A vrai dire, Mme Diarra Raky Talla, une dame en manque de sens de l’anticipation, parce qu’arborant une attitude aux antipodes de toute stratégie de négociation, constitue actuellement un problème pour le gouvernement qui a bien du mal à faire à la grogne des syndicats. Conséquence : de la Cstm à l’Ortm, en passant par plusieurs comités syndicaux, les grèves s’enchainent depuis son arrivée, en janvier 2015, à la tête de ce département qui exige de son occupant humilité, sociabilité, sens du compromis et des concessions. Pas plus tard qu’en milieu de semaine, les rues de Bamako étaient envahies par des syndicalistes mécontents de l’action gouvernementale. Et le début du mois de mai s’annonce vraiment prometteur en grèves dont celle de la Cstm qui gère des secteurs stratégiques de l’activité économique. Au lieu d’être la solution, Racky Talla se trouve donc être le principal problème.
Faire la promotion des femmes au sein des instances de décision, particulièrement dans les institutions de la République et au sein de la fonction publique, c’est certes une volonté politique noble et salutaire. Mais pas à n’importe quel prix. Aussi, faudrait-il miser sur celles qui peuvent honorer la confiance placée en elles. Le contraire reviendrait à jeter des peaux de banane sous ses propres pieds. Et aussi causer un énorme tort au peuple. Ces précautions d’usage auraient permis à IBK d’éviter une erreur qui le rattrape aujourd’hui : la malencontreuse idée de nommer Raky Talla comme ministre du Travail, de la fonction publique et d’en faire en même temps la chargée des relations avec les institutions. Un poste stratégique dans le gouvernement actuel pour ne pas accepter de souffrir de ce choix fatal. Et pour cause : le régime croule sous le poids excessif des revendications syndicales et sociales des travailleurs. Du coup, à l’heure actuelle, IBK se trouve poussé jusque dans ses derniers retranchements par une trop forte pression du front social, à laquelle il faudrait adjoindre le malaise du peuple malien prêt à exprimer son ras-le-bol.
Actuellement, l’Untm, la Cstm, et tout un fatras de syndicats sectoriels comme ceux de la magistrature, de la police, du CHU Point G, du CHU Gabriel Touré, des centres de santé de référence, de l’IUG, de la Coses, de l’Ortm, etc. sont tous dans l’attente de réponses adéquates à leurs doléances, aussi brûlantes les unes que les autres, mais restées en souffrance sur la table du gouvernement. Situation considérée dans les milieux syndicaux comme une défiance qui en appelle à une guerre ouverte contre le régime.
Il est vrai qu’entre les autorités publiques et les syndicats, dans tous les pays du monde, c’est quasiment le même scénario : des négociations, des promesses dont certaines seront tenues et peut-être le dilatoire pour d’autres en attendant des lendemains meilleurs pour éviter de s’attirer les foudres du monde du travail. D’ailleurs, s’il y a une fonction où on ne chôme jamais, c’est vraiment celle de syndicaliste car on a toujours des points de revendications à défendre.
Mais au Mali, depuis que Raky Talla a pris fonction, elle n’a quasiment pu résoudre aucun problème pouvant éviter un bras de fer entre le gouvernement et les acteurs sociaux. En langage plus clair, elle n’a donné satisfaction à aucune revendication digne de ce nom. Ce qui justifie certaines grèves de rang observées depuis 2015 et l’allure belliqueuse affichée au niveau du front social.
Une kyrielle de revendications
Rappelons qu’en l’espace de 35 jours, le personnel de l’Ortm a observé deux mouvements de grève, suite à la non satisfaction de ses revendications. Une première grève de 48 heures, les 22 et 23 décembre 2015 et une deuxième de 72 heures, les 27, 28 et 29 janvier 2016. Les revendications ? L’abrogation des lois portant sur la restructuration de l’Ortm, l’adoption d’une loi portant sur la redevance audiovisuelle, le retour de la régie publicitaire à l’Ortm, l’harmonisation du statut des entités à créer dans le cadre de la restructuration, la relecture de la loi 87-102 et son adoption, le démarrage des travaux des grands projets tel que la construction de la tour de l’Ortm, et l’indemnisation des agents de l’Office pour les préjudices subis lors du coup d’État de mars 2012.
