Dans une interview exclusive, l’ancien ministre de la Défense et des anciens combattants, Soumeylou Boubeye Maïga, président du parti Alliance pour la solidarité au Mali-Convergence des forces patriotiques (ASMA-CFP), aborde ses relations avec le Président de la République, son départ du Gouvernement. Il analyse la situation sociopolitique du pays et se prononce sur l’actualité brûlante. Il regrette notamment le déficit de communication du Gouvernement sur les autorités intérimaires, récemment adoptées par l’Assemblée nationale.
22 Septembre : Peut-on savoir quels sont vos rapports avec le Président de la République?
Soumeylou Boubeye Maïga: Nous avons toujours eu de bonnes relations personnelles et politiques. Bien sûr, comme toutes relations, il y a souvent des périodes délicates. Mais sur le fond, nous n’avons pas de problème. Nous avons des appréciations sur des situations et nous avons chaque fois l’opportunité d’en discuter, de nous éclairer mutuellement. Mais c’est pour pouvoir mieux repartir de l’avant.
Cela veut dire qu’il vous consulte souvent?
Oh! Vous savez, le Président de la République n’a pas le même agenda que nous. Je me force d’apporter ma contribution à la compréhension et à la conduite des affaires ou des problèmes du pays. Il prend là-dedans ce qui peut lui être plus utile. C’est ça le plus important.
Votre départ du Gouvernement avait laissé penser qu’il y aurait un froid entre vous. Cela s’est dissipé maintenant?
Non! Il n’y avait pas de problèmes. Vous savez, sur le plan politique, dans chaque situation, il faut une décision. C’était peut être la décision la moins mauvaise, c’est cela le plus important. Pour le reste, vous voyez bien que cela n’a rien altéré ni nos relations, ni notre engagement réciproque par rapport aux questions du pays, ni notre détermination à œuvrer ensemble dans le cadre du mandat qui nous a tous été confié et dont le Président est le dépositaire. Nous, nous avons pris la décision de le soutenir, bien avant le premier tour et à un moment où le vent ne lui était pas forcément favorable. C’était un choix de conviction, un choix de responsabilité et un choix de confiance aussi. Toutes choses qui ne sont pas à la merci de perturbations qui peuvent intervenir.
Quel regard portez-vous sur la gouvernance actuelle du pays?
Il y a beaucoup de termes génériques dont je me méfie beaucoup. Ce que je peux dire simplement il y a de très fortes attentes. Nous avons un pays qui a cumulé plusieurs crises et qui est passé d’une crise à une autre sans que la précédente n’ait été résolue. Donc, il y a une implication de plusieurs facteurs. Je me prends à penser toujours que le niveau de confiance dont le Président a bénéficié reflète le niveau des attentes. Et cela suppose, bien sûr, une grande responsabilité, une grande capacité de dépassement aussi. Au-delà de l’appartenance partisane, je pense que c’est aussi une mission pour reconstruire. Et pour reconstruire, il faut pouvoir rassembler et réconcilier par rapport à des objectifs communs et redonner au pays le sens d’un destin commun. Je crois que c’est cela la plus grande mission. Bien sûr, il y a énormément de contingences. Parce que nous avons un pays où l’Etat a pratiquement disparu dans beaucoup d’endroits. Même quand il est présent, la question de son utilité sociale se pose. Donc, nous sommes confrontés à la nécessité de reconstruire l’Etat, c’est-à-dire de renouveler la légitimé de l’Etat vis-à-vis des citoyens. Et cela, c’est par rapport, comme je l’ai dit, à son utilité sociale, à son impartialité (la légalité d’accès de l’ensemble des citoyens à l’action publique sans condition de fortune, de naissance ou de relation dans un pays où les 2/3 n’ont pas 30 ans). C’est-à-dire un pays qui fait face à d’énormes défis culturels, civilisationnels et de génération. Quand on dit que les attentes sont nombreuses, cela veut dire que les frustrations peuvent l’être aussi. Parce que le rythme des solutions ne suit pas toujours le niveau des attentes. Parce que les solutions sont quelques fois plus difficiles à élaborer, à mettre en œuvre, à diffuser, à disséminer. Donc, il peut y avoir de l’impatience, beaucoup de déception. Mais en ce qui nous concerne, cela ne remet aucune de nos options fondamentales en cause. Bien sûr, nous devons, avec les autres camarades, pouvoir faire le point sur la manière de mieux faire. Car, je crois fondamentalement en la notion de légitimité en démocratie. Légitimité par rapport au mandat des citoyens, légitimité technique aussi par rapport à la manière de gérer les problèmes du pays, légitimité par rapport aux perspectives que nous pouvons offrir sur le court terme, en termes de prospectives pour les citoyens.
