’importance et la nécessité d’une approche mondiale universelle des grands problèmes cardinaux de l’époque actuelle. Notre volonté de fidélité à nous-mêmes ne doit pas conduire à un «isolationnisme de principe.»
Mais il est évident aussi qu’il ne faut pas projeter trop rapidement les modèles démocratiques occidentaux sur nos sociétés africaines. Nos cultures ont leur propre vision du monde qui détermine la cohérence interne des divers groupes sociaux. Elles contiennent en celles aussi des germes de croissance et de progrès, qui les rendent capables de s’ouvrir aux apports d’ailleurs et aux exigences des temps nouveaux de l’histoire.
Enfin, il faut éviter de confondre la démocratie avec les expressions et réalisations historiques de la démocratie. Par eux-mêmes, les partis politiques, le parti unique comme le multipartisme, ne sont que des systèmes politiques : aucun n’a le monopole de la démocratie. Si le parti unique présente des avantages et des inconvénients, il en est de même du multipartisme.
Par conséquent, l’instauration du multipartisme ne changera pas nécessairement la situation de nos pays qui vivent sous régime à parti unique. On peut même craindre que certains utilisent la revendication pour le pluralisme démocratique. Uniquement pour chercher à prendre la place de ceux qui sont actuellement au pouvoir. Sans, pour autant non plus, se soucier plus du peuple et de ses besoins et aspirations. Celui-ci risque bien alors d’être sacrifié aux intérêts de minorités qui veulent privilèges et pouvoir à tout prix. Car il ne s’agit pas d’être pour le peuple, mais de marcher avec le peuple, de le faire progresser vers son propre épanouissement.
Ainsi, ce qui fait essentiellement la démocratie, c’est la référence au peuple : ses besoins, ses aspirations, son bien commun. De telle sorte qu’on peut définir la démocratie (demos = peuple/kratos = puissance) comme un régime politique au sein duquel les citoyens sont des sujets responsables, à des titres divers, de l’exercice du pouvoir. Fondamentalement la démocratie est «la vocation d’hommes vivant en commun et appelés à prendre en charge leur destin individuel et social, dans des institutions de types variées.»
Ce qui fonde la démocratie, toute démocratie, c’est :
–La reconnaissance de la liberté, de la responsabilité personnelle de chaque citoyen ;
–la nécessité Cie la participation de tous les citoyens
— à la vie publique, à la réalisation du bien commun,
— aux efforts et aux fruits de la croissance sociale et économique ;
–Le respect des droits et aussi des devoirs de tous, qui seul peut assurer des relations harmonieuses entre pouvoirs publics et citoyens.
Ce qui juge la démocratie, toute démocratie, c’est :
–l’aune du sens et du respect du bien commun ;
–Le respect de la différence et la tolérance ;
–La volonté de transparence en toutes circonstances ;
–L’acceptation de l’alternance. .
Quelle que soit l’originalité de la voie choisie, la spécificité culturelle des pays qui veulent la pratiquer, la démocratie ne peut s’organiser sans la mise en place d’institutions qui la sous-tendent :
—Un Gouvernement composé d’hommes et de femmes responsables, honnêtes et compétents pour gouverner ;
—Un Parlement autonome et non manipulé qui légifère ;
—Un corps judiciaire indépendant et intègre qui juge ;
—La séparation réelle de ces trois pouvoirs est une exigence pour une authentique démocratie.
L’exercice de la démocratie requiert enfin une organisation protégée des libertés individuelles et collectives :
—Liberté de pensée et de religion ;
—Liberté d’expression et de presse ;
—Liberté d’association et de réunion.
Si nous nous sommes permis ce rappel, Monsieur le Président, c’est que la démocratie est un produit de civilisation tellement précieux et tellement fragile qu’il faut éviter de la galvauder. Préciser pour cela où se trouve son fondement et ce qu’elle réclame, c’est, en même temps, préciser ce que l’on dénonce et ce que l’on veut promouvoir :.
3. DÉMOCRATIE ET ÉVOLUTIONS MALIENNES
Monsieur le Président,
C’est vrai que le mimétisme est, souvent, signe de débilité et source de déboires. Mais n’est-il pas vrai aussi qu’à l’école des leçons d’histoires des hommes et des peuples, on est toujours gagnant ?… «Ko da ko ma, 0 ye magosa ye; nka bo k’i filanw file, 0 ye filsli dan ye.»
C’est fort de cette conviction que nous avons choisi de situer notre réflexion sur la démocratie au Mali dans le contexte des mutations qui traversent tous les pays du monde aujourd’hui. Certains que notre pays qui a su accueillir et assimiler tant d’apports étrangers saura être attentif aux bouillonnements des forces de l’histoire. Car, «quand passent les souffles de l’histoire, il faut se tenir en éveil et debout si possible.» Retrouver ses propres racines et évaluer ses comportements nouveaux au regard de son héritage et des besoins du temps. Puis, dans une fidélité dynamique et créatrice, prendre les responsabilités qu’impose le Bien commun.
3.1. Nos racines culturelles de la démocratie
À l’école de nos ancêtres, si nous posions cette question : On dit que «Yere don ka fisa ni fen bè ye», dites-nous : est-il possible de fonder culturellement une pratique démocratique moderne chez nous ?» Pour sûr, ils nous répondraient : «Chez nous, la démocratie n’est pas un mot, une théorie : c’est un comportement. Nous avons des principes qui inspirent et qui règlent les comportements individuels et sociaux des hommes. Interrogeons nos proverbes:ils nous instruiront de ces exigences fondamentales pour l’existence humaine dans le monde.»
Interroger nos Proverbes! C’est ce que nous avons fait. Voici les éléments qu’ils nous ont fournis :
3.1.1. La responsabilité personnelle
La responsabilité personnelle est centrale dans notre conception de l’être homme en société. L’homme est conscience et possession de soi ; il est liberté créatrice et responsable. Il a le pouvoir (à la fois droit et devoir) de prendre librement sa vie en mains, de se déterminer soi-même librement et de façon responsable. Ce qui implique, en éthique sociale, la reconnaissance et le respect de ce droit à la liberté.
«Maa ko bee ye i yere ye”
— Devenir homme : une tâche pour l’homme lui-même. «Maa nyè, I yère, I tignè I yère”
— Réussir ou manquer sa mission d’homme, dépend d’abord de l’homme lui-même.
