Dans cet entretien qu’il a bien voulu nous accorder, M. Boubacar Kané, PDG de la Société malienne de gestion de l’eau potable (SOMAGEP) revient entre autres sur la situation actuelle de sa société, les raisons des coupures d’eau, la capacité de production en eau de la SOMAGEP, le besoin de la consommation nationale en eau potable et le déficit de production. Il parle aussi de la qualité de l’eau produite par la SOMAGEP qui est souvent de couleur jaunâtre et de la sécurité autour des stations de pompage et des châteaux d’eau, qui laisse souvent à désirer. Interview.
InfoSept : Bonjour M. Kané, pouvez-vous vous présentez à nos lecteurs ?
Boubacar Kané : Je m’appelle Boubacar Kané. Je suis ingénieur hydraulicien de formation titulaire d’un Master of Sciences (MSc) obtenu à La Havane (Cuba) en 1985 et d’un PhD obtenu à Colorado State University, Fort Collins (USA) en 2003. J’ai été recruté à la Société Energie du Mali (EDM-SA) en mars 1988 où j’ai occupé plusieurs postes dont le dernier était celui de Directeur Central de l’Eau avant d’être nommé PDG de la Société Malienne de Gestion de l’Eau Potable (SOMAGEP-SA) en octobre 2010 suite à la réforme institutionnelle des secteurs de l’électricité et de l’eau potable qui a consacré notamment la séparation des deux activités au sein d’EDM-SA.
InfoSept : Comment se porte aujourd’hui la SOMAGEP, Société Malienne de Gestion de l’Eau Potable ?
Boubacar Kané: Il faut tout d’abord rappeler que la SOMAGEP-SA est la deuxième société d’eau issue de la réforme que j’ai citée plus haut. Sa mission est d’assurer la gestion technique et commerciale du service public de l’eau potable sur les 18 centres du périmètre concédé par l’Etat du Mali à la Société Malienne de Patrimoine de l’Eau Potable (SOMAPEP-SA) qui est chargée elle, de la gestion du patrimoine hydraulique et du développement du secteur dans ledit périmètre.
Au regard de nos missions, nous pouvons dire que notre société se porte très bien. Cette assertion est corroborée par les progrès tangibles ci-après enregistrés du début de nos activités en janvier 2011 à nos jours. Parmi ces activités nous pouvons citer entre autres, la production d’eau qui a évolué de 89,6 à 97,1 millions de mètres cubes, soit une progression de 8,4%. Les ventes d’eau quant à elles ont enregistré un bond de 18,4%, passant de 65,1 à 73,4 millions de mètres cubes, les abonnés raccordés au réseau d’eau sont passés de 123 026 à 174 752, soit une importante augmentation de 42% et le chiffre d’affaires a connu une constante progression en passant de 19,6 à 23,5 milliards de francs CFA. L’atteinte de ces résultats est à mettre au crédit des travailleurs de notre société dans la mesure où nous évoluons dans une conjoncture plutôt difficile caractérisée par la faiblesse des investissements dans le secteur, même si ce défi est en passe d’être relevé à la faveur des projets structurants actuellement en cours de réalisation sous maîtrise d’ouvrage de la société de patrimoine.
InfoSept : Il arrive souvent que des quartiers de Bamako et environs et d’autres villes du pays soient totalement privés d’eau et cela pendant plusieurs heures en cette période de chaleur. Comment expliquez-vous cette situation ? Et Peut-on savoir aussi la capacité de production en eau de la SOMAGEP, le besoin de la consommation nationale en eau potable et le déficit de production ?
