Dans une interview inclusive qu’il a bien voulu nous accorder, l’ancien député élu à Kati et non moins ancien ministre, Lancéni Balla Keïta, jette un regard sur la gestion à mi-mandat du Président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta. Ainsi, il se prononce sur l’Accord de paix, l’incidence de celui-ci sur l’avenir du Mali ainsi que la visite dramatique du Premier ministre Moussa Mara à Kidal, il y a deux ans. Actualité oblige, ce cadre du Parti africain pour la solidarité et la justice (Pasj) donne son point de vue sur la mise en place des autorités intérimaires dont la loi qui s’y rapporte à été adoptée par l’Assemblée nationale ce jeudi 31 mars 2016. Lisez !
Le Prétoire: Quel est votre avis sur les deux ans de Gestion d’IBK ?
Lancéni Balla Keïta : Je remercie votre journal, qui m’offre l’occasion de donner mon avis sur la gestion du Mali sous le Président IBK au pouvoir depuis plus de deux ans.
L’avènement d’IBK à la magistrature suprême au Mali avait été salué avec ovation au Mali, en Afrique et dans le Monde. Cet acte a été considéré par la grande majorité des populations maliennes et africaines comme l’aboutissement de la lutte d’un homme de parole, de dignité et de rigueur. En un mot, un patriote et un nationaliste.
Aussitôt élu, il a été confronté aux réalités de la crise du Nord, qu’il a eue comme héritage politique depuis la fin de la période de transition.
Les solutions qu’il a projetées pendant la campagne électorale, à savoir la reconquête du Nord au bout de quelques mois, l’Equipement et la réorganisation des FAMa pour faire face à leurs missions régaliennes, l’instauration de l’autorité de l’Etat sur l’ensemble des territoires perdus du Nord, n’ont pas tenues devant les contraintes et les enjeux liés à ladite crise.
Pourquoi donc ses solutions n’étaient pas adaptées au contexte ?
D’abord, il a voulu ignorer l’accord de Ouagadougou, soutenu par la communauté internationale et qui a permis de faire les élections générales sur l’ensemble du pays, y compris la présidentielle qui a vu lui IBK accéder à la tête du Mali.
Les autorités administratives étaient présentes au niveau régional et au niveau des cercles et des communes, ainsi que la présence de quelques centaines de militaires et de policiers à Kidal. Même si ces derniers étaient parqués, et empêchés de tout mouvement, l’Etat y était tout de même.
Le Président I.B.K devrait entamer les négociations, deux mois après son installation à Koulouba, avec les belligérants. Huit mois après, c’était toujours le statuquo.
Une première alerte à été donnée lors de la visite d’une forte délégation des membres des Nations Unies en début 2014.
Contrairement aux arguments avancés par I.B.K pour ne pas entamer les négociations, à savoir : «Je ne négocierai pas avec des gens armés, il faut d’abord le cantonnement avant les négociations, etc.».
Cette forte délégation lui a fait savoir que le désarmement et le cantonnement seront des résultats des négociations et non le contraire.
Le Président IBK est resté sourd à ces éclairages de la communauté internationale.
S’il avait agi dans le sens de la communauté internationale et dans le délai fixé, son régime avait une chance de s’en sortir à bon compte en ce qui concerne la résolution de la crise du Nord, parce que le Mali avait encore la chance de brandir une épée de Damoclès au dessus de la tête des rebelles et de la communauté internationale
Malheureusement, IBK n’a pas vite compris cela.
Quand a-t-il donc compris que la porte de sortie de crise était à l’Elysée et non à Koulouba ?
Il a fallu les évènements du 17 et 21 mai 2014, après la visite contestée par les rebelles de Kidal de son Premier ministre Mara, et la débâcle des 1 500 soldats envoyés sur les lieux avec l’accord d’IBK pour que ce dernier comprenne les vrais enjeux de la situation au Nord. C’est Serval qui a combattu l’armée malienne ce jour à Kidal.
Pourquoi jusque-là celui qui a ordonné aux FAMa d’attaquer les rebelles n’est pas désigné ?
Dans aucun pays au monde, une armée ne peut se mettre en mission sans le mot d’ordre, ne serait-ce que verbal, du Chef suprême des armées, sauf dans le cas d’un coup d’Etat.
Ce qui s’est passé par rapport au combat que l’armée a mené à Kidal se passe de tout commentaire, parce qu’aucun responsable ne s’est désigné comme étant le donneur d’ordre; une fuite totale de responsabilité. Toute démagogie mise à part, je tiens le Président I.B.K comme étant le seul et unique donneur d’ordre.
Comme on le dit : «la défaite est orpheline».
