Titulaire d’une maîtrise en droit privé obtenue à l’École nationale d’administration (ENA) de Bamako, Modibo KADJOKE a été successivement Directeur du Fonds auto-renouvelable pour l’emploi (FARE) et Directeur général de l’Agence pour la promotion de l’emploi des jeunes (APEJ). Il a été nommé ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle dans le Gouvernement de CISSE Mariam Kaïdama SIDIBE, le 6 avril 2011. Militant et responsable au Congrès national d’initiative démocratique (CNID), Modibo KADJOKE a quitté ce parti pour porter sur les fonts baptismaux, avec d’autres camarades, l’APM-Maliko. Mais pour son témoignage, c’est à son parcours de militant au sein de l’Association des diplômés initiateurs et demandeurs d’emploi (ADIDE) que nous lui avons fait appel. Il nous parle à cœur ouvert du rôle de la jeunesse dans la Révolution de Mars 91, de ses réserves quant à la gestion de l’après 26 Mars et de son vœu d’union sacrée autour de l’essentiel qu’est le Mali.
Info-Matin : Bonsoir Excellence. Notre pays célèbre, cette année 2016, le 25e anniversaire de la Révolution du 26 Mars 1991. Pouvez-vous nous parler du rôle de la jeunesse dans cette révolution ?
KADJOKE : Merci. Avant de répondre à cette question, il sied de s’incliner devant la mémoire de nos camarades qui ont perdu la vie pendant ce grand mouvement que notre pays a connu. Comme on dit chez nous, ‘’que leur âme réponse en paix’’. Que la terre leur soit légère !
Pour les événements du 26 Mars, la jeunesse malienne a joué un très grand rôle. Nous étions à plusieurs niveaux. J’en faisais partie. La jeunesse était dans plusieurs associations qui sont devenues partenaires des associations politiques. La jeunesse était aussi dans les associations politiques. Il y avait l’AEEM qui était dirigée par des leaders estudiantins. C’étaient des jeunes. Ils étaient assez nombreux et en mouvement. Il y avait des jeunes demandeurs d’emploi. C’était au niveau de l’ADIDE. Il y avait d’autres associations telles que l’AJDP, la JLD et les associations politiques que nous connaissons qui sont l’ADEMA, le CNID. Nous, à l’ADIDE, on était une jeunesse de diplômés sans emploi. Nous avons joué beaucoup de rôles dans les débats, dans l’organisation, dans l’encadrement des mouvements. Quelque part, si les mouvements du 26 Mars ont réussi, à travers la poussée des populations, la jeunesse y a aussi joué un grand rôle. C’est pourquoi d’ailleurs, après la chute du régime, ils nous ont fait une place dans les instances transitoires. L’ADIDE était représentée au niveau du CTSP. L’AEEM également était là ainsi que les autres associations de jeunesse. C’était une façon de reconnaître le grand rôle que nous avons joué dans ce mouvement-là.
Info-Matin : Quels étaient les griefs de la jeunesse « politisée » tout de même contre le régime GMT ?