3.1.2. L’altérité
L’altérité est le second aspect de «l’être homme» que met en valeur notre sagesse de vie. L’homme est relation et non-
être solitaire. Chaque homme est orienté vers les autres hommes et a besoin de leur société. De telle sorte que l’homme n’est pas seul dans l’histoire : il doit se vouloir membre du peuple, de la famille, du groupe qui l’accueille. Tant et si bien qu’aucun homme ne peut s’accomplir dans une totale autarcie du moi et dans l’absence de relation, mais n’existe vraiment que là où des liens réciproques unissent les personnes.
«Maa kèra cogo o cogo, fo jènyogon ka soro i la.»
«Ni jènyogon ma soro i la, i ka maaya ma dafa»
«Maa bè ye tlancè maa ye»
“An taalan ye nyogon ye.»
Tout homme est inachevé, incomplet : nous sommes chemins d’accomplissement et de plénitude les uns pour les autres.
3.1.3. L’égalité de tous les hommes
Une autre donnée essentielle de notre «être homme» en société, c’est l’égalité fondamentale, ontologique de tous les hommes. Ce qui interdit toute discrimination.
«Kun ka koro kun ye, kun man fisa kun ye.»
«Ni ka koro ni ye, nka ni man fisa ni ye.»
L’antériorité dans l’histoire ne confère aucune supériorité, aucun «plus-être» à l’homme.
3.1.4. Autorité : une exigence de l’être-homme social
L’homme a besoin de la société. Pour que l»’être-homme» en société soit possible, l’autorité est une nécessité. Le fondement de cette exigence est lié à la création et au dessein de Dieu sur l’homme.
«Ka ton sigi, maa saba be a kunna, nyèma t’a la. Dabaa Masa ma se 0 kelen na.».
L’exercice de l’autorité, du pouvoir politique, n’est pas laissé à l’arbitraire. L’homme malien le sait : le pouvoir peut tourner la tête, devenir totalitaire. Ne dit-on pas : «Masa fila te sigi wolo kelen kan». Aussi à celui qui a reçu le don de régner, il est rappelé l’origine et les limites de son pouvoir.
L’autorité est toujours déléguée. Elle vient d’ailleurs : Dieu ?
Le peuple ? Donc elle a à rendre des comptes. ‘’Masa te a yèrè sigi.»
Le pluralisme d’expression et la nécessité de la transparence sont nécessaires pour un exercice normal de l’autorité.
Il faut faire place à la participation de tous, au débat libre et responsable, à la recherche commune. . .
Masa sosoobali te tigne fo,
Je k’a fo ye damu ye. Jè k’a ke nyogon daamu tè.»
L’alternance au pouvoir doit être acceptée et normale. «Masa kelen tile te digne ban.»
3.1.5. Les contre-pouvoirs .
En plus de la philosophie sociale exprimée par ces proverbes, il faut signaler l’existence dans nos sociétés traditionnelles, de tout un jeu de contre-pouvoirs qui garantissaient un exercice démocratique du pouvoir. Il suffit de penser ici à ce que représentaient les classes d’âges, les parentés à plaisanterie, les castes, le Koteba… La liberté d’expression qu’autorisait ces institutions tempérait le pouvoir et aidait les princes à prendre en compte les besoins et aspirations de leurs sujets, qui remontaient jusqu’à eux par cette voie.
Que nos systèmes et pratiques traditionnels véhiculent, sécrètent ici e là des imperfections est chose bien réelle. Mais les défaillances enregistrées n’entament en rien l’authenticité du modèle. Seules les œuvres de Dieu sont parfaites et malheur à l’homme qui se fait Dieu.
Seul aussi un peuple conscient de ses racines culturelles, de ses origines communes peut s’unir et se vouer, avec plus de force, à la construction de son avenir commun.
Ainsi nous souhaitons ardemment, Monsieur le Président, qu’en s’arc-boutant à cet héritage que nous a laissé le passé et qui est bien vivant encore dans les Maliens d’aujourd’hui, les responsables de notre destin soient capables de souder cette splendide aurore de la démocratie aux espérances du Mali en route vers l’avenir. Pour une pratique démocratique
moderne originale, une démocratie authentique à la malienne. Car, qu’il s’agisse de la reconnaissance de la valeur unique de chaque personne humaine, du désir de participation à tous les niveaux et de l’esprit de solidarité, nos proverbes fournissent bel et bien les fondements éthiques de l’idéal démocratique.
3.2. Trente années de pratique démocratique moderne
Mais c’est depuis 30 ans maintenant que le Mali est en route vers cet avenir, auquel son hymne national fait rêver ses enfants. «Heurts et malheurs de l’histoire…» – «Grandeur et décadence des peuples et des civilisations…» Que peut-on retenir de ces années de pratique démocratique moderne dans notre pays ?
3.2.1. Heurts… Grandeur
Du chemin a été parcouru, Monsieur le Président. Et c’est Justice envers tous ceux qui se sont dévoués, pour conduire la marche commune de notre peuple, en ces temps nouveaux de notre histoire, de le reconnaître et de l’apprécier. Et, puisque nous sommes croyants, d’en rendre grâce à Dieu aussi, le Maître de l’Histoire.
Comment ne pas souligner, en premier lieu, le sentiment national qui anime les Maliens. Par-delà la multiplicité et la diversité des populations et des civilisations, des ethnies et des religions, des cultures et des langues, les Maliens ont conscience d’être une nation, un peuple, enracinés dans un héritage commun et tendus vers un avenir, dont ils savent qu’il ne se fera que grâce à la solidarité et à la participation de tous. Voilà qui fait de notre devise «Un peuple, Un But, Une Foi» et de la laïcité constitutionnelle de notre État, un acquis indéniable.
Et que dire de notre volonté, tant et tant de fois affirmée et confirmée par les actes de dialogue, de tolérance et de paix ? Sinon qu’elle est un précieux héritage que nous avons tenu à conserver à tout prix et su enrichir obstinément, durant ces premières décennies de notre histoire moderne ?
Il faut retenir aussi, vu du côté des populations, un désir de plus en plus grand de participation à la vie publique, à la
réalisation du bien commun. Cela répond, du côté des responsables du bien commun, à des appels de plus en plus insistants et continus, pour une prise en charge de notre destin individuel et social. Les efforts des uns sont souvent à la mesure des convictions et des exemples des autres…
À cela peuvent se rattacher :
— L’effort pour une décentralisation associant les populations aux prises des décisions les concernant, aux activités
et engagements touchant leurs cadres et conditions de vie quotidienne.
