Elles sont au centre des attentions politiques et populaires depuis deux mois, au point d’apparaitre comme un élément central de la mise en œuvre de l’Accord de paix et de réconciliation issu du processus d’Alger. Les Autorités intérimaires, entrées dans notre architecture institutionnelle depuis la dernière modification du Code des collectivités locales, suscitent de nombreuses discussions passionnées. Cela, alors qu’elles ne constituent nullement un élément majeur de l’Accord de paix.
L’Accord de paix a été rédigé avec un esprit qu’il ne faut pas oublier. Il a pour ambition de bâtir la paix et la sécurité dans notre pays, fondement de tout vivre ensemble et de créer les conditions d’une réconciliation réelle entre les Maliens. Il a pour vocation de contribuer à rendre la vie au Nord normale et cordiale entre toutes les communautés qui y vivent. Il a surtout l’ambition de jeter les bases d’une meilleure prise en compte des diversités humaines et territoriales du Mali dans le fonctionnement étatique à travers des réformes institutionnelles et de gouvernance profondes, pour libérer toutes les énergies et ouvrir des perspectives de développement durable. Dans cette optique et pour un temps déterminé, il demande aux parties signataires des efforts et des sacrifices, notamment l’intégration d’éléments de la rébellion dans l’armée, les quotas et faveurs qui leur sont accordés dans les instances de gouvernance de l’Accord et aux populations estimées comme faiblement représentées dans les instances nationales, les patrouilles mixtes etc.
L’Accord d’Alger est un accord pour dessiner le Mali de demain, l’État de demain, fortement décentralisé et reposant sur les collectivités locales, prenant en compte les diversités et dirigées par des représentants légitimes, véritables partenaires de l’État pour conduire et mettre en œuvre les réformes induites par le texte.
Les Autorités intérimaires sont une éventualité prévue par l’Accord, à envisager dans certains cas quand cela est nécessaire. Il ne s’agit nullement d’objectif ni de dispositions majeures de l’Accord. C’est d’ailleurs dans l’Annexe 1 de l’Accord qu’il est fait mention de ces Autorités. Le plus important étant d’aller vers les élections en ce qui concerne les collectivités locales.
Il convient de garder constamment en tête l’esprit de l’Accord et ce vers quoi nous devons aller pour son application rigoureuse, efficace et durable.
Le gouvernement, dans l’application de la disposition relative aux Autorités intérimaires, a cru bon de les étendre à tout le pays, en remplacement des délégations spéciales. Le texte de loi précise des dispositions particulières à prendre en ce qui concerne le Nord, ce qui a été fait par Décret. Au-delà des aspects juridiques, qui font par ailleurs l’objet de discussions au niveau des juridictions, on peut comprendre cette volonté d’uniformisation et le souci de ne pas créer trop de différenciation dans nos textes entre la partie Nord et Sud du Mali.
La suite des actes posés par le Gouvernement est cependant plus discutable et mérite que nos autorités regardent ce dossier avec une attention renouvelée. Les nombreuses réactions (élus locaux du Nord, organisations de la société civile, …) doivent les y encourager.
Nous devons faire attention à ne pas créer les conditions de la durabilité et de la permanence de situations qui devraient être exceptionnelles et éventuelles. Plusieurs actes posés méritent d’être réexaminés dans cette optique. La composition des Autorités intérimaires n’a pas été prévue par les Accords. Il est apparemment le fruit de discussions entre les partis signataires. Dans ce cas, il n’est pas compréhensible que le gouvernement soit mis au même niveau que les groupes armés. Pourquoi ne pas avoir pris en compte les autres légitimités du Nord ? Par exemple les élus actuels, l’Association des municipalités du Mali (AMM), le Collectif des ressortissants du Nord du Mali (COREN) ou encore certaines organisations de la société civile…Ensuite, selon les termes d’un Accord subsidiaire qui aurait été conclu entre le Gouvernement et les groupes armés, et qui circule sur internet, les pouvoirs donnés aux Autorités intérimaires sont copiés sur ceux à transférer aux futurs exécutifs territoriaux. Cela n’est pas justifiable. Une transition est exceptionnelle, toujours de courte durée et avec un contenu léger. Ces pouvoirs accrus constituent un réel danger auquel il faut prendre garde. Il est probable que des conflits surviennent entre les responsables de ces autorités, intronisés « chefs de l’exécutif local » avec les représentants de l’État. Des tensions peuvent être créées ou entretenues pour maintenir un climat qui ne sera pas propice aux élections. Il faut enfin penser aux frustrations des élus locaux et des citoyens qui ont toujours défendu le Mali indivisible face à ceux qui ont souhaité sa partition, qui continuent toujours à la revendiquer (certains commémoraient encore le 6 avril dernier, jour de la proclamation en 2012 de la prétendue AZAWAD) et qui se trouveront à la tête d’exécutifs locaux et régionaux avec des pouvoirs importants et une capacité de nuisance non négligeable.
