Originaire de Lamidou Niakaté résidant à Kati, Boubacar Niaré fait partie du clan des « Niaré Toukouten » pour qui les os et les traumatismes qu’ils subissent n’ont aucun secret. Son initiation à la traumatologie traditionnelle par son père, Gansiké Niaré, débute à l’âge de 8 ans. Depuis, le jeune Boubacar Niaré assiste à toutes les séances de diagnostic et de traitement, le père se faisant fort de lui passer la moindre ficelle du métier. Résultat : aujourd’hui à 43 ans (il est né en 1973) aucun traumatisme de l’os, fut-il le plus grave, ne n’effraie guère. Des cas de fracture, il en a traité par centaines. Certains de ses patients étaient dans des situations désespérées comme ce fut le cas de ce garçon de 8 ans fréquentant l’école de la Mission Catholique de Kati qui, après avoir chuté du haut d’un mur, ne pouvait plus remuer la tête, car il l’avait littéralement posée sur l’épaule. Le diagnostic de l’hôpital était formel : une fracture d’une vertèbre du cou. Conformément à ce diagnostic, la chirurgie était la solution incontournable. A l’appui, une ordonnance de 800 000 FCFA, comprenant le prix des fers à placer. Un diagnostic auquel Boubacar Niaré opposa un non catégorique. Pour lui, un os du cou s’était tout simplement déplacé. La pauvre mère du malheureux garçon n’en croyait pas ses oreilles. Les faits lui donnèrent raison à Boubacar Niaré. Il remit la vertèbre à sa place et l’enfant, dont tête se redressa illico, alla aussitôt boire. Au grand soulagement de sa maman. Ce fut le début de la guérison. Que ce soient les vertèbres du dos, les os du bras, de l’avant-bras, de la hanche, le tibia, le genou, la cheville, le fémur aucune fracture ne résiste à la science africaine de Boubacar Niaré. Même les cas où l’os fracturé transperce la chair.
La rapidité de la guérison dépend, s’empresse-t-il d’ajouter, de la bonne collaboration du malade, en l’occurrence le respect strict des consignes du traumatologue. La durée de la consolidation de l’os est généralement de 17 jours. Ajoutée à cela la dizaine de jours que prend le plus souvent la rééducation, il faut compter environ un mois pour une guérison complète. S’agissant du bras et de l’avant-bras, ce sont seulement 20 jours ; idem pour les fractures incomplètes. Pour le dos, c’est un mois. Quel que soit l’état de l’os, il suffit à Boubacar Niaré de mettre la main sur la partie malade pour poser un diagnostic quasi-infaillible : fracture complète, fracture incomplète, fêlure, déplacement d’os…Un diagnostic qui est quasi-systématiquement confirmé par la radio. « Moi, ma radio, c’est ma main » confie-t-il avec une pointe d’humour. N’allez pas imaginer une situation conflictuelle entre Boubacar Niaré et les praticiens de la traumatologie moderne. Au contraire, c’est le partenariat le plus souvent. A l’image du célèbre traumatologue de l’hôpital de Kati, Dr Macalou, qui lui envoie souvent des patients ne voulant pas d’opération ou qui n’ont pas assez d’argent pour se faire opérer.
Il lui est arrivé même de suppléer l’Etat comme fut le cas lors d’un grave accident de la circulation en 1997 entre Ménaka et Ansongo où il eut à prendre charge une trentaine de blessés souffrant de traumatismes osseux à divers degrés. « De Watagouna à Wayerma (Sikasso) en passant par Koutiala-Côcô, Bandiagara, Mourdiah, Markala, Niono, Ségou, Sansanding, il y a très peu de localités au Mali où je n’ai pas exercé ma science » dit-il modestement. Il lui est même arrivé de se lier d’amitié à un Français après qu’il l’eut soigné d’une fracture de l’avant-bras dans la zone de Niono. A Kati (quartier Bamankin autrement appelé Kati-Côrô) où il réside il reçoit entre 18 et 23 heures, tous les jours que Dieu fait, une vingtaine de patients en moyenne.
La réputation de traumatologue thaumaturge de Boubacar Niaré traversa les frontières du Mali pour se répandre jusqu’en Côte d’Ivoire, pays d’où il reçoit régulièrement des patients. Pour ses prestations Boubacar Niaré ne perçoit que ce que la tradition a strictement prescrit : un poulet plus 5 Francs et 10 colas. Quitte à ce que le patient, après satisfaction, le gratifie ou non d’un présent. A en croire l’intéressé lui-même, la science de la traumatologie a été transmise aux ancêtres des Niaré Toukouten par l’entremise des jinns. Les incarnations – kilissi en bambara – y jouent un grand rôle. Des secrets qui ne peuvent être communiqués qu’aux Niaré Toukouten pur sang.
Yaya Sidibé