Est-ce que vous voulez dire qu’il faut remobiliser ou réorienter la majorité présidentielle?
Oui! Vous savez, pour le moment la majorité est plus un fait arithmétique que politique. Nous avons encore des efforts à faire pour que la majorité présidentielle puisse refléter une unité d’action, une unité organique, une unité d’opinion et une unité de doctrine. Donc, là il y a un travail d’unification politique à faire, qui n’est, peut-être, pas encore fait. Mais qui se fait normalement comme dans tous les pays du monde autour de l’exécutif. Parce que c’est l’exécutif qui a la capacité de mettre en mouvement les appareils partisans pour que ceux-ci aussi puissent mettre en mouvement l’ensemble du corps social par une unité de doctrine, par rapport à un objectif commun. Donc, de ce point de vue, nous avons encore des efforts à faire. La mission historique que nous avons c’est de faire en sorte d’arriver à une unité politique très forte. Cela de manière à ce que nous puissions avancer de façon unitaire et que notre action puisse contribuer à clarifier le paysage politique pour éviter cette espèce d’éclectisme qu’on a dans les relations politiques où tout le monde est avec tout le monde. Pour notre part, au niveau de l’ASMA, notre priorité c’est de consolider, d’élargir la base de notre parti. C’est comme cela aussi que nous pouvons contribuer à élargir la base sociale de nos institutions. Chacun doit faire cet effort et puis après avoir une dynamique collective entre les forces qui, malgré tout, ont le même itinéraire. Donc, nous devons essayer d’avoir une unité organique.
Quels sont vos rapports avec le RPM, lesquels étaient exécrables à l’époque?
Nous sommes tous dans la majorité présidentielle. Nos relations avec le RPM, c’est un peu à l’image de nos relations dans la majorité présidentielle. C’est-à-dire que nous n’avons pas de démarche unitaire. Sur les différentes questions, ponctuellement, nous avons les mêmes prises de positions. En référence au soutien commun que nous apportons au Président. L’idéal aurait été que nous puissions avoir des relations politiques beaucoup plus approfondies, qui essaient de mobiliser dans un cadre unitaire dans le respect de l’identité des uns et des autres. Pour que, par exemple, au moment des échéances électorales, qu’on puisse être ensemble de manière à pouvoir transposer cette unité d’action aux niveaux communal, régional et étatique et incarner un projet collectif.
Concernant la situation de Kidal, est-ce que vous pensez que le temps a fini par vous donner raison?