Le 21 mai, dans la salle du Conseil des ministres, lorsque l’information relative à la victoire des FAMa a été donnée, le Président IBK n’a pas refusé les félicitations adressées à lui par les Ministres présents dans la salle. Au contraire, il s’est senti flatté.
C’était une victoire à lui avant la débâcle des mêmes FAMa, deux heures après les applaudissements des Ministres. Alors, à vrai dire, le donneur d’ordre n’est ni le ministre de la Défense, ni le Premier ministre, encore moins le chef d’Etat-major qui avait d’ailleurs présenté sa démission à l’occasion. C’est clair comme l’eau de roche: «le voleur de poussin, c’est bien Oumé », selon un texte que j’ai lu et retenu dans le livre intitulé: «Mamadou et Bineta apprennent à lire».
Quelles ont été les conséquences de cette défaite pour les FAMa ?
Pas les FAMa seulement, IBK a été le premier à essuyer une grande honte sur le plan national et international. Paniqué, il a fini de capituler devant les rebelles, la France, la communauté internationale et avec lui, le peuple malien.
Dès lors, et même jusqu’à maintenant, le peuple continue d’encaisser les effets de cette capitulation. La preuve est que même au cours des négociations, aucune réserve de la partie malienne n’a été prise en compte dans l’accord d’Alger signé sous la pression et le chantage de la France.
Alors qu’une concertation nationale aurait permis de remettre I.B.K en selle et lui permettre d’affronter, la tête haute, les rebelles et leurs soutiens comme le souhaitaient l’opposition et la société civile.
Que pensez-vous de l’Accord d’Alger ?
D’abord, le fait d’avoir désigné l’Algérie pour agir en lieu et place du peuple malien a été une démission de la part du Président et une trahison envers le peuple qui l’a élu à près de 78%.
Ensuite, certains passages dans l’accord nous envoient directement au fédéralisme, et créent deux types de citoyens sur le même territoire, deux types de justice, deux armées, etc.
L’accord parle de partage de pouvoir, cela va entrainer forcement un partage de territoire. L’une des conséquences du partage du pouvoir est la mise en place des autorités transitoires de la CMA et de la Plateforme qui n’ont jamais renoncé à l’indépendance de cette zone, au détriment des représentants des partis politiques, qui ont toujours œuvré en faveur de la République du Mali.
L’acceptation des autorités transitoires est une prime à la rébellion.
Au Nord, actuellement on ne parle que de «population de l’Azawad, jeunes de l’Azawad, femmes de l’Azawad». Le terme Azawad est désormais opposé au reste de la République. Et en plus, ils ont déjà leur ‘’IBK de l’Azawad’’.
Egalement, je ne suis pas surpris de voir Kidal interdit aux autorités et aux symboles de la République. C’est ce que le Président IBK a fait signer malgré l’alerte vaine des partis de l’opposition et d’une partie de la société civile.
Comment envisagez-vous l’avenir du Mali avec l’Accord d’Alger ?
L’accord d’Alger a un futur très proche. Il va dans le sens de la création d’une République fédérée (le Nord et le Sud). Actuellement, toutes les preuves existent pour ce faire.
Les comportements de la Minusma, de Barkhane et des autorités françaises vont dans ce sens. Le président IBK le sait bien, mais il fait semblant de ne rien comprendre. Il veut plutôt sauver son régime, sans sauver le Mali en entier. Cela n’est pas possible, le peuple et l’armée n’accepteront pas cela.
De votre avis, le Président IBK est-il encore la solution pour le Mali ?
Le fait que je sois en contact avec les populations de toutes catégories me donne l’occasion de répondre à cette question.
Depuis l’avènement de la démocratie au Mali, c’est la première fois que le monde rural se dit déçu de la gestion d’un Président de la République sur plusieurs aspects: la lutte contre la corruption, la gouvernance, la gestion de la crise du Nord dans laquelle IBK semble tout accepter, même la partition du pays.
Sa gestion est émaillée fortement de scandales financiers. La gestion de la crise du Nord a montré aux peuples africains les limites du nationalisme et de la rigueur du Président I.B.K.
Dans la gestion de la crise du Nord, tous ceux qui peuvent faire une lecture différente de celle du Président de la République ont été écartés dès le départ pour ne pas l’empêcher de faire la paix à sa guise, même contre les intérêts du Mali. Le fiasco du forum de Kidal est l’exemple concret de la naïveté du régime face à la CMA. A mon humble avis, aujourd’hui, je pense que le Président IBK apparait aujourd’hui comme le problème à cause d’un accord mal ficelé et non la solution pour le Mali.
La majorité présidentielle est muette parce qu’elle n’a pas de bilans élogieux à présenter contre les arguments de l’opposition.
Nouhoum DICKO