KADJOKE : Il y avait plusieurs choses. Il y avait le mouvement estudiantin qui avait commencé depuis très longtemps. Ces mouvements ont continué. L’AEEM avait ses revendications. C’est vrai, les leaders des associations politiques étaient aussi derrière. Mais après, nous aussi, au niveau de l’ADIDE, nous avions nos revendications. C’étaient des revendications différentes. Donc, c’est un faisceau de revendications qui se sont rencontrées et chacun avait ses raisons propres. L’AEEM avait son cahier de doléances ; nous aussi, nous avions nos revendications propres. Au début des années 80, il y a eu l’instauration du concours d’entrée à la fonction publique. Le concours d’entrée ayant été instauré, le système éducatif n’avait pas intégré cela dans son organisation. Donc, ç’a fait que les jeunes qui avaient été formés pour être juste des fonctionnaires, des salariés, n’étaient pas recrutés et ils n’étaient pas préparés à voler de leurs propres ailes, à se débrouiller eux-mêmes, à créer des entreprises. Le dispositif d’accueil pour ces jeunes n’était pas là. Cette réflexion n’ayant pas été menée, nous avons considéré que nous étions comme des laissés pour compte. Il n’y avait pas d’issue. On n’avait pas la chance d’aller à la fonction publique. On n’y avait pas été préparé psychologiquement. À l’école, il n’y avait aucun module par rapport à la création d’entreprises ou autre. Les ONG n’étaient pas là. C’était vraiment de façon embryonnaire. Donc, il n’y avait pas d’issue. Ce sont des différents problèmes qui ont amené la jeunesse, à partir d’un certain moment, à se dire qu’il faut changer les choses pour qu’on puisse se donner plus de chance de trouver un emploi. La seule structure qui s’occupait des questions de l’emploi à l’époque était l’ANPE. Et l’ANPE était juste un bureau de placement. On l’appelait Office national de la main d’œuvre et de l’emploi. C’était un bureau public de placement. L’absence de possibilité d’emploi faisait qu’il n’y avait pas de visibilité sur l’avenir. C’est ce qui nous a motivé, nous, à poser nos revendications, à organiser des marches. L’AEEM aussi avait ses raisons. De l’autre côté, il y avait des associations politiques qui avaient été créées par des clandestins qui ont beaucoup travaillé et qui étaient actifs pendant très longtemps. C’est un ensemble de choses qui se sont rencontrées et qui ont fait la force de ce mouvement.
Info-Matin : Peut-on dire qu’elle était manipulée ou que son action relevait d’une prise de conscience quant à la nécessité d’un changement de l’ordre établi ?
KADJOKE : manipulée ? Je ne sais pas. Le mot est peut-être un peu fort. On a été encadré, guidé. Mais c’est aussi que nous avions pris conscience d’une situation qui était sans issue. À l’époque, on était là, demandeurs d’emploi. Il n’y avait pas d’offre en face. Il y avait des raisons objectives, qui nous ont amené, nous, au niveau de l’ADIDE, de nous organiser, à travailler pour qu’il y ait le changement. On réfléchissait beaucoup, on a fait beaucoup d’analyses. On avait quand même l’ouverture au niveau du ministère qui s’occupait des questions d’emploi. On avait accès au Département. Mais, dans les discussions, on ne voyait pas de contre-propositions. La fonction publique est limitée, ça, on le sait ; mais qu’elle offre en face pour que nous, on puisse espérer ? On n’en voyait pas. Il y avait l’absence d’espérance qui était là. Ce qui fait qu’on avait de bonnes raisons. Ainsi, l’AEEM ayant aussi ses bonnes raisons, les associations politiques ont certainement profité de cette convergence de problèmes. Elles nous ont encadrés. Nous avons fait des choses ensemble, on avait des problèmes en commun, à certains niveaux, chacun avait son problème. On se disait que si on mettait ensemble, cela représenterait une grande force pour changer. Chacun avait sa raison de demander le changement.
Info-Matin : Quels rapports entretenaient les jeunes avec les associations politiques dans la lutte contre le Régime d’alors ?
KADJOKE : Les jeunes étaient à plusieurs niveaux. Il y en avait qui étaient membres de ces associations. D’autres étaient dans des associations propres à la jeunesse. Il y avait aussi un partenariat entre ces associations de jeunesse et les associations politiques. Il y avait un grand mélange et certaines associations étaient parrainées par des leaders politiques. Rapports de partenariat, de camaraderie, on était souvent dans les associations politiques. Voilà ce que nous avions comme relation avec ces leaders d’associations politiques
Info-Matin : Qu’est devenue l’ADIDE très présente au cœur de la lutte politique et au sein de laquelle vous étiez très actif ?
KADJOKE : L’ADIDE a beaucoup travaillé, il faut le rappeler, pour les questions d’emploi. C’était une association très active, bien structurée, très bien organisée regroupée par profil, au-delà des revendications. Comme le nom de l’association l’indique, Association des diplômés initiateurs et demandeurs d’emploi, nous nous sommes comportés en initiateurs d’emplois. On était demandeurs, mais en même temps initiateurs d’emplois.
