Les exigences de la lutte contre le terrorisme, conduite dans la Sahel par la France, à travers l’Opération Barkhane, si elles ont sérieusement affaibli ces groupes djihadistes en les obligeant à changer constamment de stratégie, elles auront aussi eu pour conséquence de réveiller dans l’Adrar des Ifoghas, les vieilles solidarités tribales.
La mort de trois soldats de la force Barkhane tués le 12 avril suite à l’explosion d’une mine sous un véhicule de patrouille dans la région de Kidal (près de Tessalit), « contrôlée » par des « amis de la France », oblige cette dernière à changer de politique ; à revoir et mettre son idylle avec les « les touareg » dans le nouveau contexte sécuritaire où les sentiments ont peu de place.
L’arrestation, le même 12 avril, pendant plusieurs heures, de plusieurs personnalités membres apparentant aux groupes armés de Kidal (HCUA et MNLA) accusés par les forces françaises de Barkhane de trafic d’armes voir de complicité avec les poseurs de la mine meurtrière sonne comme le glas d’une idylle à sens unique fondée sur le mythe de l’homme bleu.
Obligé d’abord de faire face et de défendre ses propres intérêts mis à mal dans une zone censée « amie », la France de l’opération Barkhane qui s’était jusqu’ici appuyée sur le MNLA poursuivra ses interpellations à Kidal et à Tessalit dans le cadre de l’enquête, y compris dans le camp de ce dernier.
Sur la question, l’état-major de l’opération est intraitable : les forces françaises conduisent « souvent des opérations de fouille » lorsque des renseignements sont obtenus sur des caches ou des ateliers de fabrication d’engins explosifs. Son porte-parole, le colonel Gilles Jaron, explique que « tout individu armé qui se trouve à proximité de ces sites est appréhendé. Après une phase de renseignement militaire, si on pense qu’il peut appartenir à un groupe terroriste, on le transfère aux autorités maliennes qui se chargent de l’instruction. »
Contre cette détermination française de traquer et de débusquer les terroristes et les complices, la solidarité tribale kidaloise est ressuscitée. Gargarisée d’un soudain sentiment antifrançais, elle rallie les bons et les méchants de l’Adrar sous la même bannière. En tout cas, ce lundi, à travers une manifestation visiblement anti-française des manifestants ont scandé des slogans contre le bienfaiteur et le protecteur.
Le prétexte pris des arrestations en masse apparait bien plus comme un alibi qu’une véritable raison de divorce d’avec la France ?
Ces arrestations ont-elles été arbitraires ou ont-elles touché des personnes jusqu’ici intouchables ? Ont-elles visé les civils innocents ou ont-elles concerné de vrais complices susceptibles de faire aboutir les investigations en cours ?
La soudaine jonction de tous les groupes à Kidal (des notables qui écrivent à l’Ambassadeur de France pour protester et demander la libération des personnes arrêter à Ansardine qui kidnappe des humanitaires pour lier leur libération à celle de son élément, Miyatène Ag Mayaris, arrêté par Barkhane, dans le cadre de l’enquête), ne peut ne pas suggérer une autre grille de lecture. En effet, on peut se poser la question de savoir si Barkhane, par ces arrestations, n’a pas bouleversé (sans le savoir) les petites affaires mafieuses de tous ceux qui donnent de la voix pour libérer des complices de terroristes et d’assassins de soldats français sans lesquels Kidal sera sous la charia d’Ansardine.
N’est-il pas surprenant de voir en effet, la CMA (censé être composé de groupes qui ont rompu avec le terrorisme) réclamer en même temps qu’Ansardine, la libération de personnes suspectées de complicité de terrorisme ? Le pacte tribal se base en l’espèce sur la communion d’intérêt mafieux apparaît beaucoup plus comme une coalition antifrançaise. Et pour cause ?
Si responsables des groupes armés (terroristes et ex-séparatistes) et notabilités de tous bords se joignent dans une philharmonique douteuse pour accuser la force française de commettre des bavures physiques sur des personnes innocentes, il est glaçant de constater, dans cet Adrar des Ifoghas par 55° à l’ombre, qu’aucune voix ne s’élève pour condamner le lâche assassinat de trois soldats français… et exiger que lumière soit faite sur leur mort. Ne serait-ce que par solidarité pour la France !
Comme si la mort de ces trois soldats, que la France a honorés avant-hier en présence du président IBK, arrangerait les affaires de tout le monde, d’une seule voix, Kidal pactise et réclame la libération des complices de leurs assassins. Au point de dénoncer « le mode opératoire des interpellations utilisé par l’opération française Barkhane dans les zones de Boghassa, Abeibara et Aguelhoc ».
Sans aucun souci pour le deuil français, un des porte-parole du MNLA, Attaye Ag Mohamed, plaide pour « des familles (…) sans nouvelles de dizaines de leurs proches arrêtés et transférés sur Gao et Bamako. » Une situation qui pourrait être, selon lui, une nouvelle source de radicalisation des populations. Comme on l’a vu lundi dernier.
Aussi, on peut facilement deviner que le pacte antifrançais qui se profile et prend corps à Kidal ne présage rien de bon quant à la stabilité et à la sécurité d’une région à équations complexes. C’est pourquoi nous pensons dans notre chapelle de profane que pour le sens de son engagement dans le nord de notre pays et dans tout le Sahel et pour le sacrifice de ses soldats, la France se doit de réexaminer la vision idyllique des équilibres socio-politiques au sein de l’Adrar des Ifoghas.
Toute erreur, toute faiblesse (sentimentale) dans la traque et la neutralisation de ces terroristes, auteurs d’attentats meurtriers contre ses soldats, pourraient entrainer une escalade à Kidal et lézarder l’éclat de son intervention et la fabuleuse lutte que la France mène contre le terrorisme. Parce qu’elle ne peut sacrifier tout ça parce que les « touareg » s’opposer à l’arrestation de complices de ces mêmes terroristes qui eux n’hésitent pas à tuer des Français.
Par SAMBI TOURE