Le Mali découvre avec stupéfaction que certains de ses enfants devenus des djihadistes invétérés parient désormais sur la mort, menaçant du coup toute la sous-région. Il faut une bonne dose de fanatisme et un désespoir existentiel profond pour arriver à une telle extrémité.
Dans un pays où la vie humaine est proclamée sacrée, il y a de quoi semer le désarroi. Peut-on vaincre les « fous de Dieu » sans adopter les comportements sécuritaires et citoyens appropriés ? La connaissance et le respect des valeurs et principes de la république ne sont-ils pas les moyens les plus sûrs pour garantir à terme la cohésion de la nation qui reste le creuset dans lequel doivent se fondre tous les groupes sociaux, toutes les cultures?
LES VALEURS CITOYENNES
Le Mali a une longue histoire dont ses populations sont fières à juste titre parce que chaque entité sociale a le sentiment d’avoir écrit une page glorieuse de cette histoire. Même si le pays a connu le fait colonial, l’essentiel de sa culture a été préservé. Le passage des royaumes et empires d’antan à l’Etat moderne a été un processus long et parfois douloureux. Les valeurs citoyennes actuelles combinent ainsi des références sociétales héritées de la Charte du Mandé et de la Déclaration Universelle des droits de l’homme et du citoyen. Entre valeurs propres et valeurs d’emprunt, la cohabitation n’est pas toujours aisée.
De « Kurukanfuga » à ce jour, la liberté de l’être humain se trouve au cœur des valeurs citoyennes. C’est pourquoi, seule la loi en tant qu’expression de la volonté générale peut restreindre la liberté individuelle ou collective. C’est au nom de la liberté qui rime avec égalité que l’esclavage et toutes les formes de totalitarisme sont combattus, pour rapprocher les hommes et donner un sens à la fraternité humaine.
La laïcité par contre est une valeur d’emprunt, alors que Dieu est présent et joue un rôle prééminent dans tout ce que nous faisons. Au contraire de la France par exemple, les USA proclament leur foi en Dieu avec la formule « In God, we trust ». Notre perception de la laïcité, différente de celle de la France, est plus proche du modèle américain. Musulmans, Chrétiens ou Animistes, Dieu reste au cœur de nos activités et préoccupations.
La langue d’expression officielle, le français est une autre valeur d’emprunt qui n’est pas partagée par tous, mais elle a vocation à assurer la cohésion de la nation au plan institutionnel et administratif. C’est un choix politique qui n’est pas dirigé contre la promotion des langues nationales et qui n’est pas irréversible.
LES PRINCIPES REPUBLICAINS
Aux termes de l’article 25 de la Constitution, « le Mali est une République… indivisible, démocratique, laïque et sociale ». Le principe de l’indivisibilité signifie que la loi est appliquée uniformément sur l’ensemble du territoire malien. Le caractère laïc de l’Etat garantit le libre exercice de toutes les religions, la liberté de pensée et de croyance. Le choix du système démocratique consacre la séparation des pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire). L’affirmation du caractère social implique la protection des citoyens face à la maladie, l’analphabétisme et le chômage.
L’article 2 de la Constitution dispose que les Maliens naissent et demeurent libres et égaux en droits et en devoirs, que toute discrimination fondée sur l’origine sociale, la couleur (de la peau), la langue, la race, le sexe, la religion, et l’opinion politique est prohibée. Le principe de l’égalité de tous (hommes/femmes notamment) est ainsi clairement affirmé. Toutefois, entre l’affirmation du principe et la garantie de son application, il y a tout un cheminement. A titre d’exemple, l’égalité des genres n’est garantie en France que depuis 2008.
En conséquence, le débat sur la parité doit s’inspirer des difficultés rencontrées lors de l’adoption du nouveau code de la famille. Une approche par un débat sur la complémentarité serait mieux perçue, homme et femme pouvant se retrouver chacun, selon les circonstances dans le rôle du complément de l’autre. Le reste viendrait plus facilement car chaque peuple va à son rythme.
LES SYMBOLES LIES A L’HISTOIRE
Certains symboles sont issus de l’organisation sociale traditionnelle et d’autres du système colonial.
Les Symboles traditionnels
Les symboles traditionnels sont présents dans la vie quotidienne des populations et ils expliquent un certain nombre de comportements sociaux.
L’humanisme malien ou « maaya » promeut la fraternité humaine ;
L’hospitalité ou « diatiguiya » consacre le droit de l’étranger, du non-résident ;
Le cousinage à plaisanterie ou « sanankouya » est un exutoire sans pareil au monde ;
Le totémisme ou « tanamanyonya » est une solution originale pour trancher les litiges.
Que dire des langues nationales, sinon qu’elles ont leur place dans la création des différences qui donnent un sens à la cohésion de la nation et l’établissement d’une citoyenneté culturelle ? Ces symboles qui assurent la stabilité sociale plus que les lois de la république, ne sont pourtant consacrés par aucun texte du droit positif malien. Un véritable paradoxe !
Les Symboles modernes
Ils sont ceux de l’Etat tel qu’hérité de la colonisation et de la volonté des premiers dirigeants de donner une identité politique au pays. On pourrait en retenir quatre.
La devise : Un Peuple – Un But – Une Foi ;
Le drapeau national: vert, or, rouge est l’emblème du pays ;
L’hymne national « Le Mali », sonne le rassemblement et l’engagement ;
Le 22 septembre : jour de la proclamation officielle de l’indépendance du pays a été consacré fête nationale du Mali.
Pour assurer le bien vivre collectif, il faut nécessairement que les valeurs et principes de la République soient connus et respectés. Pour qu’ils soient respectés, il faut que les populations y adhèrent. Mais comment pourraient-elles y adhérer si leurs préoccupations essentielles ne sont pas prises en compte : réhabilitation et observance des valeurs sociétales majeures, protection des biens publics contre les actes de prédation qui créent les inégalités sociales, sources de frustration, de méfiance et même de défiance vis-à-vis des autorités. Depuis longtemps déjà, le Mali s’est illustré dans la production de contre modèles et de contre valeurs qui exposent dangereusement sa jeunesse ; une jeunesse que la mauvaise gouvernance réduit aux emplois précaires, à la mendicité ou à l’émigration. Les Islamistes qui disposent d’importants moyens financiers n’ont aucun mal à s’approvisionner sur un terreau aussi fertile. Il est plus que temps d’avancer vers des réformes audacieuses, de sorte que les programmes scolaires, le découpage administratif résultant de la nouvelle politique de décentralisation et la Loi fondamentale elle-même, deviennent le reflet des valeurs sûres de notre société, car aucun peuple ne peut s’épanouir durablement avec des valeurs d’emprunt et sans sacrifices.
Mahamadou Camara