Après la mort de trois soldats français cette semaine, mardi dernier, le 12 avril, dans le nord du Mali, le général Lafont-Rapnouil, qui commande la force antiterroriste Barkhane dans le pays, est l’invité d’Afrique Matin, ce samedi 16 avril. Il livre son analyse sur la menace terroriste actuelle au Mali et au Sahel, sur l’état des forces des groupes terroristes, la traque de Mokhtar Belmokhtar et d’Iyad Ag Ghali. Le commandant de la force Barkhane au Mali est interrogé par David Baché.
RFI : Est-ce qu’on en sait plus sur la mort des trois soldats français dont le véhicule a sauté sur une mine près de Tessalit mardi dernier. Est-ce qu’il y a eu une revendication ? Est-ce qu’on a des précisions sur la nature de l’engin utilisé ?
Général Lafont-Rapnouil : Je peux juste vous dire que j’ai vu dans la presse une revendication d’Ansar Dine mais je ne saurai pas vous confirmer cette information.
Les mines et les engins explosifs improvisés sont aujourd’hui la menace la plus récurrente dans le nord, il en explose plusieurs chaque semaine et les engins sont de plus en plus sophistiqués. Est-ce que vous envisagez des moyens nouveaux pour y faire face ?
Ce qu’il faut bien comprendre d’abord, c’est que ce mode d’action est un petit peu une démarche du faible au fort. On voit bien que les groupes armés terroristes ne sont plus aujourd’hui en mesure de mener des actions de force. Bien sûr, nous développons énormément de modes d’action pour lutter contre cette menace, la première c’est bien sur tout ce qui concerne les équipements, la mise en place de véhicules blindés de plus en plus sophistiqués et on renforce cette capacité régulièrement. Bien sûr ensuite, c’est dans les modes d’action et dans les procédures que l’on met en œuvre, la reconnaissance des points jugés dangereux. Et puis derrière, on a également des moyens très sophistiqués de recherche, de manière à pouvoir identifier la façon dont ces engins explosifs ont été confectionnés, identifiés ceux qui les ont mis en place parce que l’objectif, il est bien in fine d’aller attraper, ceux qui confectionnent ces explosifs, et il y en a quand même relativement peu, et puis de pouvoir détruire les fabriques de construction.
La zone de Tessalit et plus largement la région de Kidal avec les Adrar des Ifoghas ou l’Ametettaï, était déjà la principale zone de repli des groupes jihadistes au début de l’intervention militaire française en 2013. Aujourd’hui, en dépit des opérations de ratissage et de la présence de Barkhane, cette région de Kidal demeure la zone la plus sensible, comment vous expliquez cela ?
La région de Kidal a toujours été un petit peu au cœur des rebellions Touaregs, ça ne date pas d’aujourd’hui. Il faut quand même minimiser cette menace, ce sanctuaire a complètement été détruit et aujourd’hui les terroristes ont énormément de mal pour se reconstituer des sanctuaires. Donc la lutte contre cette menace-là, elle ne vise pas à éradiquer à 100% cette menace terroriste, c’est quasiment mission impossible, mais bien de maintenir une pression suffisante pour les empêcher de mener des actions de force. Après vous avez toujours des petites équipes mobiles qui posent ces engins explosifs : c’est un ou deux gars en moto de nuit et il est bien sûr très difficile de les identifier et de les saisir au moment où ils commettent leur forfait.
Ces groupes Aqmi, al-Mourabitoune, Ansar Dine, le Front de libération du Macina, aujourd’hui selon vous cela représente combien d’hommes ?
Je pense que ceux qui sont vraiment radicalisés demeurent assez marginaux. On connait certains chefs et je pense que c’est vraiment sur ceux-là qu’il faut vraiment faire porter notre effort. Après comme souvent, ces terroristes jouent sur une population un petit peu en déshérence, jeune en particulier, pour recruter de pauvres gars, parfois des enfants pour commettre leurs forfaits.
Combien d’hommes environ ?
Aux alentours de 200 peut-être je dirais, mais cela reste très difficile à déterminer une fois encore.
Vous parlez des chefs, on sait que Mokhtar Belmokhtar d’al-Mourabitoune ou Iyad ag Ghali d’Ansar Dine sont des cibles prioritaires pour Barkhane. Beaucoup s’interrogent cela dit sur le temps que vous mettez à les trouver en dépit de tous vos moyens techniques de renseignement ?
Ce sont des hommes, très certainement, très bien organisés, très intelligents également qui font évoluer également la façon dont ils opèrent en fonction de l’évolution de notre propre mode d’action. Donc, notre objectif, il est bien de pouvoir être plus rapide, plus ingénieux qu’eux pour pouvoir les surprendre.
Vous avez décrit des groupes terroristes affaiblis, cela dit ces derniers mois, on n’a pas eu le sentiment qu’ils étaient vraiment en position de faiblesse. Il y a eu les attaques de Bamako, de Ouagadougou, de Grand-Bassam. Ici dans le nord du Mali, des camps onusiens, Tombouctou, Kidal, qui ont essuyé des attaques complexes, l’armée malienne également avec parfois un lourd bilan. Est-ce que ce n’est pas malgré tout le signe qu’ils ont finalement réussi à très bien se réorganiser ?
Si vous regardez les modes d’action de ces différentes attaques, ce sont de très faibles volumes, deux, trois personnes. La dernière attaque sur l’hôtel Nord-Sud à Bamako, c’était un voire deux terroristes, de très jeunes hommes, très peu informés, recrutés sur le tard, on sent plutôt des actions un petit peu désespérées. Certes, il ne faut pas minimiser le bilan, mais vous imaginez bien que sur une immensité comme celle de la bande sahélo-saharienne, il est très difficile de pouvoir empêcher ce genre d’évènement. Je pense que l’on arrive bien à les limiter, on ne pourra pas l’éradiquer.
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