Une sortie de crise encourage généralement à innover. A condition de choisir les bonnes solutions La patience aurait toutes les raisons de se prétendre la fille cadette du mérite. L’Histoire ne manque pas en effet d’exemples de grands hommes qui ont su attendre que le temps accepte de leur concéder le bénéfice de la juste prémonition. Ainsi, De Gaulle regrettait à son époque que trop souvent en politique, les questions se traitaient non dans le fond et telles qu’elles se posaient, mais sous l’angle de ce qu’il est convenu d’appeler « la tactique ».
Le Général avait absolument raison. Au nom de la tactique, il était – et il demeure toujours – possible d’accepter des rapprochements contre nature en jurant que ceux-ci ne resteraient que de pure opportunité ; d’accommoder ses idées aux intérêts du moment en assurant n’abjurer en rien de ses convictions ; d’allumer délibérément le feu de la polémique pour détourner l’attention d’un dossier gênant ; et de feindre d’ignorer les questions non traitées pour ne pas remettre en cause une initiative hâtivement lancée. D’aucuns assimilent ces procédés à de l’habileté manœuvrière, qualité supposée indispensable pour faire carrière en politique. En fait, ils ne sont que de vains subterfuges inévitablement démontés par les exigences de la vie réelle.
L’actualité mondiale montre que la demande par les simples citoyens de vraies solutions se fait de manière de plus en plus impatiente. L’explosion des canaux de communication, la multiplication des donneurs d’alerte, l’irruption de nouvelles forces sociales sur la scène publique constituent autant de phénomènes sur lesquels le politique n’exerce pas de véritable contrôle et auxquels il peine à donner une réplique appropriée. Il y a encore peu, la classe politique se préoccupait principalement du décalage qui se creusait entre son temps de réaction « professionnel » et les exigences des médias. Aujourd’hui, il lui faut aussi faire face à une impétuosité citoyenne qui déferle sans prévenir et qui charrie des interrogations pour lesquelles les foules demandent des réponses précises et convaincantes. Caractéristique non négligeable, l’interpellation se fait très souvent dans un désordre qui rend ses objectifs finaux difficilement déchiffrables puisque ne s’intégrant pas dans les grilles de lecture classiques.
DÉCLENCHEUR D’UNE SITUATION.
C’est d’ailleurs pourquoi ces poussées de fièvre ne sont pas que positives. On le vérifie aux États-Unis où l’émergence d’un Donald Trump, moquée au départ par tous les analystes politiques et traitée par le mépris au sein de l’appareil Républicain, s’inscrit aujourd’hui dans une trajectoire apparemment irrésistible. Cela malgré les bourdes à répétition du candidat à la candidature, malgré les vociférations xénophobes de celui-ci, malgré ses dérapages sexistes et malgré son mépris affiché pour certaines minorités. On arrive donc à la conclusion effarante que personne parmi les politiciens, les sociologues et les journalistes – toutes personnes dont c’est l’intérêt ou le métier d’observer le pays profond – n’avait pressenti la puissance de la vague qui porte toujours l’excentrique milliardaire.
Ce dernier fédère par son style populiste et ses thèses isolationnistes une masse confuse d’inquiets pour qui l’ouverture sur le monde est synonyme d’affaiblissement de l’Amérique et de menaces sur les citoyens américains. A la décharge de ceux que la « Trumpmania » a pris de court et qui sont aujourd’hui en panne de parade, il faut reconnaitre qu’il est tout de même surprenant que des appréhensions, comme celles décrites plus haut, se soient enracinées avec une telle force dans un pays doté d’autant d’atouts et qui affiche tous les indicateurs de la sortie de crise.
Le triomphe de l’électron libre, bâti sur des bases aussi peu orthodoxes, fait naitre des inquiétudes légitimes au sein des états-majors d’autres grands partis dans les pays développés. Car il démontre que les plans de bataille classiques peuvent dans certains contextes se révéler cruellement obsolètes. Ainsi que le prouve d’ailleurs dans le camp démocrate, la très forte résistance opposée par le sénateur Bernie Sanders à Hillary Clinton.
Là encore, on trouve comme déclencheur d’une situation inattendue un mouvement venu des profondeurs du pays. Mais porté celui-ci par des idéaux solidaires et progressistes. Tout comme dans le schéma qui s’est développé en faveur de Trump, il mobilise autour d’un évident outsider les déçus de l’establishment politique et perturbe l’agenda logique des primaires. Le temps est donc à l’imprévisible et l’atypique jouit d’une forte faveur auprès de nombreux citoyens.
Il ne faut cependant pas se dissimuler que les résultats produits peuvent être générateurs de nouveaux embarras, comme cela s’est produit en Espagne. Le parti contestataire Podemos y a réussi une spectaculaire percée lors des législatives (troisième formation en importance du pays), mais son positionnement très particulier sur les grands dossiers du pays, notamment sur celui de la relance économique, lui rend toute alliance impossible avec les grands partis traditionnels et bloque la constitution d’un gouvernement de coalition.
À DE TRÈS RARES EXCEPTIONS PRÈS.
En Afrique, l’irruption citoyenne, même si elle concrétise une volonté d’interpellation, se révèle de qualité très variable. Elle s’est manifestée de manière quasi exemplaire au Burkina faso où la chute de Blaise Compaoré, puis la résistance au putsch de Gilbert Djendéré ont consacré la force d’une société civile qui s’est structurée au fil de sa longue lutte, a rôdé ses méthodes de combat, s’est donnée des figures emblématiques, a eu la lucidité de demeurer dans son rôle de vigie et de ne pas céder à la tentation de l’exercice du pouvoir.