— L’effort d’encadrement et d’animation du monde rural pour rendre les paysans responsables de leur propre développement.
Signalons, enfin, même si c’est ambigu, que les Maliens font montre d’une sérénité et d’un sens de l’humour, étonnants sinon admirables, face aux difficultés conjoncturelles et à l’infortune qui ont marqué ces 30 années de souveraineté nationale retrouvée. Mais il est difficile de dire si cette sérénité et ce sens de l’humour sont les signes d’une authentique foi en Dieu. Ou, au contraire, s’ils sont signes, ou d’un fatalisme qui n’honore ni Dieu ni l’homme, ou d’une inconscience (l’une nonchalance, d’une indifférence, face aux enjeux et défis de l’indépendance et de la construction nationales. Ne disiez-vous pas, vous-même, un jour : «Ko te digi malidenw na, 0 de be digi ne la ? «
3.2.2. Malheurs… décadence
Mais nul doute, Monsieur le Président, que nous aurions été plus vite et plus loin durant ces 30 années, si certains freins, certains blocages n’avaient éteint l’enthousiasme des lendemains de l’indépendance.
C’est vrai : notre contexte économique et social se caractérise, aujourd’hui, par un marasme général. Ce marasme a érodé tout notre environnement social.
Autrefois, notre paysage socioculturel reposait sur les deux piliers essentiels que sont Dieu et l’homme. Dieu, Créateur et Régisseur de tous ; l’homme, un autre moi-même. Le comportement collectif et individuel, les relations interpersonnelles empreintes de respect et de solidarité étaient régis par ce sens de Dieu et de l’homme.
Aujourd’hui, cet environnement social connaît un ravalement du sens de Dieu et de l’homme. Cela se traduit par une dégradation progressive des comportements sociaux qui privilégient, désormais, la débrouillardise, les relations d’intérêt et «utilisent» la religion : l’appartenance religieuse est une garantie de sécurité sociale.
Autre, trait inquiétant de ce marasme : le chômage des jeunes. À la fois : le chômage qui frappe la grande majorité
de ceux qui ont la «chance d’aller à l’école’’ . Cela, à cause d’une scolarisation, toujours inadaptée, malgré les multiples
réformes, qui déverse dans les rues des villes et à la campagne, une foule de jeunes en quête du travail. Et le sous-emploi croissant dont souffrent les jeunes de la campagne eux-mêmes, par suite des conditions climatiques défavorables. Ce qui favorise l’exode des jeunes.
De tout cela résulte :
— Un désœuvrement général et un désenchantement tragique et démobilisateur.
— On se trouve ainsi, aujourd’hui, dans notre pays devant ce paradoxe : un pays où tout est à faire, d’une part des bras et les intelligences disponibles qui n’ont rien à faire d’autre part.
Un dernier trait inquiétant. Il touche au pouvoir politique. Durant ces 30 ans, nous avons vécu deux décennies presque de parti unique, séparées par l’intermède du CMLN. Faut-il dire qu’aucun des 2 partis en question n’a vraiment réussi à galvaniser, pendant longtemps, l’enthousiasme et l’espérance des masses populaires ? Ces derniers temps en tout cas, des Conseils nationaux, des Congrès, des rencontres-débats avec les couches socio-professionnelles, ont analysé et stigmatisé les maux qui rongent l’actuel parti unique. Mais les remèdes proposés n’ont, jusqu’ici, pas réussi à donner au parti d’avoir prise réellement sur les populations… surtout dans les villes : les fruits ont déçu l’espérance des fleurs… Ce qui faisait dire à un paysan : «Lorsque, dès sa croissance, un enfant oblige ses parents et leurs amis à être constamment à son chevet, que peut-on espérer de lui» ?
Sur ce sujet, permettez-nous, Monsieur le Président, de nous faire l’écho de deux questions. Comment expliquer qu’un parti unique, dont l’ambition est de regrouper l’ensemble des populations pour gagner la bataille du développent, ne soit l’affaire que d’une petite «élite»! Et surtout, est-il normal que cette «élite politique» devienne en même temps, l’élite économique et que les militants et les citoyens en arrivent à la conclusion que le militantisme est la meilleure échelle d’ascension sociale rapide ? Nous savons bien que cela rejoint un trait de notre mentalité malienne, qu’illustrent bien ces proverbes :
«Maa te den don, k’ a ko sin i yere ma.
Maa te se ka ji do ni ni dooni ma bon i kan.
Maa te se ka di bo, n’i ma bolo lano.»
Mais avec une telle mentalité, n’est-ce pas la ruine des chances de mobilisation et de dynamisation du parti ? .. De plus, n’est-ce pas ‘la porte ouverte à tous ces «ismes» (arrivisme, népotisme, affairisme) et à tous ces ‘ions» (corruption, concussions, répression… ) qui :
— minent la crédibilité et des leaders politiques et du parti lui-même ;
— étouffent l’esprit d’initiative et de créativité ;
— tuent le goût de la lutte et hélas! de la plupart des valeurs morales ;
— mènent à se prosterner devant la triple idole de la puissance, de la réussite et de l’argent ;
— provoquent finalement, l’effritement de toute autorité : celle de la famille, comme celles de l’école, des administrations, des communautés de foi elles-mêmes, en même temps qu’ils rendent impossibles toute formation et éducation civique cohérentes et crédibles.
Vous le voyez, Monsieur le Président, notre environnement social et politique a entraîné une série de crises éthique et morale dont les répercussions marquent notre vie de tous les jours. Les conséquences sont là, en effet, inquiétantes pour notre souvenir commun. L’individualisme forcené, la perte du sens du bien commun. Le formalisme et ritualisme religieux, le manque de projet à long terme : voilà qui caractérisent l’homme malien, aujourd’hui. Pour ne donner qu’un seul exemple : lorsqu’au ‘Maa kelen ta te den ye» d’autrefois, répond, aujourd’hui, cette interrogation agressive : «E den do wa ?» n’est-on pas en droit de s’inquiéter pour l’avenir qu’augure ce changement ?
