TOMBOUCTOU (Mali) - L'armée malienne patrouillait mardi les rues poussiéreuses de Tombouctou, après une nuit sans incidents, au lendemain de la reconquête par les militaires français et maliens de cette cité mythique du Nord Mali, devenue un symbole des exactions islamistes.
Au même moment, une conférence de donateurs internationaux destinée à
financer le déploiement d'une force africaine au Mali et la restructuration de
l'armée malienne s'est ouverte à Addis Abeba, au siège l'Union africaine.
Pays africains, Union européenne, Japon, Etats-Unis et ONU y participent.
L'UA a estimé à 460 millions de dollars le budget du seul déploiement de la
force africaine au Mali. L'organisation pan-africaine prévoit d'y contribuer à
hauteur de 10%.
Le Japon s'est engagé mardi à verser 120 millions de dollars pour le Mali
et le Sahel, quelques jours après la mort de dix Japonais dans une prise
d'otages en Algérie par des islamistes qui disaient agir en représailles à
l'intervention française.
Lundi, le Fonds monétaire international a versé lundi 18,4 millions de
dollars au Mali pour convaincre les donateurs internationaux de reprendre leur
soutien financier gelé depuis le coup d'Etat militaire de mars 2012 à Bamako.
A Tombouctou, la capitale culturelle à 900 km au nord-est de Bamako, aucune
explosion ni aucun coup de feu n'a troublé la nuit, a constaté un journaliste
de l'AFP.
Mardi à l'aube, un groupe d'hommes était déjà rassemblé pour écouter les
informations sur de petites radios à piles, sur la grande place, en face du
complexe militaire où l'armée malienne a pris ses quartiers, tandis que les
femmes, désormais sans voile intégral, vaquaient à leurs occupations
quotidiennes, des bassines posées sur la tête.
L'électricité comme le réseau téléphonique, saboté par les islamistes avant
leur fuite, sont toujours coupés dans la ville, qui risque également des
problèmes d'approvisionnement en eau puisque les pompes ne fonctionnent plus,
et où la nourriture se fait rare, selon les habitants.
Lundi, aux cris de "Mali, Mali, Mali", une foule brandissant de petits
drapeaux français et maliens a accueilli les militaires faisant leur entrée en
ville.
"Il n'y a eu aucun coup de feu, aucune goutte de sang, même pas de
résistance passive avec des pièges", avait déclaré à l'AFP lundi soir le
colonel français Frédéric Gout, chef de l'opération héliportée sur Tombouctou.
Mais les témoignages se sont multipliés sur la destruction de précieux
manuscrits datant de plusieurs siècles dans cette cité qui fut la capitale
intellectuelle et spirituelle de l'islam en Afrique aux XVe et XVIe siècles et
une prospère cité caravanière.
"Le centre Ahmed Baba où se trouvent des manuscrits de valeur a été brûlé
par les islamistes. C'est un véritable crime culturel", s'est lamenté le maire
de Tombouctou, Halley Ousmane.
L'Institut Ahmed Baba abrite entre 60.000 et 100.000 manuscrits, selon le
ministère malien de la Culture.
Selon les habitants, les islamistes ont pris la fuite après les frappes
aériennes françaises ces derniers jours.
crainte d'"exactions de l'armée"
"Nous sommes en train de gagner cette bataille", a asséné à Paris le
président français François Hollande. "Quand je dis nous, c'est l'armée
malienne, ce sont les Africains soutenus par les Français", avait-il précisé
aussitôt.
L'opération sur Tombouctou survient deux jours après la prise de Gao, plus
importante ville du nord et un des bastions des combattants islamistes, à
1.200 km au nord-est de Bamako.
Les combats à Gao ont fait 25 morts dans les rangs islamistes, selon
l'armée française.
Après Gao et Tombouctou, les regards se tournent désormais vers Kidal
(extrême nord-est), troisième grande ville du nord, à 1.500 km de Bamako.
Selon une source de sécurité malienne, les principaux responsables des
groupes islamistes armés se sont réfugiés dans les montagnes non loin de la
frontière algérienne.
Mais Kidal même serait désormais sous le contrôle des rebelles touareg du
Mouvement national pour la libération de l'Azawad (MNLA) et des dissidents du
groupe islamiste Ansar Dine (Défenseurs de l'islam), qui ont formé le
Mouvement islamique de l'Azawad (MIA).
Le MNLA assure ne pas rechercher la confrontation avec l'armée française ni
avec les militaires africains, mais vouloir empêcher "les exactions de l'armée
malienne".
La reconquête du nord laisse craindre des actes de vengeance contre les
islamistes, qui ont commis de nombreux crimes au nom de la charia (loi
islamique): amputations, lapidations, exécutions et, à Tombouctou, destruction
de nombreux mausolées de saints musulmans.
Mais aussi contre les communautés touareg et arabe, très présentes dans les
groupes armés.
La procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Fatou Bensouda, a
invité "les autorités maliennes à mettre immédiatement fin aux actes allégués"
et "à diligenter des enquêtes et poursuites à l'encontre des responsables".
Sur le terrain, quelques 3.500 soldats français et 1.900 soldats africains,
notamment tchadiens et nigériens, sont déployés au côté de l'armée malienne.
Au total, quelque 8.000 soldats africains sont attendus, mais ils
n'arrivent qu'au compte-gouttes, leur déploiement ralenti par de sérieux
problèmes de financement et de logistique.
bur-thm/jlb
Par Serge DANIEL à Bamako et Marc BASTIAN à Tombouctou