Comme vous le comprendrez aisément, une association de diplômés quand les gens commencent à trouver de l’emploi, il faut d’autres jeunes pour assurer la relève. Pace que celui qui a trouvé un emploi, en principe, il doit rester pour continuer à coacher, à encadrer. Malheureusement, dans notre cas, ça n’a pas beaucoup suivi. Les jeunes qui sont venus après nous n’ont pas pu continuer à entretenir l’association dans la même dynamique. Nous avons voulu, à un certain moment, nous retrouver pour essayer de relancer l’association pour qu’elle ne meure pas de sa belle mort, mais il y a eu a beaucoup de visions politiques, beaucoup de méfiance des uns et des autres, parce qu’entre-temps les jeunes sont allés dans plusieurs sens. Certains étaient à l’ADEMA, d’autres au CNID, au PARENA. Chacun a pensé que si l’initiative venait de telle personne, elle risquerait d’attirer l’association vers son parti politique. Cette méfiance a fait qu’on n’a vraiment pas pu relancer l’association. Malheureusement, la personne la plus dynamique dans cette œuvre était Faboukary dit Demba KEITA, paix à son âme. Je pense qu’après son décès les choses se sont empirées, parce que, lui, il était un peu la mémoire. C’était la personne la plus active qui pouvait essayer de rassembler et de faire en sorte que l’association puisse continuer d’exister, renaître. Après son décès, les choses se sont totalement arrêtées. L’ADIDE existe encore, mais on ne l’entend plus parler.
Info-Matin : Quel est l’état d’âme qui vous anime, 25 ans après la Révolution ?
KADJOKE : Vous savez, quand on est dans des mouvements comme ça, on rêve beaucoup. Il faut aussi, après, être réaliste et se dire que c’était très difficile d’atteindre tous nos objectifs. Nous avons obtenu le changement politique. Il y a eu le multipartisme qui est né. Par rapport aux questions d’emplois, il y a eu beaucoup de changements. Vous voyez beaucoup de choses aujourd’hui qui sont parties de ce moment-là. Les réflexions sur l’AGETIPE étaient en cours, mais l’AGETIPE a vu le jour après, parce que l’ADIDE était là pour mettre la pression. Le PMU-Mali a été créé dans la même dynamique et la création de l’AGETIPE a permis le développement des entreprises du secteur du BTP. Tout est parti de là. Le PMU-Mali a créé beaucoup d’emplois. Nous avons aussi la création de la Cellule d’appui à l’insertion des jeunes diplômés. Il y avait le stage de qualification, parce qu’on avait identifié nos problèmes. Le cercle vicieux, pas d’expérience pas d’emploi et pas emploi pas d’expérience devait être brisé par le stage de qualification qu’on a instauré. Les difficultés d’accès au crédit ont aussi été réglées. Même dénombrer les jeunes diplômés sans emploi n’a pu être fait qu’à la suite des événements du 26 Mars, pour connaître exactement combien nous étions à l’époque.
Au niveau de l’ADIDE, nous avons eu beaucoup de choses qui sont parties des événements du 26 Mars. La Commission qui statue sur le concours d’entrée à la fonction compte un représentant de l’ADIDE. Tous les débats, après, sur les questions d’emploi ; que ce soit au niveau des professons libérales, que ce soit au niveau de la fonction publique, nous avons été associés, depuis les événements du 26 Mars. L’idée, pour que les juristes qui ont fait droit public puissent devenir avocats, est venue de l’ADIDE. Donc, nous pouvons dire qu’au plan politique, il y a eu des changements et sur les questions d’emplois, il y a eu beaucoup d’évolutions depuis le 26 Mars.
Après quand on a fait ce combat et quand on voit ce qui se passe souvent, pour apprécier l’évolution, c’est là où peut-être on peut avoir d’autres sentiments. Parmi les leaders des associations politiques qui étaient devant nous, qui se battaient beaucoup pour la démocratie et pour les questions de bonne gouvernance, nous avons remarqué que beaucoup n’étaient pas démocrates comme ils le disaient. Parce que nous avons suivi l’évolution dans les partis politiques, on a vu comment les débats étaient menés, on a vu quand nous sommes venus aux affaires quels étaient les comportements des hommes politiques. Ça nous a amenés à nous poser beaucoup de questions. Sinon, pour le reste, nous, on ne peut pas se plaindre du côté des questions d’emplois et du point de vue politique. Il y a eu le changement. Mais avec la conférence nationale, on a fait la grande ouverture. Actuellement avec 186, presque 200 partis politiques, les gens qui étaient là avec des libertés restreintes et qui ont été libérés, je pense qu’on devrait encadrer encore un tout petit peu.