Faut-il conclure que le Mali est en état d’anomie (le Malien d’aujourd’hui croit que tout peut se négocier) sans ambitions collectives et à proprement parler démoralisées et désabusé ?…
Faut-il aller plus loin encore et ajouter, qu’avec la crise de l’autorité qui sévit dans le pays, ni la famille, ni l’état ni l’école, ni toujours les communautés de foi ne sont désormais en état d’assurer le minimum de cohésion et d’unité sans lequel un peuple n’est pas autre chose qu’un agrégat d’individus anonymes et sans consistance ? Certains ne vont-ils pas jusqu’à dire : «nyèma te malidenw na bilen, danbe t’an na» ! ‘…
Évêques, notre foi en Dieu, qui se veut aussi foi et confiance en l’homme malien, nous interdit de telles conclusions. «Une société d’hommes est un être mystérieux et il n’est jamais bon de croire seulement au visage qu’elle nous montre en un temps donné.» Au cœur même de la crise que traverse notre pays, nous croyons possible de construire une société nouvelle, au service de l’homme et d’un Mali solidaire et ouvert. Surtout lorsque se multiplient les faits qui donnent à espérer que bientôt pourrait se lever l’aurore d’un Jour nouveau.
3.3. Sous le souffle du renouveau et de l’espoir
Oui, Monsieur le Président !
Tels des veilleurs (Évêque = veiller sur) qui scrutent le ciel, en quête des signes précurseurs de l’aurore, nous avons découvert dans le paysage de notre vie politique et sociale, de ces derniers temps, des faits, signes (l’une volonté et/ou d’aspirations pour le changement. Essayer de dire à quelles conditions les mutations qui se dessinent constitueront une réponse adéquate et pertinente aux défis de l’économie, du social et du politique que nous venons d’évoquer, tel est, maintenant, notre propos.
3.3.1. Une volonté de changement
C’est le changement vu du côté des autorités du Pays. Les faits qui le montrent, ce sont tous les séminaires initiés depuis quelque temps. Leur succession, leur multiplicité et la diversité de leur contenu et de leurs participants, nous semblent constituer de votre part, Monsieur le Président, autant de provocations à un sursaut national. Comme si, à travers tout cela, vous vous efforcez d’inscrire dans l’esprit, dans le cœur, dans la volonté et dans le comportement quotidien des Maliens cet appel : «Il faut que quelque chose change au Mali.» … C’est ainsi que nous réjouissent et nous donnent à espérer :
— Les conférences, les tournées et toutes les initiatives pour éveiller au sens et au respect du bien commun. C’est la moralisation de la vie publique.
— Le séminaire sur la décentralisation administrative, dont l’enjeu profond est de garantir aux populations une vie meilleure, plus humaine, plus libre et plus responsable, en cherchant à fonder la construction nationale sur la participation de chacun.
— Le séminaire sur l’emploi des jeunes, qui manifeste que les jeunes représentent réellement le plus grand défi lancé à la nation malienne qui se construit. Et que tout doit être mis en œuvre, le chômage des jeunes ne transforme en antagonisme de classe les rapports de générations.
— Le séminaire sur l’autorité de la cellule familiale, qui nous crie bien fort que la famille est le passage obligé de tout effort pour bâtir un avenir meilleur, un Mali meilleur.
— Le séminaire sur l’alphabétisation, qui centre l’attention sur l’homme. Cet homme, qui doit être au point de départ et au point d’arrivée de tout effort de développement comme de tout effort de plus grande démocratisation. Il faut l’équiper pour qu’il soit capable de prendre en mains sa vie et l’avenir de sa société.
3.3.2. Aspirations au changement
Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’un vent de liberté grandissant souffle sur le pays.
— Les gens s’expriment de plus en plus ouvertement sur les problèmes de l’État et sur les comportements des responsables.
— Une presse indépendante du pouvoir a vu le jour et ose poser des problèmes, aborder des sujets jusqu’à présent tabous.
— Un intérêt généralisé et une curiosité attentive se manifestent pour les bouleversements politiques qui se produisent ailleurs et auxquels font écho radio et télévisions.
— Quelques phrases brèves, cueillies au vol, au cours d’entretiens dans le monde rural, disent aussi, à leur manière l’aspiration à plus de liberté et de vérité, de justice et de respect, de responsabilité et de participation.
Plus que des changements de personnes, c’est des changements de structures qui sont attendus. Écoutez plutôt :
«Qu’on nous donne la paix.»
«Qu’on nous dispense de la peur», peur de l’administration, du politique, des agents de l’État de toutes sortes.
Le titre de ‘’ faama» donné par les paysans à tout ce monde est significatif à cet égard. Devant un «faama» que peut faire un ‘’faantan», dans notre mentalité ?
«Qu’on nous ouvre les yeux, la bouche, que nous puissions parler sans inquiétude».
«Qu’on nous épargne les humiliations, les querelles confessionnelles ; «
3.3.3. Aspirations au multipartisme
Des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent aujourd’hui ouvertement, en ville notamment, contre le parti unique et en faveur du multipartisme. Que disent-elles ces voix ?
— Qu’il faut mettre fin au parti unique actuel «dont l’horloge a sonné tous ses coups».
— Que l’expérience du parti unique, dans notre pays, c’est un échec.
— Que parler de démocratie à l’intérieur d’un parti unique, c’est un leurre, un faux-fuyant .
— Que les réformes engagées ou annoncées, aussi encourageantes soient-elles, restent insuffisantes. Elles doivent nécessairement déboucher sur la renonciation à gouverner le pays avec un parti unique et sur la naissance d’un multipartisme où chacun jouirait des mêmes droits.
3.3.4. L’enjeu de ces aspirations
Devant de telles aspirations que souhaiter, Monsieur le Président, sinon souhaiter ardemment qu’au parler-vrai, corresponde un agir en vérité ? Des engagements ont été pris, des promesses ont été faites (n’est-ce pas le sens des résolutions d’un séminaire ?) qui ont soulevé beaucoup d’espoir. Il serait dommage que l’attente, l’espoir de changements nés de tout cela, soient frustrés et que la vie poursuive son cours après toutes ces rencontres comme si rien n’avait eu lieu.
Car, en fin de compte, l’enjeu de toutes ces revendications et aspirations, c’est plus qu’un choix de système politique : parti unique ou multipartisme. L’enjeu, c’est un CHOIX de société. Une société ou les personnes jouissent de leur droit d’initiative. Où les corps intermédiaires retrouvent la place et le rôle qui leur reviennent. Où des contre- pouvoirs réels permettent le contrôle, la transparence.
Comment ne pas souhaiter alors que toutes les voix libérées et n’est-ce pas vous-même qui les avez libérées ces voix, depuis le 19 novembre et, plus récemment, en invitant aux débats sur la démocratie – ne soient pas que des forces d’opposition ? Qu’elles soient des forces de propositions. Afin que la liberté de parole étant donnée, soit donnée aussi l’unité de la population, pour une construction nationale fondée sur la justice et l’amour, les droits de l’homme et un plus grand partage économique et politique.
