La Cour pénale internationale (la CPI) inaugure aujourd’hui officiellement ses locaux permanents dans la ville néerlandaise de La Haye, à proximité des dunes longeant la Mer du Nord. Le nouveau complexe conjugue des solutions novatrices spécialement conçues pour les besoins d’une institution judiciaire et une architecture moderne reflétant à la fois la transparence et l’indépendance de la Cour.
Des représentants d’États du monde entier se retrouvent aujourd’hui pour célébrer cette occasion, qui voit enfin s’installer dans ses locaux permanents une institution novatrice, à laquelle ils ont consacré d’énormes efforts.
La cérémonie d’aujourd’hui le proclame clairement : la CPI est là pour durer.
L’inauguration des locaux permanents de la Cour atteste d’un extraordinaire parcours, long de plus de deux décennies puisqu’il remonte aux négociations entamées au milieu des années 1990 sur la création de la CPI.
Aujourd’hui, la Cour fonctionne à plein, avec un nombre d’audiences plus élevé que jamais. Le Statut de Rome, traité fondateur de la CPI, a été ratifié par 124 États, dont El Salvador le mois dernier.
Contre toutes attentes, nous y sommes arrivés.
Une juridiction pénale internationale permanente, capable de poursuivre des individus indépendamment de leurs fonctions officielles, était au départ une idée révolutionnaire. Pendant les négociations, nombreux sont ceux qui se demandaient : les États consentiraient‑ils un jour à instaurer un organe international en le dotant d’un tel pouvoir ?
Beaucoup d’États y ont consenti, parce qu’ils ont reconnu que le génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre constituent pour l’humanité une menace tellement grave que la communauté internationale doit faire front commun pour y mettre un terme. Des États ont compris qu’il était nécessaire de mettre en place une structure collective, une juridiction de dernier recours qui pourrait intervenir lorsque les juridictions nationales ne le feraient pas elles‑mêmes.
Le mandat de la CPI est d’utilité universelle. Dans les régions où des atrocités de masse ont été commises, la justice internationale permet de faire en sorte que ces crimes ne restent pas impunis, que leurs auteurs soient déclarés coupables et que justice soit rendue aux victimes.
Dans les régions où plane la menace d’un conflit, la CPI est un précieux outil de prévention des violations des droits de l’homme à grande échelle. La dissuasion effective de ceux qui pourraient être tentés de commettre de tels crimes passe par le caractère probable des poursuites et des condamnations subséquentes. Même dans les régions où la perpétration de crimes internationaux semble aujourd’hui inimaginable, la Cour revêt autant d’importance. L’Histoire montre qu’aucun pays, aucune région n’est à l’abri des guerres, conflits ou atrocités.
Le mandat de la CPI est clair mais l’institution ne peut réaliser ses objectifs sans la coopération et le soutien du monde entier.
En tant qu’institution judiciaire, la CPI est un type particulier d’organisation internationale. Elle a certes été mise en place par des États, mais ceux‑ci sont tenus de respecter son indépendance judiciaire. Toute ingérence de leur part dans ses travaux minerait la crédibilité de l’institution même qu’ils ont créée.
Dans le même temps, la CPI a besoin de la coopération d’États et d’organisations pour recueillir des preuves, protéger des témoins ou arrêter des suspects. Sans coopération, la Cour ne peut pas non plus offrir des réparations appropriées aux victimes des crimes dont elle connaît.
Aujourd’hui, la CPI joue un rôle de premier plan dans les efforts déployés par la communauté internationale pour mettre un terme à l’impunité des auteurs de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, que ces actes prennent la forme de massacres, de persécutions pour des motifs ethniques, de viols en tant qu’arme de guerre, d’utilisation d’enfants soldats, de tortures à grande échelle, de déportations ou d’attaques contre des civils.
Mais la CPI ne peut jouer ce rôle partout. Certains malentendus entourant les possibilités ouvertes à la CPI en vertu de son traité fondateur ont pu laisser une impression de justice sélective. Il faut toutefois savoir qu’à l’exception du cas où le Conseil de sécurité de l’ONU décide de lui renvoyer une situation, la Cour ne peut enquêter que lorsque les pays concernés ont volontairement accepté ses pouvoirs, et que nombre des régions du monde, les plus gravement touchées par des conflits, demeurent actuellement hors de sa portée d’intervention. Si nos États parties souhaitent voir la CPI capable de traiter tous les crimes sans distinction, ils doivent continuer à encourager plus de pays à adhérer au système de justice pénale internationale instauré par le Statut de Rome.
La Cour pénale internationale est là pour durer. Son engagement en faveur de la justice est plus fort que jamais et elle s’active sans relâche à prendre de nouvelles initiatives pour améliorer son efficacité et l’effet de ses travaux face aux difficultés qu’elle rencontre.
Mais la CPI ne peut lutter toute seule contre l’impunité. Son efficacité dépendra de la coopération des États et de la détermination de la communauté internationale à ériger en objectif non négociable la fin de l’impunité pour les crimes internationaux les plus graves.
À mesure que la CPI devient plus active et plus efficace, les attaques des détracteurs de son mandat se multiplient. C’est véritablement l’heure de vérité quant à l’engagement des gouvernements nationaux en faveur de la justice internationale.
Que nous soyons fonctionnaires de la Cour, représentants d’États ou membres de la communauté internationale tout entière, l’inauguration des locaux permanents de la CPI constitue pour nous l’occasion de marquer une pause dans le cheminement effectué jusqu’ici pour célébrer tout ce que nos efforts conjoints ont permis d’accomplir dans la lutte contre l’impunité. C’est également l’occasion d’entamer une nouvelle réflexion sur les meilleurs moyens de veiller ensemble à ce que le nouveau bâtiment qui abrite la Cour devienne un vrai symbole de justice pour les générations à venir. Notre chemin a été marqué par de formidables progrès, mais aussi par des revers. Notre quête doit se poursuivre.
Mme la juge Silvia Fernández
Présidente de la CPI