Au départ, il y avait un élan de patriotisme très élevé au niveau du 26 Mars, après il y a eu un relâchement et c’est la faute à nous les hommes politiques, parce qu’après, nous sommes devenus des hommes politiques. Cela a fait que nous avons connu beaucoup de dérives après. C’est notre responsabilité à nous. Je ne sais pas si c’est lié au 26 Mars, mais c’est un peu l’appréciation que je fais personnellement de la situation. On aurait dû, oublier un peu nos ego et nous concerter beaucoup plus autour du Mali. Je pense qu’on aurait pu faire un très long chemin, parce que nous avons eu une transition exemplaire, le changement, nous l’avons fait, on a fait des procès. C’était vraiment un schéma qui était très bien. Mais le changement, c’est surtout au niveau des hommes politiques ; les différentes querelles ont fait un peu oublier le Mali. Les gens étaient plus concentrés sur les partis politiques et il y a eu des clivages, on a continué la bataille, ça a beaucoup perturbé la suite des événements. C’est de ce côté-là que moi personnellement je porte une appréciation un peu négative. Mais ce n’est pas par rapport à nos objectifs, mais rapport à notre capacité de gérer la suite. Peut-être qu’on a été un peu surpris par l’évolution des dossiers, je ne sais pas. Peut-être que c’était trop tôt. Peut-être qu’on n’était pas suffisamment prêt. Peut-être qu’on a fait trop de libertés. Je ne sais pas. On aurait dû nous ressaisir sur l’école, mais on ne l’a pas fait. J’ai eu l’impression qu’on a continué à utiliser les mêmes méthodes en oubliant l’essentiel. Ça fait que personnellement, je m’attendais à des résultats meilleurs, une meilleure gestion de l’après 26 Mars. C’est vraiment la gestion de l’après 26 Mars que je n’ai pas très bien apprécié 25 ans après la Révolution. Il ne faut pas jeter la pierre à quelqu’un ; il faut accepter que nous soyons tous responsables de la situation. Nous étions les acteurs au départ, nous sommes devenus des acteurs politiques.
Info-Matin : On a coutume de dire que la révolution mange ses enfants. Le 26 Mars malien a-t-il mangé ses enfants ou est-ce que c’est le 26 Mars qui a été mangé par ses enfants ?
KADJOKE : Les gens n’étaient pas au même niveau. Il y a eu de grands acteurs qui sont restés pratiquement dans l’anonymat. C’est dommage ! Parce que le 26 Mars, on aurait dû avoir des débats plus animés, plus rassembleurs. Vous demandez à tous les acteurs du 26 Mars de se rencontrer aujourd’hui, ce n’est pas évident. Ça fait qu’il y a des acteurs qui étaient là très actifs, qui ont disparu totalement, pas par la mort, mais qu’on a oubliés. Cela ne devait pas arriver. Si on s’était mis en ensemble, peut-être qu’il y aurait aujourd’hui, je ne sais pas, un musée du 26 Mars pour la postérité pour les jeunes qui viennent après, pour qu’ils comprennent ce qui s’est passé ce jour-là. Mais malheureusement, les mêmes mésententes qui sont nées après le 26 Mars, parce que c’est là où véritablement les problèmes sont partis ont continué et continuent encore à diviser. Il y en a qui en ont profité et c’est normal, mais je pense que les choses sont aussi faites ainsi.
Nous avons quand même eu l’occasion, parce que ce sont des éléments du Mouvement du 26 Mars qui ont dirigé le pays après, pendant longtemps. On a eu suffisamment de temps pour rassembler tout ce monde. On aurait vraiment pu le faire, malgré la résistance de certains. Cela aussi, il faut le reconnaître. Je sais que certains allaient résister, mais on devait continuer à insister pour qu’on se rassemble et qu’on puisse faire en sorte que les choses soient claires pour la jeunesse qui vient après pour qu’elle puisse savoir exactement ce qui s’est passé, quelles étaient nos vraies motivations et même analyser, de façon froide, avec un peu de recul, la situation, faire des débats, des livres et voir qu’est-ce qui était bien chez le régime qui était en place et ce qui n’était pas aussi bien de notre côté. Malheureusement, on n’arrive pas à créer les cadres pour ces discussions-là. Il y a eu des regroupements, on a toujours tenté de se retrouver, mais on n’est jamais parvenu à la faire. C’est vraiment dommage.
