Le projet de loi portant modification du Code des collectivités territoriales a été adopté le jeudi 31 mars 2016 par l’Assemblée nationale par 103 voix. Le vote a eu lieu en l’absence des élus de l’opposition parlementaire qui y étaient opposés et ont quitté la salle en guise de protestation. Même sérieusement amendé par les parlementaires, la polémique ne baisse pas. Ce qui présage des réelles difficultés dans la mise en œuvre de l’Accord de la paix. Un document que le gouvernement semble avoir signé l’arme de la communauté internationale sur la tempe.
Le régime d’un homme est-il plus important qu’une nation ? Un Accord de paix prédomine-t-il la constitution d’une République ? Les députés de la majorité ont répondu à ces questions par l’affirmatif en votant majoritairement le projet de loi portant modification de la loi du 07 février 2012 portant Code des collectivités territoriales. Ce projet de loi portant sur les autorités intérimaires a été voté par 103 voix pour, zéro contre et zéro abstention, mais en l’absence de l’opposition. Une absence annoncée la veille des débats sur le projet de loi à l’hémicycle.
Cette loi permettra la mise en place des autorités intérimaires au niveau des régions du nord et aussi partout ailleurs et la suppression de toutes les dispositions législatives relatives à la mise en place des délégations spéciales au niveau des collectivités territoriales. A écouter le ministre de la Décentralisation et des Réformes de l’Etat, sa mise œuvre va faciliter le retour des réfugiés, l’exécution des autres dispositions de l’Accord pour la paix et la réconciliation, la préparation des prochaines échéances électorales (communales, régionales et référendaires) «Concernant le fond, la discussion se poursuivra encore vu que chacune des parties est dans son rôle. Rarement, un projet de loi est voté avec les voix de l’opposition et de la majorité présidentielle, donc le rejet de la loi par l’opposition est normal et politiquement admissible», commente M. AbdourhamaneDicko, consultant spécialisé sur la sécurité et le développement communautaire en Afrique de l’ouest.
Si la majorité a voté le texte, il faudra néanmoins lui reconnaître le mérite de l’avoir sérieusement amandé supprimant de nombreux passages et parties prêtant à équivoques. Mais, malgré ces amendements, il y a une injustice dont la nouvelle loi est porteuse : virer de leurs postes ceux qui se sont saignés pour le pays aux profits de ceux qui ont pris les armes contre notre pays ! L’essence de la nouvelle législation est la mise en place des autorités transitoires dans les collectivités territoriales des 5 régions nord du Mali avec des modalités de mise en œuvre fixées par décret pris en conseil des ministres. Pour de nombreux observateurs, même avec la suppression de l’article 2 du projet, les autorités transitoires ne peuvent que «troubler l’ordre social dans les localités concernées».
L’assurance donnée par le ministre de la Décentralisation et des Reformes de l’Etat que cette modification s’applique à toute la République ne change presque rien en ce qui concerne le septentrion qui focalise la contestation.
Et cela à cause du risque de voir les groupes armés devenir majoritaires dans les collèges ainsi mis en place. Une occasion d’accentuer leur mainmise sur ces zones. Un risque qui ne reste pas dans le reste du pays. «A notre avis, le projet de loi adopté garantira difficilement l’ordre social vu que l’ordre politique est fortement troublé dans plusieurs localités des régions nord», craint M. Dicko.
Ce natif de la région de Gao et fin connaisseur des difficultés de coexistence des communautés, précise que dans plusieurs de ces localités septentrionales, «la ruée des nouveaux militants vers le parti au pouvoir, après l’élection présidentielle de 2013, n’a pas encore été gérée. Dans plusieurs localités, nous constatons l’existence de bureaux politiques se réclamant tous du même parti».
Dans un tel contexte, s’interroge-t-il, «la consécration d’une autorité intérimaire chaque fois que l’État constatera l’impossibilité de constituer le conseil d’une collectivité territoriale ou sa non fonctionnalité ne deviendra-t-elle pas la règle» ? Une crainte réelle d’autant plus que l’Etat n’est jamais neutre dans le jeu politique au niveau des collectivités territoriales. Il n’est donc pas exclu que celles qui ont jusque-là fonctionné sans problème soient victimes de la nouvelle loi et des querelles politiques internes. Péril sur l’ordre social Les arrangements politiques entre alliés politiques pourraient également souffrir de la nouvelle loi quand on sait que plusieurs collectivités locales sont actuellement dirigées par d’autres partis politiques de la mouvance présidentielle.
Il convient également de s’interroger sur le devenir du projet de décret qui avait été préparé en même temps que le projet de loi. Est-ce qu’il sera maintenu ? Si non, quelle est l’alternative trouvée à l’article 18 du projet de décret qui stipule que les membres des autorités transitoires soient désignés en fonction de la taille des collectivités territoriales par le gouvernement, la plateforme et la coordination ? Question pertinente d’autant plus que le ministre de la Décentralisation assure que la loi sera appliquée à l’échelle nationale alors qu’il n’y a que dans les régions de Kidal, Taoudéni et Ménaka que l’on puisse parler d’une quelconque influence d’une organisation comme la CMA. A titre de rappel, précise AbdourhamaneDicko, il faut souligner que «les concepts de société civile ou de secteur privé ne sont pas toujours fonctionnels dans les collectivités territoriales surtout au niveau des communes rurales».
«Vouloir les faire représenter au sein d’un conseil communal, pourrait être une autre raison de déchirure sociale et politique au niveau local contribuant ainsi à compromettre dangereusement la cohésion sociale et à entraver durablement le développement local», prévient le consultant dont l’expertise est sollicitée des ONG et organisations intervenant dans le Sahel.
Par conséquent, il conviendrait de fixer dès maintenant des limites assez rigides entre les acteurs sociopolitiques locaux de manière à éviter une surreprésentation des tendances ethnique, clanique, politique et sociale.
Une précaution indispensable car ce n’est qu’un secret de Polichinelle que, dans certaines contrées bien lointaines de la capitale, «des esprits sont à l’œuvre pour s’accaparer du pouvoir local afin de se mettre à l’abri d’éventuelles poursuites et aussi s’assurer de lendemains meilleurs». Maintenant que le vin est tiré (la loi est votée), il faut le boire sans se saouler et commettre l’irréparable. L’opposition menace de saisir la Cour constitutionnelle pour bloquer la législation.
Mais, nous sommes convaincus que ce processus puisse aboutir à un résultat satisfaisant dans un pays où l’indépendance des pouvoirs reste à concrétiser. Nous sommes d’accord avec M. Dicko qui conseille que, «pour l'honneur du Mali et le bonheur des Maliens», les acteurs politiques «se donnent la main pour la mise en œuvre intelligente de la nouvelle loi de manière à préserver l’unité et l’intégrité territoriale du pays. Il ne faut pas que soit possible par la loi ce qui ne l’a pas été par les armes». Sinon il est clair que les collectivités territoriales ont continué à fonctionner normalement dans de nombreuses localités des régions nord du Mali malgré la rébellion et l’occupation des réseaux terroristes.
Mais, craignent A. Dicko et de nombreux autres observateurs, «il y a fort à parier qu’il n’en sera plus ainsi à compter de la promulgation de cette loi et de la mise à disposition de son décret d’application».
Kader Toé