Par contre, on peut s’interroger sur la rationalité des combats qu’ont récemment choisi de mener les associations qui se sont opposées au Sénégal à la tenue du référendum constitutionnel (proposant pourtant une limitation des pouvoirs présidentiels) ou qui ont manifesté leur hostilité à la présentation de la candidature de Idriss Déby Itno à la présidentielle tchadienne de dimanche passé.
Chez nous, les voix de la société civile restent éparses et très rarement audibles de la majorité des citoyens. Elles payent tout logiquement le tribut à une étrangeté qui vit les associations démocratiques non seulement s’associer étroitement à l’exercice du pouvoir après Mars 1991, mais surtout s’efforcer avec obstination à ne pas sortir de cette orbite à l’avènement de la IIIème République. Cette anomalie s’est très partiellement corrigée depuis quelques années. Mais sans que les responsables de la société civile puissent – à de très rares exceptions près – être acceptés par le commun des Maliens comme les porteurs d’une parole indépendante, alternative et crédible.
A l’instant présent, le sentiment du pays profond est donc à chercher … dans le pays profond lui-même. Dans cet ordre d’idées, il faut donc saluer les contacts de terrain initiés par le ministre chargé des Affaires foncières pour essayer de déminer le dossier de l’accaparement des terres paysannes. Ou encore l’initiative des députés de la Région de Mopti qui ont invité une délégation gouvernementale à sillonner leurs circonscriptions afin de prendre la mesure des inquiétudes populaires.
Les représentants de l’Exécutif ont, lors de leur périple, perçu la profondeur du désarroi des habitants qui se sentent abandonnés aux exactions des groupuscules armés. L’action de ces derniers s’assimile surtout à un banditisme de haute intensité. Mais en multipliant les exécutions sélectives dirigées aussi bien contre les autorités traditionnelles que contre les représentants de l’Etat, ces individus ont assis leur emprise sur de larges portions de la Région.
Le terrorisme insidieux qu’ils pratiquent ne s’attire pas le retentissement médiatique obtenu par les actions djihadistes au Septentrion, mais par ses effets, il est tout aussi dévastateur. Le circonscrire nécessite – nous l’avons répété à plusieurs reprises – une implication des populations dans le renseignement, mais exige au préalable que ces populations soient rassurées par les indices d’un engagement fort de l’Etat. Car en ces temps troubles que nous continuons de traverser, l’un des plus grands dommages que pourrait subir notre pays serait de voir ses citoyens désemparés, désorientés et incapables de déchiffrer clairement leur avenir. C’était d’ailleurs pourquoi nous avions insisté la semaine dernière sur la bonne communication – telle que l’Assemblée nationale l’avait d’ailleurs préconisée – sur l’installation des autorités intérimaires au Nord du Mali.
IMPORTANTE, VOIRE TRÈS IMPORTANTE.
La nécessité de cette opération prévue dans les dispositions de l’Accord pour la paix et la réconciliation ne se discute pas. Les balises posées par la loi permettent en outre d’éviter que la mise en œuvre tourne, dans les collectivités concernées, à un grand désordre provoqué par l’intronisation de personnalités amenées dans les fourgons des mouvements et sans attaches avec les populations. Mais elles ne préviennent pas le scénario d’un choix d’autochtones sans envergure sociale, ni respectabilité reconnue. Donc, d’emblée contestables. Sur ce point, les déclarations de certains responsables de la CMA ne nous rassurent pas tout à fait. Car elles insistent essentiellement sur un partage équitable d’influence au sein des futurs conseils entre leur regroupement et la Plateforme. Cette démarche, si elle était observée, relèverait de la fameuse « tactique » décriée par De Gaulle. Elle ne serait fondamentalement génératrice ni d’apaisement au sein des collectivités, ni d’efficacité dans le travail des futures autorités intérimaires.
Or le Septentrion renferme, à notre avis, en son sein suffisamment de bonnes volontés, disposant d’une solide assise sociale, capables de dévouement désintéressé et susceptibles d’aider à gérer avec intelligence la période intérimaire. Ce seraient elles en tant que porteuses de solutions qu’il faudrait détecter et valoriser. Il faut d’autant plus le faire que, sur un plan général, le contexte exceptionnel vécu par nous constitue objectivement une incitation à l’innovation.
Il est en effet inimaginable de recourir à des formules anciennes qui n’ont pu ni prévenir la crise de 2012, ni faciliter la sortie de celle-ci. La nécessité de revoir et de repenser sans tomber dans l’expérimentation à tout va s’impose donc plus que jamais. Pour la prendre en charge, le dernier « Mali mètre », sondage effectué en fin décembre 2015 par la Fondation Friedrich Ebert auprès d’un échantillon représentatif des habitants de Bamako et des capitales régionales (y compris de Kidal), propose quelques informations intéressantes.
Ainsi 70% des sondés s’y disent favorables à des réformes de gouvernance. Le sondage fait aussi ressortir le fait que 57,2% des personnes interrogées pensent que la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation est soit importante, soit très importante pour le Mali. Tout comme 85,4% des sondés qui ont eu connaissance de la mise en place de la Commission vérité, justice et réconciliation considèrent celle-ci comme importante pour notre pays (52 % la jugent même très importante).
Il y a donc chez nos concitoyens la conscience très nette que le retour de la normalité ne peut pas se comprendre comme le rétablissement d’un statu quo ante dont presque personne ne veut plus. Les Maliens acceptent aussi le fait que le dit retour passe par une prise de risques pour bâtir une autre manière d’être et de faire. Mais ils attendent certainement que les changements à apporter symbolisent clairement la volonté de rupture d’avec le plus négatif de ce que nous avons vécu. En ce sens, il est impérieux que ce qui se passera dans les collectivités au Nord de notre pays constitue l’amorce d’une véritable solution, et non le traitement tactique d’une vraie difficulté.
G. DRABO
Source: Essor