Info-Matin : Mais, après les événements de 2012 et la nouvelle donne sécuritaire et terroriste, n’est-il pas temps pour nous au Mali de dépasser le vieux clivage qui date du 26 Mars pour regarder désormais dans la même direction et pouvoir ainsi aller de l’avant en matière de développement socioéconomique de notre pays ?
KADJOKE : Absolument ! Nous sommes à un niveau aujourd’hui, et ça aussi, je ne comprends pas de la part des acteurs politiques. Regardez un peu ailleurs comment les choses se passent. Nous nous inspirons beaucoup des pays occidentaux. Il faut observer chez eux quand il y a des crises importantes comment ils font. Nos systèmes politiques et pour beaucoup de choses que nous faisons, nous nous inspirons de ce qui se passe là-bas. C’est vrai que nous aurions dû nous inspirer de ceux dont nous venons aussi. Mais si nous regardons du côté de ceux dont nous nous inspirons aujourd’hui quand il y a crise, ils se prennent tout de suite les mains, ils se regroupent tout de suite, il y a une union sacrée autour de l’essentiel. Parce que l’essentiel, c’est le Mali, l’essentiel c’est le Mali tel que nous l’avons reçu de nos parents. C’est ce Mali-là qu’on doit aussi transférer à nos enfants. Pour qu’on puisse le faire, il est important qu’on puisse se mettre ensemble. Quand la crise est profonde telle que la crise que nous avons connue dans notre pays, on devait avoir moins de clivages. Ce sont des occasions exceptionnelles dans la vie d’une nation pour tous les fils du pays, toutes les filles du pays, tous les enfants puissent se retrouver, discuter et se dire comment on peut sauver l’essentiel. Mais ce n’est pas le moment des clivages, des querelles. Devant une crise aussi profonde que le Mali a connue, pour moi, il n’y a pas clivages ; s’il est vrai que tout ce que nous faisons, nous le faisons pour ce Mali-là. Ce que nous avons connu, depuis 2012, aurait réellement dû amener les Maliens à se regrouper, à se ressaisir et à se dire aussi que beaucoup de choses qui sont arrivées aujourd’hui, comme on le dit, c’est une responsabilité commune. Tous ces acteurs sont en train de diriger ce pays depuis mars 91 ou depuis avant. Nous sommes tous responsables de tout ce qui se passe, à des niveaux différents. En ce moment, qu’est-ce qu’on doit faire quand on a une crise aussi profonde ? C’est une bonne occasion pour se ressaisir, passer en revue l’ensemble de la situation, oublier toutes nos différences, nos querelles politiques ou partisanes. Surtout que, contrairement à ce qui se passe là où nous nous inspirons, on n’a pas de différences importantes en réalité entre nos partis politiques et nos visions. Là-bas, on parlera de droite, d’extrême droite, de gauche, d’extrême gauche, des projets de société totalement différents, des visions totalement différentes. Malheureusement, dans notre cas où il n’y a pas cette différence, eux ils se retrouvent, eux qui n’ont pas la même vision, mais nous qui n’avons pas de différence fondamentale, n’arrivons jamais à nous retrouver. C’est assez inquiétant. Ça amène à se poser beaucoup de questions. Ce ne sont pas de bons exemples que nous donnons ainsi à la jeunesse qui monte. Parce que quand on est des patriotes, qu’on aime son pays, c’est des choses qu’il faut analyser et voir et souvent, ça amène des gens à se poser la question du patriotisme dans notre pays et le patriotisme même en Afrique. Nous n’avons pas la même réaction. Je ne sais pas si c’est lié à l’histoire de l’État dans notre pays, mais on ne sent pas le même amour, le même attachement. On n’a pas le même attachement que les autres par rapport à leur pays, par rapport à leur État. On fait moins de sacrifice ; les militaires, je n’en parle pas. Mais, les hommes politiques font moins de concessions quand il y a