Boubacar Kané : Comme je le disais tantôt, les investissements dans le secteur ont accusé du retard d’où le déséquilibre entre l’offre et la demande qui explique les coupures d’eau dans certains quartiers notamment en période de chaleur. Le facteur le plus important qui explique le retard dans les investissements celui du cadre institutionnel inadéquat d’avant la réforme. Pour pallier à cette difficulté, le gouvernement du Mali a pris la décision d’engager une réforme institutionnelle dès le départ du partenaire stratégique d’EDM-SA, SAUR International en 2005. Cette réforme a abouti à la séparation des secteurs de l’électricité et de l’eau potable et à la création de la SOMAPEP-SA et de la SOMAGEP-SA. Cette réforme a suscité l’engouement des partenaires techniques et financiers du Mali qui se sont dès lors résolument engagés dans le financement des projets structurants du secteur y compris celui de l’emblématique projet d’alimentation en eau potable de la ville de Bamako à partir de la localité de Kabala.
En ce qui concerne la capacité globale de production de la SOMAGEP-SA, elle est de 289 024 mètres cubes par jour tous centres confondus. Cela dit, tous les centres ne sont pas logés à la même enseigne : certains n’ont pas de problèmes de déficit (Mopti-Sévaré et Tombouctou, Bougouni, San, Markala,) mais le reste du périmètre connaît quelques difficultés. Le centre le plus affecté est celui de la capitale Bamako qui, malgré sa capacité de 200 millions de litres d’eau par jour, soit environ 70% de la production totale, connaît un déficit de 150 millions de litres par jour puisque la demande des populations est de l’ordre de 350 million de litres par jour.
Cela dit, tous les quartiers ne sont pas concernés par le déficit. C’est seulement ceux qui ont une position géographique défavorable qui le ressentent avec acuité, c’est-à-dire ceux situés en altitude et ceux situés loin des unités de production. Il faut ajouter à cela des coupures d’électricité qui surviennent quelques fois et qui engendrent des arrêts sporadiques de nos machines qui marchent bien entendu à l’électricité. A titre d’exemple, une heure d’arrêt d’une usine peut entraîner des perturbations dans la fourniture d’eau allant jusqu’à 8 heures de temps.
InfoSept : Bien des fois l’eau distribuée par la SOMAGEP est de couleur jaunâtre et d’aspect sale, donc impropre à la consommation. Pouvez-vous nous rassurez que toute l’eau de la SOMAGEP réponds aux normes internationales en la matière ?
Boubacar Kané: Nous déclarons que l’eau produite et distribuée par la SOMAGEP-SA répond aux normes internationales de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). La couleur de l’eau ne saurait remettre en cause sa potabilité. Les problèmes de couleur imputables à la SOMAGEP-SA peuvent provenir d’un changement dans l’aspect de la ressource en eau brute (le fleuve Niger pour le cas de Bamako), mais ce paramètre bien souvent vite maîtrisé et comme dit plus haut ne remet pas en cause la potabilité de l’eau. Les clients doivent aussi faire attention à leurs propres installations intérieures qui peuvent être source de changement de couleur de l’eau qui sort de leurs robinets. Il n’est pas indifférent de signaler que pour le traitement de l’eau, la SOMAGEP-SA dispose d’un Laboratoire Central moderne très bien équipé et d’un personnel très performant. Le Laboratoire exécute quotidiennement son programme d’analyses sur les différentes étapes de ses filières de traitement (Décantation, Filtration et Désinfection) et sur son réseau de distribution y compris chez le consommateur final. Nous avons donc le temps de remédier à tout dysfonctionnement constaté pendant les différentes étapes de traitement.
Par ailleurs, au-delà des analyses physicochimiques et microbiologiques classiques, nous disposons aussi des appareils très performants pour le contrôle des pesticides, des métaux lourds et des micropolluants pouvant éventuellement se trouver dans les eaux.
Indépendamment de notre auto contrôle, des contrôles renforcés sont aussi réalisés sur l’ensemble des zones couvertes par la SOMAGEP SA et des laboratoires de l’Etat, entre autres, le Laboratoire National de la Santé et le Laboratoire National des Eaux.