3.3.5. Le défi de la reconstruction de l’homme malien
C’est vous dire, Monsieur le Président, que, pour nous, le grand défi à relever, est celui de la «reconstruction», de l’homme malien. Comment espérer, en effet, bâtir un Mali dine de l’homme et de Dieu, avec des hommes déstructurés, démoralisés, désenchantés et démobilisés ? L’homme malien doit se réconcilier avec sa vocation, son histoire. Il doit retrouver confiance en lui-même. Retrouver confiance en son semblable. Retrouver confiance en l’avenir de son pays.
Retrouver confiance en Dieu.
N’est-ce pas à cela que le Pape Jean Paul II nous a invités amicalement, durant sa visite chez nous.
«Je forme le vœu que les Maliens aient vraiment confiance en eux-mêmes et qu’ils prennent résolument leur avenir en mains. Qu’ils se fassent confiance les uns aux autres et qu’ils ne perdent pas de vue que l’homme doit être l’origine et le terme de tout développement économique et social.» (Discours d’adieu).
Nous souvenons-nous encore de ces paroles ? Comment y répondrons-nous dans notre vie ?
Nous y répondrons :
— Si les leaders, en tous domaines, deviennent des exemples qui inspirent la confiance et le respect.
— Si les divers acteurs de la vie en société (famille, école, syndicat, parti(s) politique(s), communautés de foi jouent. Pleinement leur rôle d’éducation et de formation. «La liberté et la démocratie cela signifie la participation et la responsabilité de tous.» Les meilleurs leaders ne peuvent pas, seuls, faire grand-chose.
— Si les fidèles des diverses confessions religieuses sont des croyants soucieux de cohérence entre leur VIe et leur foi en Dieu. TI faut que tous les croyants maliens comprennent que Dieu n’habite pas dans toutes les paroles pieuses. «Si chaque fois que nous disons Dieu, cela n’impliquait pas nécessairement que nous voulions signifier la justice, la liberté, l’amour, alors nous ne parlons pas du Dieu vivant, mais d’une idole. Seul est en bons termes avec Dieu, celui qui est en bons termes de justice et d’amour avec les autres hommes.»
Le Pape Jean Paul II nous disait : «Je souhaite que Dieu continue à occuper la place qui lui revient dans tout cœur humain. Je forme aussi le vœu, qu’avec son aide, chacun dans son existence, donne à autrui la part qui lui revient, dans une conscience toujours plus généreuse. (Discours à l’arrivée)
— Si tous les Maliens retrouvent et développent le sens du bien commun et le goût du développement et de l’honnêteté à son service.
— Si chaque homme, chaque femme, au Mali, ancre en lui la conviction que Dieu l’a créé et le veut responsable de lui-même, de la société qui l’accueille, du monde où il vit.
Et si, bannissant toute résignation, tout fatalisme, il s’engage pour construire un Mali meilleur, un avenir meilleur, pour tous.
— Si enfin, le jeu politique et toute la vie sociale sont soumis à la justice et à la vérité. Il faut parler et agir en vérité.
Il faut reconnaître, sans discrimination, la valeur des gens responsables, compétents et honnêtes.
— Si et si et si… tout cela était réalisé, pour sûr, le Malien reprendrait confiance en lui-même, dans les institutions de
l’État, dans l’avenir de son pays. Car nous croyons, avec Vaclav Havel, que seule «Une République démocratiquement prospère et en même temps socialement juste, bref une république humaine, qui servira l’homme, peut espérer, en retour, que l’homme le servira.»
3.3.6. Une laïcité positive
Le défi de la reconstruction de l’homme Malien devient ainsi le défi des valeurs spirituelles. L’édifice du Mali moderne doit se construire sur des principes spirituels. Et ces principes spirituels, «Ces indispensables principes de sagesse supérieure ne peuvent reposer que sur la foi en Dieu.» … «Seuls ces principes sont capables, non seulement de le soutenir, mais aussi de l’éclairer et de l’animer.» (Pape Paul VI à l’ONU). .
Dire cela, c’est inviter à donner un contenu positif dynamique à la laïcité constitutionnelle. Comment pouvons-nous continuer à dire que nous sommes un peuple de croyants et éduquer nos enfants comme le ferait un peuple sans Dieu ?
Et organiser tout notre vivre en commun sans y faire de place explicite pour Dieu ? Nous satisfaire des seules références verbales à Dieu, dans nos comportements quotidiens et dans notre vie sociale publique, n’est-ce pas courir le risque de transformer en un peuple d’athées notre peuple de croyants ? … «L’homme peut organiser la terre sans Dieu. Mais sans Dieu il ne peut en fin de compte, que l’organiser contre l’homme.»
De toute évidence, Monsieur le Président, il y a là dans cette entreprise de reconstruction de l’homme malien, un effort qui nous engage tous. Politiques, administratifs, chefs religieux, hommes et femmes, enfants, jeunes et adultes.
Chacun peut et doit apporter sa pierre à l’édifice.
Pas chacun de son côté cependant : c’est une tâche à accomplir ensemble. Le défi exige, pour être relevé, une solidarité plus vraie de tout le peuple malien. Et cette solidarité ne trouvera sa juste mesure que si chacun prend conscience de la nécessité, pour lui personnellement, de ce sursaut national, de cette conversion que nous appelons de nos vœux. Afin de ne pas rater les rendez-vous de notre pays avec l’histoire, qui sont les rendez-vous de chacun de nous.
3.4. «Il faut que quelque chose change au Mali»
Vous le savez bien, Monsieur le Président! Évêques, nous ne sommes candidats à rien, si ce n’est au service de l’homme et de tout l’homme. Aussi, face aux évolutions en cours nous voudrions apparaître devant vous, comme des hommes habités par un seul souci, une seule ambition : contribuer à guérir ce pays, à guérir l’homme malien. Les guérir, parce que nous sommes certains qu’ils sont aimés de Dieu et que ce qu’ils sont, aujourd’hui, n’est sûrement pas le destin que Dieu veut pour eux. Dieu aime les hommes et les femmes debout. Jamais il ne les veut les bras baissés.