des périodes de crise. Vous voyez ce qui se passe actuellement en Europe. Il n’y a pas de divergence. Toutes les divergences sont tues en ce moment. Et notre crise est beaucoup plus profonde que la crise en Belgique ou en France, parce que c’est la nation même qui est en cause ; c’est l’État même qui est en cause. Quand on a atteint un tel niveau, il ne devrait plus y avoir de divergence. Tout le monde aurait dû se retrouver : les gens qui ont dirigé avant le 26 Mars, avant le régime de Moussa TRAORE, l’US-RDA, et entre eux US-RDA, après le 26 Mars, les acteurs du 26 Mars. On aurait dû tous se retrouver. Qui doit prendre l’initiative ? Qui peut organiser tout ça ? Ça, je ne sais pas, mais je crois que ça devrait arriver un jour. La crise était une bonne occasion pour faire redémarrer les choses. Je ne vois pas, mais c’est vraiment mon souhait pour que tous les Maliens se retrouvent qu’on oublie tous les clivages, tout ce qui s’est passé et qu’on puisse se retrouver à partir d’un certain moment et dire que ce qui compte pour nous c’est le Mali, qu’est-ce qu’on peut faire pour que le Mali puisse se retrouver, tout le Mali, que ce soit tels que certains l’analysent, des gens qui font des revendications, des gens qui ont des idées séparatistes, des gens qui ont des idées contraires. On est d’accord que c’est du Mali qu’on parle et si on est tous attaché au Mali que tous ces acteurs politiques et tout ce beau monde qu’on puisse se retrouver, analyser réellement la situation, je ne sais pas si c’est une conférence nationale qu’il faut organiser, mais ce serait important que tous ces acteurs se retrouvent pour dire sauvons ce qui nous a été cédé et tel qu’il nous a été cédé. Parce que nous n’avons pas le droit de céder un Mali encore plus bas à nos enfants. Parce que nous l’avons trouvé à un niveau. Au Mali, les choses sont en train de sérieusement se dégrader. Ça se voit à tous les niveaux. C’est important qu’on se ressaisisse et qu’on se dise qu’il est temps d’arrêter.
Info-Matin : Quel est votre mot de la fin ?
KADJOKE : Ce sont des vœux en réalité. Qu’on puisse tous se retrouver en tant que Maliens, tous autant que nous sommes, qu’on analyse les problèmes sérieusement, à partir de nos réalités propres et à partir de notre vision. Ce pays est un grand pays. Les plus grands empires de cette partie sont nés ici, nous en avons fait partie avec d’autres. Quand on voit l’histoire de ce pays, on n’a pas le droit de le laisser à un certain niveau. C’est un devoir de génération. S’inspirer de nos réalités, de nos valeurs propres, c’est un devoir de génération. S’inspirer de nos valeurs, c’est de nous ressaisir et nous dire, comme on le dit dans notre parti que par nous, nous pouvons. Ça veut dire que nous devons compter sur nous-mêmes, nous devons utiliser nos valeurs propres. Ce pays a existé depuis longtemps. Il y a toujours des problèmes, mais les gens ont toujours su se ressaisir. Réellement, si nous nous mettons ensemble, on peut régler beaucoup de choses. Le ‘’sinankuya’’ est un exemple. Nous ne l’utilisons plus dans les médiations. Il y a des concepts qui nous viennent d’ailleurs que nous utilisons. Ce n’est pas évident. Quand on va se retrouver, nous avons des choses profondes entre nous les autres ne le savent pas, si nous utilisons cela, il y a beaucoup de petites choses qu’on pourrait régler, comme nous l’avons fait par le passé.
Dans cette démarche, il faut reconnaître aussi les mérites, que les choses soient moins partisanes. Il faut accepter la méritocratie. C’est comme cela qu’on fera avancer ce pays. Quelle que soit l’appartenance politique de quelqu’un, quand il fait quelque chose d’extraordinaire, qu’on le reconnaisse et ainsi on ira vers le nivellement par le haut.
PrOPOS recueillis par Bertin DAKOUO