La ville de Kidal revient à nouveau au-devant de la scène politico sécuritaire à travers une manifestation contre la force française Barkhane. Comme à l’accoutumé, il y a eu des morts (2) et des blessés (4), tous côté civil. Kidal est devenue un goulot d’étranglement dont les régimes successifs n’ont pu encore trouver la solution définitive. Ancien Ambassadeur en Mauritanie où il a vécu pleinement les péripéties de la dernière rébellion, homme politique avisé parfaitement au parfum de la vie politique nationale, Souleymane Koné nous analyse ici les fondements de l’équation Kidal.
« Deux morts et quatre blessés dans une manifestation contre la force Barkhane ». Cette semaine encore, Kidal refait parler de lui.
Il faut dire qu’il n’y a de problème au nord du Mali qu’à Kidal d’où toutes les communautés souffrent d’une manière ou d’une autre de la rivalité de deux tribus : les Ifoghas et les Idnane, les leaders de ces derniers sont essentiellement à la base de la crise que nous connaissons. Ceux-ci sont profondément ancrés dans la perspective chimérique d’érection d’un bantoustan « blanc » dans cette partie de notre pays.
A la fin de 2010 jusqu’à 2013, les mariages, baptêmes et autres cérémonies de société dans le milieu touareg étaient aminés par une chanson dont la teneur peut se résumer ainsi : « les trois chacals qui faisaient peur à la chèvre ont vieilli et ont laissé pousser la barbe qu’il faut raser, car il ne nous reste qu’un seul chemin étroit. Celui qui passe par le sommet de la grande montagne au-dessous de laquelle l’eau ne se trouve que dans un seul puits très profond ».
La traduction littérale de la chanson veut que les trois chacals désignent Bahanga, Fagaga et Iyad ; la chèvre désigne le Mali représenté par son président ; la barbe à raser consiste à changer de génération de rebelles et le puits profond qui donne à boire ou mourir ce qui signifie l’indépendance ou disparaître.
Ce poème dont le milieu touareg est passé maître tout au long de l’histoire en dit long sur le caractère jeune dans la manipulation des événements en cours, nourrit à la sève du mouvement amazigh en éveil dans le Maghreb.
Certes les chacals font encore de la résistance et il semble même que la montagne se soit affaissée sur le puits faute de soutien suffisant.
Mais les rivalités intertribales maintiennent Kidal au cœur du conflit dans les régions nord du Mali. Alors comment gérer la région de Kidal ?
La solution commence par l’abandon du fétichisme qui entoure l’Accord d’Alger 2015. La seule solution qui vaille dans la durée est la réforme de l’Etat au Mali. Ce conflit est un épiphénomène et toute solution prise pour l’ensemble du pays, en fonction de sa résolution finira par s’effondrer.
En effet, le conflit qui a entrainé l’occupation des régions nord du Mali est quant au fond, le résultat d’un conflit inter communautaire (touareg) qui a débordé sur le Mali en raison des moyens employés et de nouveaux acteurs impliqués.
A la faveur de la guerre contre le régime libyen des Touareg, en particulier ceux de la tribu Idnane, qui en majorité constituaient la garde rapprochée du Guide libyen sont retournés au Mali avec quantité d’armes de guerre et de l’argent.
Ce retour ne s’est pas opéré sans une complicité active et/ou passive des forces de l’OTAN qui combattait le régime libyen. D’où le sentiment d’une caution internationale de la guerre qui allait se mener au Mali. Sur le parcours des 800 km qui séparent la frontière libyenne au territoire malien, les autorités algériennes ont « laissé passer ». Face à ces signes de soutien avéré ou supposé les Ifoghas tribu régnante dans la région de Kidal a pris peur pour sa suprématie désormais menacée.
Dans un instinct de conservation, elle créa une alternative au MNLA. C’est la naissance d’Ançardine qui noua aussitôt une alliance stratégique avec AQMI (Al-Qaida au Maghreb islamique). La suite est connue. Deux armées différentes face à l’Armée malienne.
Le MLNA s’est cependant révélé le maillon faible des groupes armés au nord du Mali.
D’abord la logistique n’était pas renouvelable, ensuite la génération qui constitue le gros de ces troupes connait mal le terrain et le pays dans son ensemble.
En effet le MNLA est composé d’expatriés touareg de retour dont certains ont vu leur père, voire grand père naitre en Libye. Ils constituent l’essentiel de l’aile militaire. Cette aile est en conflit larvé parfois ouvert avec une élite politique vieillissante et totalement discréditée auprès des populations touareg. Ces deux composantes du MNLA se battent pour le contrôle d’une jeunesse touareg profondément « malienne » qui n’attendait qu’un appel spécifique du gouvernement malien de la transition d’abord et du pouvoir IBK ensuite ce fut peine perdue. Cette jeunesse est l’enjeu du conflit actuel et le point de départ de toute solution à la crise du Nord ainsi que l’illustre la chanson évoquée.
La régionalisation mal définie conduira à des conflits tribaux aux conséquences dramatiques.
