La rationalité habille souvent l’émotion et l’impulsion précède parfois l’analyse. Le quitus des députés à la mise en place des autorités intérimaires a déclenché une salve de réactions quasi-instinctives qui se définissent moins par rapport au problème posé qu’en fonction des intentions malveillantes que l’on prête au pouvoir. Plutôt soucieux de la mise en œuvre d’un accord accepté de tous y compris l’opposition.
La langue de bois n’est pas la tasse de café du leader l’Union des patriotes pour la république (URP). Sur un sujet aride son point de vue est d’une redoutable simplicité. En clair, le Mali va devoir assumer pleinement la responsabilité et les conséquences de ses choix administratifs, avec le vote la semaine dernière du projet de loi instituant les autorités intérimaires dans les collectivités décentralisées. Admirées ou détestées, les autorités intérimaires ont vocation à combler le vide consécutif au départ de l’administration des zones tombées sous le contrôle des groupes rebelles et jihadistes. L’idée n’est nullement sortie droit du chapeau du régime d’Ibrahim Boubacar Keïta. Mais inscrite en bonne place de l’Accord pour la réconciliation et la paix avalisées par tous y compris l’opposition. Ou bien faudrait-il se résoudre à attendre indéfiniment la poule pondre des œufs carrés ? La nature bien que généreuse ne l’a doté de cet attribut. En d’autres termes, on ne peut cumuler le bénéfice d’un rejet partiel de l’accord et son acceptation d’ensemble.
Les options qui s’offrent aux gouvernants soucieux d’agir dans l’intérêt supérieur des filles et fils du pays semblent évidentes. Ils peuvent s’assurer que tous les enfants, sans exception soient enregistrés à la naissance et se lancent dans la vie à l’abri de la violence, reçoivent une alimentation adéquate, aient accès aux soins de santé primaires, à l’école ou manquer à ses obligations juridiques et morales énoncées dans la Convention relative aux droits de l’enfant. Le conflit armé est une expérience traumatisante qui empêche, à tout le moins, la continuation d’une existence normale. Il est sans conteste un terreau fertile pour les violations des droits. Des dizaines de milliers de personnes ont été privés de leur foyer, séparés de leur famille et ont perdu tout ce qui leur était familier.
La rationalité habille souvent l’émotion et l’impulsion précède parfois l’analyse. Le quitus des députés a déclenché une salve de réactions quasi-instinctives qui se définissent moins par rapport au problème posé qu’en fonction des intentions que l’on prête au pouvoir. Qu’on soupçonne au fond de sombres desseins et d’être capable de mauvais coups : couper l’herbe sous les pieds des opposants, notamment l’Union pour la République (URD) qui dispose d’un réservoir d’élus communaux au Septentrion.
Le gouvernement navigue dans des essais non concluants
Dr Modibo Soumaré comprend aisément le développement d’une sorte de mentalité d’assiégé qui, créant leur propre isolement et s’y complaisant, se laissent peu à peu enfermé dans le cercle de leurs illusions. On vient ainsi à ce qui est sa caractéristique dominante : l’art consommé de la contradiction. L’opposition qui a accueilli avec soulagement l’Accord emprunte sans doute des chemins tortueux en ferraillant contre l’application d’une de ses dispositions. Sous nos tropiques, on agit comme sur la scène d’un théâtre où le verbe remplace l’action. Rendons au passage hommage au sens aigu de l’effet théâtral, à la beauté formelle des formules comme si on voulait élever une digue de mots pour protéger le Mali contre la légitimation de la prise des armes, autrement dit « la prime aux armes ».
En revanche, il faut le dire, il faut l’écrire. Le gouvernement navigue dans des essais non concluants. Au finish, le Mali a perdu du temps, de l’énergie et de l’argent en misant sur le forum de Kidal censé donner un coup d’accélérateur au processus de paix. Le forum a été un flop magistral. Il ne pouvait en être autrement. Bien beau de consulter les populations, mais bien avant la conclusion de l’Accord d’Alger des rencontres communautaires ont eu lieu à l’initiative des groupes rebelles. A moins d’user de ces procédures parallèles, ce qui semble être le cas, pour signifier aux populations que l’accord leur a été imposé. A force de trop courir derrière la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), Bamako se décrédibilise aux yeux de l’opinion publique. Pendant qu’ici le gîte et le couvert est offert aux seigneurs de guerre rebelle, les membres du gouvernement sont déclarés persona non grata à Kidal.
Le fil caché de la valse-hésitation de la CMA est ses accointances avec Iyad Ag Ghali, qui a Kidal sous sa férule. Redoutable argument qui frappe du sceau de tout soupçon les appels incessants de hauts responsables de la CMA amplifiés par l’opposition d’emmancher des négociations avec le chef d’Ansar Eddine.
Le moment est venu de songer à l’architecture du décret d’application de la loi portant installation des autorités intérimaires, d’une façon à priver d’une partie de leur fondement les craintes d’une partition du pays. Ainsi à l’opposé du vœu de la CMA tendant « à vider les prérogatives du délégué du gouvernement », il convient au contraire d’étoffer la tutelle pour plusieurs raisons. Entre autres, la limitation du pouvoir de signature vise à circonscrire les risques de conclure des contrats de longue durée de nature à entraver la gouvernance des futurs élus communaux. En outre, veiller à une plus grande neutralité des autorités intérimaires gage d’élections libres, transparentes et apaisées.
En somme, des garde-fous sont indispensables pour éviter au pays de sombrer pour ne pas apporter de l’eau au moulin de ceux qui redoutent que de compromis en compromis le Mali risque de toucher le fond de la compromission. Des dispositions préalables doivent être de mise à savoir la neutralité des autorités intérimaires lors des futures échéances. Lesquelles autorités ne doivent pas participer non plus en tant que candidats aux prochaines joutes électorales et leurs décisions administratives doivent être circonscrites dans le temps, afin qu’elles débarrassent au plus vite le champ au profit d’hommes et de femmes régulièrement élus.
Le praticien du bistouri- médecin de profession-et magicien du verbe s’est longuement torturé la cervelle en vue de trouver une explication plausible à la présence du Dr Oumar Mariko, chef de file de SADI au forum de Kidal. Rien d’autre, à mon avis, qu’une grosse bourde que son discours très clean prononcé à l’occasion peine à compenser largement.
Georges François Traoré