Non! Ce sont des périodes différentes. Je crois qu’il faut analyser la situation de Kidal dans le cadre des problèmes que nous avons dans la gestion de notre pays. Aujourd’hui, les défis collectifs que nous avons à relever, c’est comment préserver l’unité en reconnaissant sa pluralité? Comment faire en sorte que nous puissions donner une base légale, juridique, politique et institutionnelle au pluralisme et à la diversité, non seulement identitaire que nous avons mais aussi à la diversité territoriale? Comment faire en sorte, par exemple, sans remettre en cause, le caractère unitaire de l’Etat que nous puissions faire coexister plusieurs statuts territoriaux, qui reflètent aussi des réalités sociologiques, historiques, géographiques précises. Je pense que tant que cette problématique n’est pas correctement résolue, nous aurons toujours des difficultés d’appréciation et des incompréhensions. Parce qu’on ne peut plus gérer les pays, les territoires, les populations, comme il y a 20 ans. Cela n’est pas possible. D’où aujourd’hui, partout il y a une prise de conscience très nette de l’identité territoriale. Et, on le voit, partout les citoyens aspirent à plus de libertés, à plus de responsabilités, à plus d’autonomie rapport aux problèmes qui les touchent de près. Mais en même temps, ils veulent un Etat qui garantisse à tous les citoyens la sécurité, la justice et l’impartialité par rapport aux bénéfices de l’action publique. Ce sont les problématiques auxquelles nous avons à faire et qui imposent aux leaders politiques une attitude encore plus forte qu’avant, qu’il y a quelques années. Donc, si l’on veut régler un certain nombre de situations sur des repères du passé, on peut avoir des déconvenues comme celles que nous avons connues à Kidal mais aussi ailleurs. Je crois que ce sont les défis lancés à toutes les générations. Je suis convaincu que cette crise nous donne l’occasion d’approfondir notre démocratie et de consolider le projet démocratique qui, malgré tout, a mobilisé l’ensemble des Maliens. Je pense que, comme je l’ai dit à notre congrès, du chaos peut naitre le renouveau. Mais cela suppose que nous sommes tous mobilisés dans une démarche novatrice, en matière de démocratisation et de gestion du pays, en matière de relation entre l’Etat et les citoyens et d’une grande plus prise de conscience des réalités territoriales. Celles-ci s’imposent aujourd’hui à tout le monde. Comment gérer les situations infra-étatiques en même temps que nous devons gérer des situations qui dépassent le cadre national? Nous devons surtout avoir moins d’émotivité pour faire face à ces types de problèmes et ne pas avoir une approche sentimentale qui nous fait perdre une partie de notre lucidité.
Un moment, on parlait de la fusion entre votre parti et l’ADEMA. Où en est-on avec ce projet?
Peut-être, on n’a pas parlé spécifiquement de fusion. Nous avions toujours dit que nous étions prêts à aller le plus loin possible dans la construction de relation entre notre parti et l’ADEMA. C’est pour cela que nous avons fini par avoir un groupe parlementaire commun à l’Assemblée nationale. Mais aussi avec d’autres forces politiques avec lesquelles nous avons le même itinéraire sur le plan historique, normalement avec la même culture et les objectifs. Maintenant, cette volonté qui correspond à une aspiration largement partagée par nos bases peut se heurter à de l’indécision quelques fois au niveau des sphères dirigeantes, à des hésitations, souvent pour des calculs de positionnement. Mais je suis persuadé que personne ne peut endiguer le processus de recomposition politique, le processus de retrouvaille entre ceux qui partagent les mêmes valeurs. C’est pourquoi, nous nous encourageons nos militants à travailler par le bas, à faire en sorte que nous puissions avancer, dans ce cas comme dans d’autres, dans la perspective d’une unité par le bas qui finira par s’imposer aux instances dirigeantes.
Récemment, vous avez effectué une tournée à l’intérieur de certaines de vos sections, peut-on connaître le degré d’implantation de l’ASMA?
Nous, nous sommes un jeune, même si pour la plupart nous sommes des vieux militants. Donc, nous avons un engagement politique ancien. En tant qu’organisation, nous sommes un jeune parti. Nous allons célébrer notre 3e anniversaire le 19 mai prochain. Nous nous implantons un peu partout à travers le pays. Là également, il faut pouvoir combiner différentes formes d’implantation. C’est-à-dire que pour différentes raisons, nous avons hérité d’une forme d’organisation administrative qui est calquée sur le découpage administratif et géographique. Aujourd’hui, compte tenu de l’évolution de la société, il faut pouvoir donner aux sympathisants la possibilité d’adhérer, sans être directement dans les structures, voire être mobilisables par rapport à des activités du parti. Globalement, je pense que nous évoluons positivement.