Il fallait accélérer la régionalisation des régions de Taoudenit et de Ménaka. Elle est une promesse de stabilisation et rassurera les communautés de ces deux contrées, même cyniquement elle pourrait les occuper à une lutte de pouvoir à l’intérieur des nouvelles entités et les opposer à la région de Kidal en particulier à Al Khalil et environ pour la région de Taoudenit.
Elle est la promesse d’une représentation nationale des communautés arabe et bellah ce qui les soustrait à terme de l’influence des Ifoghas de Kidal de plus en plus fragilisés par le processus de démocratisation et de scolarisation des enfants au Mali. La rébellion Touareg est aussi une rébellion contre la démocratie. L’éveil social que la démocratie a introduit dans le corpus social, modifie les rapports sociaux. L’esclavage en milieu touareg est de plus en plus dénoncé, les conditions des femmes aussi. Ce progrès social prend les couleurs de mutations subversives et contrarient les plan de carrière des potentats établis, mais favorisent l’émergence d’une dynamique nationale par l’intégration de cadres dits d’origine inferieure dans la communauté nationale. « Ces émergences subversives* » visibles dans toutes nos sociétés sont très mal vécues dans les communautés touareg.
N’en déplaise aux porte-parole ethnique dans ces régions du Mali, la crise actuelle est une lutte entre le progrès social et l’obscurantisme, entre l’intégration nationale et le repli identitaire qui conduit aux « identités meurtrières »
En tout état de cause, le préalable à la régionalisation est l’existence d’un Etat fort et juste. Mais déroulée dans un contexte de no man’s land, cultivé par une minorité de trafiquants de drogue, la régionalisation conduira à la guerre entre tribu et/ou fractions.
Que dire alors de la réconciliation entre communautés tribales ?
Sans la présence de l’Etat, ces rencontres seront privées d’arbitre donc de capacité d’exécution de leurs propres résolutions.
Ce qu’on appelle pompeusement le processus de Anefis est quant au fond un échec dans la recherche de solution à la crise. Un échec de l’Accord d’Alger à peine signé, un échec de l’entente communautaire avec les vieux conflits qui remontent en surface.
Aucune réconciliation entre ces communautés n’est viable sans l’arbitrage d’un Etat fort et juste. Ces prétendues réconciliations intercommunautaires sans une autorité extérieure et impartiale de nature, conduiront à une guerre interethnique et tribale.
La réconciliation en cours participe d’une stratégie de décomposition du MNLA et de sa résurgence de l’autorité des Ifoghas et une tentative de colmatage des fissures introduite dans le schéma par le processus de démocratisation dans le pays. Une des causes de cette guerre contre le Mali est l’introduction d’une dose de démocratie politique et sociale dans les différentes communautés. A cet égard le retour demandé des chefs traditionnels dans les institutions est un cache-sexe dans la lutte contre la démocratie.
Dans un mouvement national, la réconciliation doit se faire sous l’égide de l’Etat sans tabou y compris les litiges concernant le contrôle des couloirs de passage des marchandises (des armes et de la drogue aujourd’hui). Pour ce faire des contacts doivent être entrepris avec le Niger, l’Algérie, la Mauritanie et le Maroc.
De la même manière, il faut organiser un forum de la jeunesse touareg en la mettant en face de ses responsabilités dans la restauration et la consolidation de la paix au Mali. Cette jeunesse est, celle qui était regroupée au sein du MNA (Mouvement national de l’Azawad), submergée par la vague libyenne, cette jeunesse a attendu en vain la main tendue de l’Etat du Mali. Et pourtant elle n’a été formée que dans l’université malienne, milité au Conseil national de la jeunesse du Mali, c’est dire que rien ne la distingue des autres jeunes du Mali. Ce qui nous a manqué est un leadership national crédible avec une vision d’avenir pour le pays.
Cette réunion aurait dû voir la participation de la vieille classe politique touareg. Elle y aurait constaté son affaiblissement moral. Les effets boomerang de ses mensonges et autres fourberies contre le Mali et la communauté touareg dans son ensemble. Avant sa mise en avant par le régime IBK, elle a pendant longtemps un intérêt particulier à isoler les éléments armés du MNLA qu’elle ne connait pas et qui a voulu la faire disparaitre. C’est elle qui est à Bamako et évolue dans toutes les compromissions avec le pouvoir IBK contre le Mali et les Touareg.
Le renforcement politique et/ou administratif des communautés restées loyales au Mali en particuliers au sein des groupes marginalisés devrait être la préoccupation première de tout Gouvernement crédible et ayant une vision d’avenir pour le Mali. Sur ce chapitre le Pouvoir IBK, sans consistance a largement échoué.
Les prochaines étapes doivent préparer une concertation nationale sur les grandes questions du pays et ce après le retour de l’Etat sur toute l’étendue du territoire national.
Nous ne ruinerons pas davantage notre pays pour Kidal, laissons Kidal faire de la résistance, mais donnons-nous les moyens de rebâtir un Etat fort, juste et propre pour l’ensemble du Mali.
Kidal reste malien, tout comme la Casamance est sénégalaise et le Darfour soudanais etc.
Souleymane Koné
Ancien Ambassadeur
Premier vice-président des Fare An ka wuli
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