Les parties au conflit peuvent être légitimes pour siéger dans les organes de gouvernance de l’Accord, tels que le Mécanisme Opérationnel de Coordination (MOC), les Commissions Démobilisation Désarmement et Réintégration (DDR), le Comité de suivi de l’Accord, les patrouilles mixtes…, suivre sa mise en œuvre mais pas dans la gestion de structures qui doivent être dotées d’organes élus et légitimes. Si on leur fait avoir des responsabilités d’élus et dans la durée, cela devient une prime durable et quasi permanente à la rébellion et à l’utilisation d’armes pour occuper des responsabilités politiques et donc un fâcheux précèdent. Quand on analyse l’empressement et surtout l’insistance avec lesquels les groupes armés ont demandé la mise en place de ces Autorités, on ne peut que craindre l’utilisation qu’ils en feront avec des risques certains pour l’avancée de la communauté nationale vers la paix. Les groupes armés se battent (en tout cas c’est ce qu’ils prétendent) au nom des populations du Nord en entier, or celles-ci ont de nombreux représentants légitimes qu’on ne peut et qu’on ne doit ignorer. Ils ne disposent pas de mandat de représentation de quelques citoyens que ce soit. Faisons attention à cela dans cette phase délicate de mise en œuvre de l’Accord de paix.
Les Autorités nationales doivent travailler à ramener les Autorités intérimaires à un niveau en phase avec l’esprit de l’Accord de paix. Cela nécessite que certaines actions correctrices soient envisagées.
Il faut au préalable équilibrer la composition des Autorités intérimaires au Nord avec plus de représentants désignés par l’État mais également une présence des autres légitimités en plus de ceux désignés par les groupes armés. Il est souhaitable que la présidence de ces organes de transition revienne toujours à un représentant de l’État dans l’esprit des délégations spéciales qui sont remplacées par ces autorités. Quitte ensuite à l’État, dans un esprit de conciliation, d’œuvrer au choix de personnalités consensuelles.
La mise en place des Autorités intérimaires ne doit pas être systématique au niveau des 4 régions de Gao, Ménaka, Taoudéni et Tombouctou (ni pour les régions, ni pour les cercles et encore moins pour les communes). Pour Kidal, il est clair qu’elles seront nécessaires car les collectivités de cette région ne sont plus fonctionnelles. Dans l’esprit de la loi, l’État doit apprécier pour chacun des Conseils régionaux, des conseils de cercle et des conseils communaux, leur fonctionnalité et évaluer la mise en place d’autorités intérimaires au contenu et aux pouvoirs remaniés.
Il convient d’alléger les pouvoirs des organes transitoires mis en place et de les ramener à ceux des collectivités actuelles auxquels on pourrait ajouter la facilitation de la mise en œuvre de l’Accord de paix. Les nombreux nouveaux pouvoirs à transférer aux collectivités devront l’être dans le cadre de la mise en œuvre de l’Accord de paix et surtout exercés par des organes légitimes et élus.
Il faut laisser le processus électoral entièrement entre les mains des représentants de l’État qui décideront par ailleurs de la possibilité d’organisation d’élections dans les circonscriptions où on mettra en place les Autorités intérimaires. Il est prévu que deux conseillers spéciaux désignés par les groupes armés soient mis en place auprès des différents représentants de l’État. Cela n’est pas préjudiciable si leurs rôles sont bien balisés par rapport à ceux des adjoints et conseillers actuels.
Enfin, il est souhaitable de fixer un terme de manière très claire à ces Autorités au Nord, dans l’esprit de l’Accord, pour ne pas s’engager dans un processus interminable qui finirait par discréditer l’État aux yeux des populations du Nord. Ce terme pourrait être la fin de l’année 2016, terme théorique de la période intérimaire ouverte en juin 2015 à la signature des Accords. Tous les acteurs travailleront avec ce délai et s’organiseront pour qu’il soit respecté avec à la clé l’élection de nouveaux représentants des populations, chargés de conduire avec l’État les réformes institutionnelles majeures prévues par l’Accord de paix.
Les Autorités nationales doivent évaluer la situation et engager les révisions des textes pris ou en passe de l’être à la lumière de ce qui est indiqué précédemment. Elles doivent également s’employer à mieux expliquer le processus, associer les légitimités du Nord et mettre ceux-ci dans le jeu en leur permettant de participer au processus. Parallèlement, il est hautement souhaitable d’accélérer la mise en œuvre de l’Accord de paix et de réconciliation, notamment la contribution de tous à la sécurisation de l’ensemble du Nord mais aussi le retour de l’administration qui n’est pas seulement l’installation d’un préfet ou d’un sous-préfet mais le déploiement de tout un système. Une reprise en main ferme du processus avec des perspectives claires permettant aux Maliens de situer notre progression vers le but commun est indispensable pour éviter que le doute ne s’impose dans la tête de la majorité de nos compatriotes.
Moussa MARA