Vous dire que seul un changement peut apporter la guérison souhaitée, c’est de notre part, vous parler vrai et la preuve d’un vrai amour pour notre peuple. Vous demander d’accepter de bien vouloir prendre l’initiative de ce nouveau changement dans la vie politique de notre pays, c’est témoigner, devant vous de l’espérance des populations et pour vous de notre confiance et de notre amitié.
3.4.1. Obstacles sur la route du changement
Nous n’ignorons pas, Monsieur le Président que votre chemin vers toujours plus de démocratie, connaît des difficultés. Une série d’obstacles se dresse, en effet, contre l’avènement d’un nouvel ordre démocratique dans notre pays. Voici ceux qui nous paraissent les plus significatifs, parce que pouvant provoquer des blocages qui conduiraient à l’immobilisme et à la peur du changement.
La morosité du climat social et économique :
Elle a causé une baisse inquiétante de l’Idéal moral et du tonus spirituel. On peut craindre, de ce fait et à bon droit, qu’il n y ait plus, dans notre société, le potentiel spirituel, moral et simplement humain requis par le changement.
L’idéal serait de pouvoir déchiffrer les énigmes «du mal malien», pour exister en vérité, aujourd’hui ; et faire face à notre commun avenir… À défaut de cela, puisque le Malien croit qu’aujourd’hui tout peut se négocier, pourquoi ne pas chercher le biais par lequel négocier avec lui sa propre reconstruction ? Le dicton : «Segu te karaba, Segu be negen» n’énonce-t-il pas un principe capable d’aider dans la conduite des hommes ? ..
De toute manière, il faut que le Malien d’aujourd’hui comprenne et accepte effectivement que le changement des structures et des politiques en place ne suffit pas. Il n’est pas d’avenir pour le Mali, en dehors d’un changement de mentalités et de comportements, de la part de chacun et de tous, sans exception ; et cela à tous les niveaux. Si les aspirations actuelles à la liberté, à la responsabilité, à la participation, ne sont pas vécues avec un esprit nouveau, un cœur nouveau de solidarité, de respect mutuel et d’amour mutuel : les changements, s’ils se produisent, risquent bien d’être dés changements «trompe-l’œil»…
Le degré de maturité politique des populations :
Il faut reconnaître que, faute de formation civique suffisante, la maturité politique, celle des ruraux autant que celle des citadins, comme l’attestent les renouvellements en cours des organes du Parti Unique est telle que les enjeux politiques se ramènent bien souvent à des 9uestions (pour ne pas
dire des «rivalités») de personnes. Si l’on est prêt à se battre pour des personnes, on ne l’est pas d’emblée pour les projets de société, des conceptions de la vie. Et c’est bien là, pourtant l’enjeu fondamental au débat politique et de l’activité politique : une conception de notre vivre ensemble en société.
Le Parti Unique au pouvoir :
Avec l’appareil politico-administratif qu’il a mis en place, le Parti Unique peut difficilement être neutre, dans l’éventualité d’un changement.
C’est vrai, avec Vaclav Havel, les Maliens doivent accepter que l’héritage des dernières années «est comme quelque chose que nous avons nous-mêmes commis contre nous.» Selon l’expression forte du Pape Jean Paul II «Tous nous sommes véritablement responsables pour tous.» Et il ne serait pas honnête d’inculper les seuls leaders des Partis Uniques qui se sont succédé.
Reste, cependant, que c’est le système de gouvernement par un Parti Unique constitutionnel qui est remis en question. Et c’est sa suppression qui, pour les opposants, conditionne toute recherche d’un autre avenir pour le pays, toute recherche d’un nouvel ordre démocratique.
L’autocritique, la remise en question de soi-même n’est facile pour personne. Comment ceux qui ont été les privilégiés au Parti Unique et ceux qu’ils ont mis en place pourraient-ils, dès lors, organiser et conduire le changement, de façon crédible pour tous ? C’est un peu comme si on demandait à un homme qui a trouvé une poule aux œufs d’or de tuer sa poule…
L’Armée :
C’est un fait : sa place nouvelle et son nouveau rôle dans notre société font problème. Des faits quotidiens montrent qu’entre le militant en uniforme et le militant en civil, les chances sont inégales au départ, le jeu est inégal.
C’est un fait aussi : l’armée est perçue comme pesant beaucoup trop sur la vie politique du pays, sur notre avenir
commun à bâtir. D’avoir été mêlée profondément à la marche des affaires publiques, ces 20 dernières années, au niveau politique, administratif, économique, a entraîné une baisse de crédit, de la confiance et de la crédibilité qui lui étaient accordées. Certains en sont même venus à douter de sa capacité d’accomplir, actuellement, son rôle traditionnel de «défense nationale». Tout se sait au Mali!
Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que de plus en plus de personnes posent de plus en plus ouvertement la
question d’une redéfinition du statut de l’armée dans la perspective d’un nouvel ordre démocratique. Sans se cacher la difficulté que l’armée puisse être «totalement acquise» à son seul rôle traditionnel, ne peut-on pas souhaiter, pour pouvoir inventer librement un nouvel avenir démocratique, qu’elle revienne à sa vocation première et essentielle de «défense nationale» ?
3.4.2. Nécessité d’un changement
Même si la voie qui mène au changement est semée d’écueils, nous croyons, Monsieur le Président, que l’heure n’est plus à s’interroger sur sa nécessité, mais sur la manière de la conduire. Car, redisons-le, «Quand passent les souffles de l’histoire, il faut se tenir en- éveil et debout si possible.» Ce que traduit assez bien ce proverbe de chez nous : «Boli tuma don ka fisa nsen ka di ye».
N’est-il pas vrai et n’est-ce pas votre conviction profonde personnelle, forgée par votre longue expérience de la responsabilité politique, que : mieux vaut gouverner les événements, plutôt que d’être conduits par eux» ?
N’est-ce pas faire preuve de sagesse humaine et de sens politique que d’éviter de devoir emboîter le pas aux évolutions en court, sous la pression de la rue et des événements» ?
À cet égard, n’est-ce pas le signe d’un sens de l’histoire averti, que ‘’prêter attention à des réactions informelles d’en bas, en marge du domaine politique formel, et de désamorcer les violences qui sourdent pour n’avoir pas à user de la répression» ?
Pour notre part, Monsieur le Président, nous ne doutons pas un seul instant de votre détermination à tout faire pour épargner à ce pays et à ce peuple que vous aimez tant, des remous et des troubles, qui détruiraient les fruits et le souvenir de près de 22 années de dévouement et de sacrifices.