InfoSept : Selon nos sources, la sécurité autour des stations de pompage et des châteaux d’eau, laisse à désirer. Pouvez-vous nous parler du dispositif de sécurité mis en place par la SOMAGEP autour de ces sites dans le contexte actuel d’insécurité généralisée?
Boubacar Kané: La sécurité des installations de production, en l’occurrence les stations de Pompages et les châteaux, est assurée par les éléments de la garde nationale. L’accès à ces sites est formellement interdit aux personnes étrangères. Ce dispositif sécuritaire est permanant. On ne saurait donc alléguer que la sécurité autour de ces sites laisse à désirer puisque ce sont les forces armées du Mali qui l’assurent.
InfoSept : Depuis quelques années, avec la séparation de la gestion de l’eau et de l’électricité, on a assisté à la naissance de deux structures s’occupant de l’aspect eau, à savoir la SOMAPEP et la SOMAGEP. Peut-on savoir les domaines de compétences respectives de chacune d’elle et comment se porte la séparation aujourd’hui ?
Boubacar Kané : La SOMAGEP-SA et la SOMAPEP-SA sont nées en 2010 à l’issue du processus de la réforme des secteurs de l’eau et de l’électricité engagé par le gouvernement. La SOMAPEP-SA a pour missions la gestion du patrimoine et le développement du secteur. Quant à la SOMAGEP-SA, ses missions portent sur l’exploitation des ouvrages mis à sa disposition, la distribution et la commercialisation de l’eau potable.
Depuis la séparation des secteurs de l’eau et de l’énergie, les rôles et responsabilités de chaque acteur sont bien définis, les subventions croisées entre le secteur de l’électricité et celui de l’eau ne sont plus d’actualité et nous assistons à une visibilité et une lisibilité sans précédent du secteur de l’eau qui, disons-le tout net, était plus ou moins le parent pauvre des deux secteurs quand ils étaient ensemble. En plus, la réforme a suscité un engouement visible des partenaires techniques et financiers du Mali qui sont à pied œuvre pour aider notre pays à atteindre les Objectifs du Développement Durable. Le lancement des travaux de construction de la Station de Kabala en est l’illustration éloquente.
InfoSept : Que pensez-vous du journal Info Sept?
Boubacar Kané : Le journal InfoSept se distingue de par son professionnalisme et son sens élevé de panafricanisme. C’est, à mon humble avis, le seul journal de la place qui s’est illustrée dans cette voie. En plus de son contenu très riche et varié, il est aussi très propre. On est en droit d’affirmer sans risque de nous tromper que son avenir est prometteur et qu’il mérite sa place dans la sous-région. Bonne continuation !
InfoSept : Votre mot de la fin ?
Boubacar Kané : Nous demandons l’indulgence des populations de Bamako et de Kati face à cette situation de déficit d’eau en période de chaleur qui est indépendante de notre volonté. Vous comprenez aisément que ce n’est pas de gaieté de cœur que nous assistons à des manques d’eau dans certains quartiers de la ville. D’ailleurs, nous ne distribuons pas gratuitement notre eau (à part bien sûr les opérations citernes actuellement en cours), donc pourquoi nous priverons-nous de recettes en coupant l’eau aux populations ? La bonne nouvelle est que le financement du projet de Kabala est bouclé et les travaux ont déjà commencé sur le terrain. Cependant, ce genre de travaux complexes a des délais de réalisation assez longs, trois ans dans le cas d’espèce, et nous demandons encore l’indulgence des populations en attendant la mise en service de cette nouvelle station qui mettra définitivement fin au calvaire des populations en matière de distribution d’eau potable à Bamako. Aussi, en marge de la construction de la station, il est prévu de réaliser plus de 100 000 branchements domiciliaires à moindre coût, appelés branchements sociaux. Cette opération permettra à un nombre important de nos compatriotes d’avoir des branchements privés dans leurs domiciles.
Propos recueillis
Par Dieudonné Tembely