Le secrétaire général du comité syndical, Abderrahmane Hinfa Touré, assure que si des réponses idoines ne sont pas trouvées aux revendications, le syndicat va observer une grève illimitée avec “écrans noirs”, donc sans service minimum. On devine les dégâts d’un tel scénario, si l’on sait que ça va concerner aussi la chaîne II, la TM2, les stations régionales synchronisées à la station nationale, les partenaires de la rediffusion comme RFI, BBC, Africa n°1, radio Beijing, Multicanal et Malivision.
La Confédération syndicale des travailleurs du Mali (Cstm) a, de son côté, initié un débrayage il y a juste un mois, précisément les 21 et 22 mars 2016. La Cstm exige, entre autres, le respect des conventions n°87 et 98 de l’Organisation internationale des travailleurs ratifiées par le Mali ; la finalisation immédiate de la relecture du statut des fonctionnaires de la police nationale ; la réintégration par le gouvernement des 27 syndicalistes et 30 militants de la société minière L.T.A licenciés pour fait de grève en 2012 ; l’intégration de tous les enseignants dans la Fonction publique ; l’uniformisation du taux d’augmentation de 20% à tous les pensionnaires des deux caisses de sécurité sociale (Cmss et Inps) et son extension aux travailleurs salariés des secteurs privé et parapublic ; l’amélioration du plateau technique des structures sanitaires comme les CHU Gabriel Touré et du Point G et des centres de santé de référence et ceux communautaires ; le respect des textes réglementaires des aéroports du Mali; l’application des accords signés avec la Fédération nationale des transports; la finalisation et la relecture de la convention collective des chauffeurs; la signature de l’accord d’établissement de la BOA ainsi que l’application de l’article 31 de la convention collective des banques et établissements financiers; la baisse des prix des carburants, de l’eau et de l’électricité.
De toute cette kyrielle de revendication, Raky Talla n’a rien résolu. Pire, elle a fermé la porte aux négociations. La Cstm remet le couvert les 3 et mai prochains, avant d’entrevoir après, si rien n’est fait, une grève illimitée. Si l’on sait que la centrale que dirige Hamadoun Amion Guindo regroupe des secteurs d’activités aussi importants que ceux de l’éducation, la santé, les banques, les mines, la police, la protection civile, les transports, la sécurité sociale, alors bonjour les malheurs !
La grève de la Cstm sera suivie dès le lendemain par celle du Syndicat national de l’éducation de base (Syneb), les 5 et 6 mai. Les doléances de Amadou Coulibaly et ses camarades ont pour noms : la modification et l’application de l’arrêté 3282 portant sur la mobilité et les congés de formation des enseignants fonctionnaires des collectivités territoriales ; la correction de la date d’essai des camarades de Pdec (programme de développement communautaire) ; la sortie de l’arrêté d’intégration des nouvelles recrues; et le remboursement de l’Assurance maladie obligatoire.
IBK trimbalé par les syndicalistes
D’autres syndicats sectoriels ont déjà entamé des grèves illimitées, à l’image des enseignants de l’Institut universitaire de gestion (IUG) le 8 mars dernier, et ceux de l’Ensup. Que dire du Syndicat autonome de la magistrature (SAM) qui est dans une logique de guerre pour la satisfaction de ses doléances, déclinées en 27 points de revendications ?
C’est dire combien, à cause de Raky Talla, IBK est trimbalé par les syndicalistes. Pourtant, le prédécesseur de Raky avait pu éviter, in extremis, la deuxième grève de l’Untm les 29, 30 et 31 octobre 2014. En somme, remplacer de l’or par du cuivre, c’est ce qui a été fait de la part d’un régime qui paye cher son erreur de casting.
L’échec de Mme Diarra Raky Talla n’est point étonnant, si l’on sait que cette Administratrice de société n’a même pas pu faire ses preuves comme simple chargée de mission au ministère de l’Education (d’où elle est chassée par son ministre président de parti, Moussa Bocar Diarra) et au ministère des Maliens de l’Extérieur (d’où elle est nommée ministre).
En plus, sa nomination a failli créer une scission au sein de son parti, l’Um-RDA dont la majorité avait porté son choix sur Lansry Nana Haïdara. Mais, contre vents et marées, IBK a choisie Racky. Il l’apprend à ses dépens aujourd’hui.
A.B.HAÏDARA