Il ne faut absolument pas que ceux qui, n’ayant plus rien à perdre et tout à gagner, parce qu’ils se croient les oubliés et victimes du système, en viennent à exprimer dans la rue, par la violence, leur exaspération et leur désespoir.
Acceptez donc, Monsieur le Président, acceptez d’aller plus loin, et plus vite, sur la voie de la démocratisation que vous-même avez ouverte sous les pas du peuple malien. (Entre sortir le peuple malien libéré du parti unique et laisser périr, ne fût-ce qu’un seul Malien sous les décombres du parti unique, le choix n’est-il pas fait d’avance pour vous ?) Pour une société de justice et de paix, de partage et de solidarité, d’épanouissement de tout homme, accepter de faire magnanimement le ‘’pari’’ pour l’avènement d’un certain multipartisme chez nous. Acceptez-le, oui ; acceptez-le, Monsieur le Président. Voilà l’humble requête que nous vous remettons en toute amitié, au terme presque de nos réflexions.
3.4.3. Le multipartisme au Mali
D’aucuns vous demanderont peut-être, Monsieur le Président, «Croyez-vous que les Maliens sont mûrs pour le Multipartisme» ? … Et d’autres renchériront : «Auriez-vous oublié les événements douloureux que notre pays a connus, tant durant les années de lutte pour l’Indépendance Nationale, qu’aux premiers temps de notre Souveraineté retrouvée ?»
Mûrs ou pas mûrs pour le multipartisme ?
Il nous semble que lors des débats sur la démocratie et sur le «mal malien», les Maliens ont montré qu’ils pouvaient être considérés comme un «peuple adulte. Un peuple qui a pris la mesure des forces négatives qui cherchent à limiter sa croissance, l’exercice de ses droits comme de ses responsabilités, et qui a décidé de les rejeter : n’est-il pas effectivement un peuple mûr ?
La question «mûrs ou pas mûrs» nous paraît donc une fausse question. Quelqu’un qui n’est pas mûr pour le multipartisme ne l’est pas davantage pour le monopartisme.
D’autre part, la maturité politique n’est jamais acquise une fois pour toutes : elle est le fruit d’une quête quotidienne, car une maturité politique ne va pas sans :
— Une maturité économique, une gestion adéquate rationnelle des biens du pays au bénéfice de l’ensemble des populations ; .
— Une maturité humaine, l’acceptation adulte d’une morale personnelle et sociale ;
— Maturité spirituelle, la reconnaissance pratique d’une hiérarchie des’ valeurs, avec la suprématie des valeurs spirituelles ;
— Maturité critique, l’évaluation critique constante, tant des comportements individuels et sociaux dans le vivre en commun, que des structures nécessaires à notre «vivre ensemble» harmonieux.
Voici quelques propositions pour tendre vers une telle maturité :
— Mettre en œuvre une alternance réelle dans les charges et les fonctions, afin de démythifier l’élitisme ;
— Intensifier les programmes d’alphabétisation, de formation civique et d information, pour rendre les populations conscientes de leurs droits et devoirs et aptes à les exercer ;
— Promouvoir une vraie décentralisation, pour faire des populations des partenaires effectifs des divers pouvoirs et hâter le développement du pays. Une telle décentralisation pourrait être un chemin vers une autre forme de gouvernement, où il y ait place pour la riche variété de nos populations.
Notre expérience antérieure du multipartisme :
Il est vrai que le souvenir des violences, qui ont marqué les débuts de notre histoire moderne, est encore bien vivace. Mais cette blessure toujours ouverte dans le flanc de notre société, n’est-elle pas, précisément, par elle-même, un appel constant et insistant à tous, pour que le bon sens et la sagesse, le respect mutuel et la tolérance, le respect de la paix civile et de notre nécessaire solidarité régissent définitivement la vie politique de notre pays ?
D’autre part, rien n’interdit l’élaboration de repères éthiques pour une pratique démocratique soucieuse de paix et de justice pour tous. Dans ce cadre, des mesures seraient prises pour décourager et condamner d’avance ceux qui seraient tentés de renouveler les violences mentionnées. Une sorte d’incitation aux divers partis politiques à chercher une
forme de coexistence où la ‘raison», le «droit», et la «négociation», l’emportent toujours sur la ‘’passion’’, la ‘’force’’ et la «violence.»
Quoi qu’il en soit, un héritage s’assume en totalité. Nos responsabilités actuelles nous imposent d’assumer en «adultes’’ les événements douloureux de notre passé commun, sans rancune et sans rancœur. Regarder ce passé en «adultes», pourra nous aider à retrouver et à dépasser ce qui nous a divisés. Alors, loin de constituer un ‘’épouvantail» que l’on ne cesserait de brandir, les violences passées nous pousseront à plus de réalisme face aux exigences de la revendication pour le multipartisme.
4. AU RISQUE D’UNE OPTION : LE MULTIPARTISME
Monsieur le Président,
Au terme de nos considérations, voici la conviction qui nous anime. Elle est tout entière tournée vers l’avenir.
L’édifice que vous avez construit, en 22 ans, ne doit pas tomber en ruine, Il doit être perfectionné et adapté aux exigences nouvelles de l’histoire de notre pays.
Vingt-deux ans, pour un homme politique, c’est la richesse d’une expérience incontestable dans la conduite des hommes. Cette expérience, vous la devez aux Maliens, en ces temps où la barque de leur histoire commune est entrée sous le souffle d’un vent de renouveau et d’espoir.
Cette conviction qui nous anime se fait espérance et confiance, Monsieur le Président, tandis que nous nous disposons à la partager avec vous, en vous confiant maintenant, avec respect, notre choix pour le multipartisme et notre vœu de le voir initié par vous.
4.1.Pourquoi notre choix pour le multipartisme
Pourquoi croire et espérer que le pluralisme démocratique constitue aujourd’hui pour les Maliens un chemin possible vers plus de démocratie, vers un avenir meilleur pour tous ?
— Vous le comprenez, ce n’est de notre part ni mimétisme, ni fatalité, ni facilité, ni panacée.
— C’est tout simplement reconnaître :
-…- d’une part, l’existence actuelle d’une pluralité effective d’opinions politiques, fruit d’une libération réelle que vous avez voulue dans notre société ;
-…- D’autre part, la nécessité de passer de cette pluralité de fait à un pluralisme de droit, un pluralisme institutionnel vécu fraternellement. Pour éviter que le maintien du monopartisme ne conduise à la violence et à la division qu’il veut prévenir. Et pour permettre à des espoirs de plus grande démocratisation, souvent allumés et souvent déçus, de devenir enfin réalité.
