Grâce à sa virtuosité et son inspiration très fertile, car ancrée dans un riche terroir folklorique et artistique, Djélimady Tounkara avait contribué à faire du Rail Band de Bamako une formation phare du Mali de 1970 à 2003. Un groupe de talents qui a également écrit une partie des plus belles pages musicales d’Afrique de l’Ouest. Il s’en est suivi naturellement des collaborations et surtout une carrière solo déjà riche de deux albums que sont «Sigui» (2001) et «Solon Kônô» (2004). Et depuis le 4 mars 2016, sa discographie s’est enrichie de «Djely blues». Un album atypique à plus d’un titre.
«Ce volume est spécial pour moi, car c’est uniquement Djélimady. Cela est très important pour moi», souligne Djélimady Tounkara à propos de son nouvel opus, «Djély blues». En réalisant cet opus, il prouve que sa réputation «d’homme orchestre» n’est pas surfaite. Un album entièrement instrumental pour «Label Bleu». La première d’une carrière artistique déjà exceptionnelle. Il offre aux mélomanes une œuvre dépouillée de chœur féminin, de chants en bambara remplacés par de discrètes paroles d'un taman accompagnant le jeu des cordes. Comme l’écrit si pertinemment un confrère, «l'héritage de ses aïeux griots, les sonorités mandingues évoluent ici dans une gamme personnelle», variant d'un blues afro-américain nonchalant (Djély blues) à un swing ciselé par les notes virtuoses de Djélimady (Dianamogo), d'une mélancolie mandingue (Sory Mankanbora) à des riffs lumineux (Niméra Sylla).
«Djély blues» est donc une œuvre multidimensionnelle qui regorge «toutes les couleurs du monde, de l'Afrique à Cuba en passant par le Mississipi». Toutes les influences musicales d'un artiste ouvert à toutes les expériences. «Je fais du blues manding. Ce n’est un secret pour personne aujourd’hui que le blues est venu d’Afrique, principalement du Mali. J’ai travaillé sur deux variations, américaine et mandingue, mais avec la même cadence», décrit le virtuose de la guitare. «À mon avis, la musique n’a pas de frontières. Quand j’écoute quelque chose, bambara, flamenco ou blues, je peux le traduire dans le manding et le résultat est toujours à hauteur de souhait», précise l’artiste, sans aucune vanité. Il reconnaît que cet album est fortement influencé par la salsa, la musique cubaine qu’il a découverte en premier, en dehors de son terroir. «Nous avons grandi dans la musique cubaine», dit-il.
Il faut rappeler que la star de Boudefo (Kita/région de Kayes) a, à son actif, plusieurs expériences musicales comme par exemple «Afrocubism». Un projet musical réalisé avec des musiciens africains et cubains. Sur «Djély blues», le guitariste malien «laisse libre cours à sa fantaisie» en compagnie de son jeune et nouveau trio composé de Sékou Kanté (guitare basse), Sayon Camara (guitare rythmique) et Yacouba Sissoko (percussions). Il a composé l’intégralité de ce dernier opus enregistré à Bamako en octobre 2014. En vrai leader, Djélimady s’y illustre encore par son jeu de guitare atypique. Une particularité qu’il lie au fait qu’il a commencé par le N’goni pour accompagner sa maman aux cérémonies sociales (mariages, baptêmes) à Boudefo, voire à Kita. Un instrument qu’il a abandonné au profit de la guitare, au grand dam de son papa, un virtuose du N’goni. Mais cet instrument traditionnel influence toujours son étincelant et éblouissant jeu de guitare. Un style apprécié et envié à travers le monde.
Comme le précédent, cet album est bien accueilli par les critiques qui trouvent que le virtuose y atteint «une grâce nouvelle dans un subtil dialogue de cordes». Ses solos parfaitement ajustés, entre composition et improvisation, tissent une ligne harmonique tout au long des 11 titres de Djély blues (Ankaben, Diamana Mara Mansa, Dianamogo, Sansénésougoro, Mansa, Dénibarika, Djely blues, Alloumasson Dianfama, Sory Mankanbora, Denandiya et Niméra Sylla).
Pour d’autres, c’est «un album brillant qui est un vrai régal pour les oreilles» et que les fans pourront apprécier sur scène, dès ce printemps, à l’occasion de la nouvelle tournée de la star. Mais, à l’unanimité, les critiques reconnaissent que l’héritage et la maîtrise artistiques de Djélimady Tounkara «s'épanouissent et s'étendent dans cet album-espace où le temps semble sans mesure». Une reconnaissance qui vaut appel à découvrir cette délicieuse galette, Djély blues !
NB : Djély Blues de Djélimady Tounkara (Label Bleu, mars 2016)
Moussa BOLLY