La guerre du Mali n’aura pas lieu, pourrait-on dire, en paraphrasant Jean Baudrillard, qui publiait en 1991 une tribune dans Libération titrée « la Guerre du Golfe n’a pas eu lieu ».
La chute de Gao entre les mains des forces françaises, et celle prochaine de Tombouctou, où des soldats français et maliens sont arrivés ce dimanche, montre que ce conflit ne ressemble à aucun autre, et s’inscrit dans un espace temporel et géographique plus complexe.
Les combattants jihadistes ont bien lu « Sun Tzu pour les nuls », et ils savent, avec ce stratège chinois du VIe siècle avant J.-C., qu’il ne sert à rien de mener une bataille perdue d’avance. Inutile de « mourir pour Gao », face à une armée française supérieure en armement et en moyens : contrairement à ceux d’In Amenas, la semaine dernière, ces combattants-là ne sont pas des kamikazes.
Ils se sont évaporés dans un désert qui fait deux fois la taille de la France (si l’on considère sa seule partie malienne), sans doute en partie vers les montagnes situées plus au nord. La région de Kidal, bombardée dimanche par les jets français, leur offre pléthore de refuges imprenables. Et ils n’ont assurément pas dit leur dernier mot.
Toutefois, cette entrée en douceur des troupes françaises à Gao, aussitôt suivies de soldats maliens aéroportés pour faire de cette opération un succès « franco-malien », montre que la deuxième phase du conflit est en phase d’achèvement.
Mais ce n’est pas la fin de la guerre.
1- Un tour de force militaire... et un coup de bluff
L’issue militaire qui se dessine sera intervenue bien plus vite que quiconque l’avait prévu.
Reste Kidal, dans le nord-est, la ville natale du chef d’Ansar Dine Iyad Ag Ghali, dont la maison a été détruite dimanche par un raid aérien français. Si les troupes au sol poussent jusque là, dans la foulée de leur succès actuel, elles risquent de s’exposer la zone étant moins facile à contrôler. Plus près de leurs bases, il y a Tombouctou, ville symbole du conflit depuis la destruction des mausolées, où des soldats français et maliens seraient entrés ce dimanche.
Quoi qu’il en soit, l’état-major français a su inverser rapidement le rapport de force : en stoppant le premier jour, par des moyens aériens, les colonnes jihadistes en route vers le Sud, et en acheminant au Mali des moyens matériels et humains considérables, il a montré qu’il ne comptait pas s’arrêter à l’ancienne ligne de démarcation Nord-Sud.
Les jihadistes en ont tiré la conclusion logique, et, malgré quelques escarmouches, n’ont jamais opposé de résistance à l’avancée des Français. Ce n’est ainsi qu’ils font la guerre.
En deux semaines, les troupes françaises ont donc quasiment réduit à néant près d’un an d’avancées des jihadistes, avec un retour à la case départ sur le plan militaire – à condition que l’armée malienne parvienne à se réinstaller dans les zones urbaines du nord.
C’est un tour de force militaire qui n’était pas acquis d’avance, mais qui a su combiner la dimension psychologique des frappes aériennes initiales avec une détermination à avancer sans attendre que l’aide du reste du monde. Il y avait une part de bluff, et il a marché.
Pour autant, aucun des problèmes qui ont créé cette crise n’a été réglé.
2 - Deux pièges politiques pour la France
Le succès des troupes françaises dans la reconquête du nord pose au moins deux problèmes majeurs :
Le risque de représailles et d’exactions vis-à-vis des populations touaregs soupçonnées d’avoir participé au côté des jihadistes à l’élimination de l’armée et de l’administration maliennes du nord l’an dernier.
Dès la semaine dernière, les premières informations faisant état d’exactions contre des Touaregs ont circulé à Sévaré, une ville du centre au cœur des combats.
Comment assurer que le retour des soldats maliens à Gao, dès samedi dans les soutes des avions de transport français, ne sera pas marqué par de nouvelles exactions contre les Touaregs et les autres ethnies du Nord soupçonnées de complicité jihadiste ?
Les organisations de défense des droits de l’homme alertent sur ce sujet depuis le début de l’intervention française, sans réponse satisfaisante jusqu’ici.
Le retour au « statu quo ante “ se fait à une telle vitesse qu’aucune solution politique n’a encore été esquissée, ni à Bamako où le flou institutionnel règne entre les militaires putschistes et le gouvernement par interim, ni dans le Nord, où les revendications des populations locales sont à l’origine de trois décennies d’instabilité.
Si la victoire militaire n’est pas doublée d’une solution politique, elle ne sera qu’une parenthèse dans un conflit éternellement renouvelé.
Face à ces deux défis, les intentions françaises ne sont pas des plus claires.
D’une part, si des massacres étaient commis contre les Touaregs, la responsabilité française serait clairement engagée. De l’autre, bonne nouvelle, la poussée française a fissuré le front jihadiste : les rebelles historiques du MNLA avaient déjà pris leurs distances et fait une offre de service aux Français, voici désormais une nouvelle scission au sein d’Ansar Dine.
C’est le plus local des trois principaux mouvements jihadistes qui se dit prêt à négocier. Il y a une opportunité à la fois d’affaiblir le front jihadiste qui n’a jamais été monolithique, et d’engager la discussion politique sur l’avenir des Touaregs.
Quant à la confusion politique à Bamako, la France a sans doute manqué de temps pour y remédier, décidant de répondre en urgence à l’appel à l’aide du président malien par interim Dioncounda Traoré. Mais Paris devra un jour ou l’autre s’exprimer plus clairement qu’il ne l’a fait jusqu’ici.
Le retour à un cadre institutionnel démocratique à Bamako, brutalement interrompu par les hommes du capitaine Amadou Haya Sanogo le 21 mars, peut-il être un objectif de guerre explicite ? La France ne l’a jamais dit clairement.
Mais si la victoire militaire se traduisait par la perpétuation du flou institutionnel actuel, ou pire par le renforcement d’une armée putschiste, cela serait un échec politique pour la France.
3 - Hollande doit expliquer les objectifs de cette guerre
Et voilà reposée la question des buts de guerre, flous depuis l’entrée en guerre.
S’agissait-il de stopper l’avancée jihadiste vers le sud ? Cet objectif a été atteint... et dépassé.
S’agissait-il de reconquérir le Nord, comme cela a été publiquement énoncé ? Assurément, et c’est en cours de réalisation.
S’agit-il de ‘lutter contre le terrorisme’ ? Large et flou, cet objectif-là ne peut pas être atteint par la seule éviction des groupes armés islamistes des grandes agglomérations du Nord. Pire, il risque d’entraîner la France dans une guerre sans fin, qu’elle ne pourra espérer mener seule.
II est temps que François Hollande revienne devant les Français pour préciser ses objectifs. C’est le seul moyen de conserver le consensus relatif qui s’est manifesté dans le pays autour de cette intervention d’un type nouveau.