Historiquement, nous avons opté pour le Parti Unique, en vue de mieux asseoir l’Unité Nationale et de pouvoir mieux relever le défi du développement. «Unité Nationale, Développement» : ce double défi des commencements, n’est-il pas un défi de tous les temps ? Les Maliens auront toujours à apprendre à vivre ensemble sur le chemin de leur histoire commune. Et leur solidarité vécue quotidiennement restera toujours une condition nécessaire pour hâter le développement en faveur de tous.
— C’est surtout parce que : Incontestablement, le multipartisme est plus épanouissant pour un peuple. Il correspond, en effet, aux aspirations les plus légitimes de chaque personne humaine dont la richesse et la grandeur résident dans la reconnaissance de son apport de complémentarité, dans un concert aux instruments multiples et divers. Il est un espace institutionnalisé qui permet à des voix oppositionnelles de s’exprimer avec plus de liberté et de vérité.
Ajoutons que le multipartisme peut permettre, nous le croyons, à des personnes et à des groupes de sortir de leur attitude de passivité ou d’attentisme pour prendre des initiatives et participer activement à la construction nationale.
4.2. Quel pluralisme démocratique pour le Mali ?
Une des idées-forces qui se dégage de toutes nos réflexions, c’est que l’avenir du Mali se trouve «le long du chemin de solidarité» qui lie et relie, fait communiquer et communier tous les habitants du pays, alors qu’ils travaillent côte à côte, pour le bien commun, dans le respect mutuel.
Une voix amie, celle du Pape Jean Paul II, nous l’a dit avec force, ce 30 janvier 1990 :
«A tout le peuple malien, j’offre mes vœux fervents pour sa marche déterminée vers le progrès… Le Mali dispose d’un héritage historique prestigieux. Sur une terre admirable, sa population unie est un atout puissant de stabilité sociale et un ciment pour l’unité nationale.»
Partant de là, nous pensons que la Charte de la vie politique au Mali devrait préconiser seulement :
— Un multipartisme qui préserve l’unité nationale et garantit la laïcité constitutionnelle de l’État : «Un Peuple, Un
But, Une Foi.» ;
— un multipartisme qui assure une alternance politique sans heurts, par des voies légales normales ; une transparence dans les comportements politiques qui favorise la confiance, la justice et la croissance pour tous ;
— un multipartisme qui préserve l’autonomie effective des institutions nécessaires à l’exercice d’une saine démocratie ;
— un multipartisme où le nombre des partis soit limité par le Peuple, par des moyens constitutionnels.
Comment baliser la route de notre marche commune vers un pluralisme démocratique qui comble les attentes
des Maliens ?
* Un Référendum ?
Cela nous semble inutile. Que peuvent bien signifier, en effet, les résultats d’une consultation du peuple dans le
contexte actuel ?
Par contre, il nous paraît indispensable d’organiser une vaste information et une éducation civique des populations, en vue d’un large débat national, regroupant les représentants significatifs des diverses couches de notre société.
* Une révision constitutionnelle ?
Oui, sans doute. Puisqu’il faudra prendre en compte les changements exigés par cette nouvelle étape de la vie démocratique dans notre pays.
* Des mesures de décrispation sociale ?
Nous ne sommes pas des «prophètes». Mais nous sommes conscients du climat de malaise actuel. Nous sommes témoins aussi des scènes qui marquent, en ce moment, le renouvellement des instances du Parti unique.
Dans ce climat de marasme social et de passion que peut-on augurer de l’instauration du mu1tipartisme? Qu’elle marque l’aurore d’un jour nouveau et d’un avenir meilleur pour tous les Maliens ? Nous ne le croyons pas.
À notre humble avis, ce serait sagesse d’admettre, d’abord, de façon claire, le principe du multipartisme. De poser ensuite, en direction de certaines couches cibles de la population, des gestes concrets de décrispation sociale, gestes qui puissent servir de test. Cela permettrait de créer le climat consensuel indispensable, pour entrer dans cette nouvelle étape de démocratisation de notre vivre en commun.
Monsieur le Président,
«An ye min soro k’a fo, 0 de file nin ye».
En vous remettant ce dossier, nous mesurons le poids de l’engagement que nous avions pris, en vous promettant notre contribution aux débats sur la démocratie. N’est-il pas vrai, en effet, que «Kuma ka qelen, nka kumabaliya ma nyi» ? …
«Tignè bee fo man di … «
Oui, Monsieur le Président, prendre la parole ou se taire, c’est toujours courir un risque. Le risque de plaire ou de déplaire ; de servir la vérité ou de la trahir, de renforcer des liens d’amitié et de communion ou de les affaiblir ; de semer des germes de vie et de croissance ou de mort et de régression ; d’être compris ou incompris. La parole a vraiment une fonction sociale dans nos traditions de vie en commun.
Cette sagesse de vie, reçue de notre passé, est celle de nos Saintes Écritures. La Bible dit à quiconque la lit et l’accueille : «Aucune parole mauvaise ne doit sortir de votre bouche ; mais, s’il y en a besoin, dites une parole bonne et constructive, bienveillante pour ceux qui vous écoutent.»
(Saint Paul dans sa lettre aux Éphésiens 4,29).
«Une parole bonne et constructive. Une parole bienveillante.» Telle se veut notre contribution.
Avons-nous réussi ? … Nous ne le savons pas… Mais nous savons et cela ne souffre aucune équivoque de notre
part que cette contribution est signe et preuve de :
— notre amour pour notre pays et de notre désir d’un avenir meilleur pour toutes ses populations ;
— notre respectueuse amitié pour vous, Monsieur le Président, qui guidez le destin commun du peuple malien depuis 22 ans ;
— notre volonté de servir le peuple malien, au nom de notre foi en Jésus-Christ et de la responsabilité qu’il nous a confiée, pour le bien de tous.
C’est ainsi, Monsieur le Président, que nous vous prions de bien vouloir accepter notre contribution. Même en ce qui pourrait ne pas vous plaire… Le proverbe de chez nous ne dit-il pas : «Maa tanudon, 0 bee te don nyuman ye» ? …
Bamako, le 30 octobre 1990.
Mgr Luc SANGARE, Archevêque de Bamako.
Mgr Jean Marie CISSE, Évêque de Sikasso
et Président de la Conférence Épiscopale.