Le 22 mars 2012, deux mois après le massacre d’Aguelhok, le président ATT était renversé par la junte. Qui aurait pu penser que le Mali tanguerait toujours aussi fort en mars 2016 ?
Les gens sont fatigués. Les gens sont fatigués d’entendre que des millions de Fcfa sont dépensés pour la tenue de fora, dont les communiqués, conjoints ou séparés, sont incompréhensibles pour le citoyen lambda. Les gens sont fatigués d’entendre que tout est fait pour la mise en œuvre de l’accord pour la paix, signé il y aura bientôt un an, alors que, eux, vivent dans l’insécurité permanente. Les gens sont fatigués d’entendre que des «grandes rencontres» vont enfin permettre aux participants de résoudre ce qui les fâche depuis longtemps et ainsi faciliter le retour de l’administration sur l’ensemble du territoire. Les gens sont fatigués de ne pas avoir compris pourquoi la rencontre dite «intercommunautaire des populations de la région de Taoudéni», qui a eu lieu du 21 au 23 mars, ne réunissait principalement que des représentants des groupements arabes du Mali.
Les gens sont fatigués d’avoir espéré que le Forum de Kidal, du 28 au 31 mars, allait permettre d’entrevoir le bout du tunnel, et d’avoir appris que, finalement, les mouvements de la Plate-forme et l’Etat malien n’étaient pas présents, contrairement aux représentants de la Minusma, de Barkhane, d’organisations internationales et non gouvernementales, et au président du parti Sadi. Les gens sont fatigués de ne pas avoir bien saisi les propos du Forum de Kidal qui, dans son communiqué final, «se réjouit de l’impact positif des concertations d’Anéfis sur la libre circulation des personnes et de leurs biens sur une grande partie de l’Azawad, créant ainsi les conditions de renforcement de la confiance et la cohésion sociale entre les communautés», et «renouvelle ses remerciements au gouvernement, à la Médiation et à l’ensemble de la communauté internationale pour leur accompagnement constant au Forum».
Les gens qui ne savent ni comment assurer deux repas quotidiens à leurs parents, ni comment payer les soins à leurs petits, ont eu le vertige en entendant que l’Etat avait alloué 400 millions de Fcfa pour l’organisation de ce Forum. Quand le porte-parole de la Cma (Coordination des mouvements de l’Azawad) a déclaré que, sur cette somme, une avance de 200 millions avait bien été donnée et ensuite, répartie équitablement entre la Cma et la Plate-forme, les gens ont attrapé la nausée à force de se demander où passeraient les 200 autres millions, et de ne plus savoir qui croire, puisque la Plate-forme n’a pas participé au Forum.
Les gens sont fatigués de ce mois de mars qui s’est terminé par le vote du projet de loi N°16-06/5L portant modification de la loi N°2012-007 du 7 février 2012, en vue de la mise en place des Autorités intérimaires. Les députés de la majorité présidentielle leur ont expliqué que c’est bien «l’annexe 1 de l’accord d’Alger II qui le prévoit, que c’est la réponse de l’Etat à ses engagements, et que cela ne contrarie nulle part la loi fondamentale. D’une durée de six mois renouvelable, l’Autorité intérimaire peut être renouvelée de douze mois au plus et aura l’avantage de rester en place tant que les circonstances l’exigent jusqu’à l’installation des nouveaux Conseils». L’opposition, qui a boycotté le vote, a expliqué aux gens que ce projet de loi est un «passage en force, sans la consultation du HCC (Haut Conseil des Collectivités), alors que la mise en place de la décentralisation relève de sa compétence». Le Collectif des partis politiques de l’Opposition a précisé qu’il recommande «l'abandon de ce projet de loi et invite le gouvernement à des discussions avec la majorité et l'opposition afin de trouver un compromis acceptable pour tous».
Les gens sont fatigués de toutes ces explications contradictoires, vraiment. Le 31 mars, jour du vote de ce projet de loi, Abdullah Alkadi, qui avait été nommé gouverneur de la toute nouvelle région de Taoudéni, lors du Conseil des ministres du 19 janvier 2016, a prêté serment, expliquant que ses priorités seront de déployer rapidement l’administration, de sécuriser la région, et d’œuvrer à son développement économique. Les gens lui souhaitent bonne chance dans l’accomplissement de sa tâche, mais ne peuvent s’empêcher de craindre d’être déçus à nouveau.
Les gens ont mal à la tête à force de craindre que le sens des mots «Mali Un et Indivisible» ne soit bientôt plus compris que par les plus vieux. En ce début de mois d’avril, les Maliennes et les Maliens sont plus que jamais fatigués de penser que trop de gens profitent de l’accord pour la paix qui n’en finit pas d’être mis en œuvre, pour grossir et voyager, alors que, eux, souffrent du manque d’eau et de la chaleur, au rythme des saisons, des coupures et des délestages, dans le septentrion comme à Kayes et à Bamako. Peut-être est-il temps d’accepter l’évidence, la honte froide ne fait plus baisser certains yeux au Mali …
Françoise WASSERVOGEL