Depuis votre départ du Gouvernement, que faites-vous?
Je suis très occupé maintenant. J’ai eu chance d’avoir la confiance de l’Union africaine pour participer à la médiation en Centrafrique, auprès du Président Sassou, et puis avec Abdoulaye Bathily pour le compte des Nations-unies, comme Vice-médiateur. Je pense que nous avons bien travaillé puisque nous avons amené ce pays vers un Forum de réconciliation nationale et puis à des élections qui se sont globalement bien déroulées. Après l’Union africaine m’a chargé de coordonner une équipe d’experts, une équipe consultative. A la demande, nous fournissons, nous travaillons, nous réfléchissons pour l’UA sur la problématique terroriste, sur l’extrémisme, la radicalisation. Et puis moi-même je mène beaucoup de réflexions, d’analyses, de recherches personnelles sur ces questions. J’essaie aussi d’accomplir mes tâches politiques dans le cadre du parti. J’essaie d’apporter ma contribution à la compréhension, à la solution des problèmes du pays et, de temps en temps, à chaque fois que le besoin se fait sentir, de transmettre aux différents niveaux de responsabilités, y compris au Président de la République, ma perception des problèmes. J’ai toujours dit qu’on peut être utile à son pays, sans être dans des postes de responsabilités.
L’Assemblée nationale vient de voter la loi sur les autorités intérimaires, quel commentaire faites-vous de cela?
Je pense que le projet présenté par le Gouvernement prend acte d’une situation de fait. Je regrette que le Gouvernement n’ait pas eu une communication très pertinente. Parce que beaucoup pensent que la loi qui a été votée est celle qui avait fait l’objet de beaucoup de critiques par rapport à la possibilité, dans le projet initial, de remplacer les équipes municipales et régionales qui sont en activité. Je crois que le Gouvernement doit faire un effort d’explications pour que les gens comprennent qu’il s’agit de mettre des autorités administratives dans les collectivités territoriales où il n’y en a pas où il n’y a pas d’équipe fonctionnelle. Donc, ce sont ces zones qui sont concernées, et les nouvelles régions qui viennent d’être créées qui, à l’évidence, doivent être dotées d’organes tenant lieu de conseils communaux, de conseils régionaux. Dans le cadre de la mise en œuvre de l’accord, c’est une des trouvailles pour organiser la représentation des populations et de l’Etat. Je comprends les critiques qui ont été formulées et qui, en partie, ont été entendues. Je pense que maintenant, il faut considérer que la polémique est derrière nous et qu’il faut qu’on avance. Parce qu’un pays ne peut avancer dans la dissension permanente. L’expression de la différence ne peut être synonyme d’expression de la dissension permanente. Il faut bien qu’un moment donné qu’on soit d’accord sur l’essentiel. Après, c’est à la pratique qu’on va juger.
Monsieur le président, 2018 s’approche, au cas où le Président IBK est candidat, est-ce que vous allez vous présenter contre lui ou allez-vous le soutenir?
Pour le moment 2018 est un peu loin. Je pense que nous n’allons pas céder à la tentation de nous laisser entrainer dans un exercice prématuré. Pour le moment, nous sommes engagés avec le Président de la République dans le cadre d’un mandat qui est en train de se dérouler. Notre priorité c’est que les résultats de cette période soient à la hauteur des attentes. Comme je l’ai dit, en dépit des difficultés constatées, ici et là, aucune de nos options fondamentales n’est en cause. Nous allons tenir nos engagement jusqu’au bout. Et puis après, on verra avec le Président de la République, nos partenaires quelle est la meilleure configuration dans laquelle nous devons être pour garantir et consolider les résultats que nous aurons dans cette période et en faire une plateforme, à partir de laquelle nous devons avancer ensemble.
Interview réalisée par Youssouf Diallo