Le 20 avril dernier, je parcourais le web, l’âme en peine, à la recherche d’un sujet qui pourrait intéresser les abonnés de cette chronique. Dans un tel état d’esprit, il n’est pas toujours évident de faire une bonne pioche surtout lorsqu’on est, en plus, surbooké. Mais comme je me suis réveillé du bon pied ce jour-là, je suis tombé sur un article du journal Le Monde, sous la plume de Nathalie Brafman, qui écourtait ma corvée. Le titre de l’article « En amphi de droit, Twitter remplace la main levée ! » m’a aussitôt accroché et vous êtes loin d’imaginer ma joie et surtout mon soulagement. Les pourfendeurs des réseaux sociaux n’ont qu’à bien se tenir, le web 2.0 n’a pas encore révélé tout son potentiel et, je peux vous garantir, que cela va faire des étincelles. Dans cet article, il est question, en France, de nombreux – et très respectés - professeurs d’universités qui font appel à Twitter pour innover, améliorer leurs cours et davantage interagir avec leurs étudiants. Comme l’indique le titre de l’article, Twitter est en passe de remplacer dans les amphithéâtres les mains qui se lèvent, les doigts qui claquent et le sempiternel « Moi Monsieur ! ». Selon l’auteure de l’article, la célèbre université Paris-I-Panthéon-Sorbonne semble tenir la corde. Elle décrit les débuts de cette innovation pédagogique : « Lorsque les étudiants en troisième année de licence de Paris-I-Panthéon-Sorbonne ont reçu ce mail début septembre 2015 de Bruno Dondero, leur professeur de droits des sociétés : « #uUP1L3Sociétés1 Lundi : l’affectio societatis et la société, soumise au droit des contrats : twittez vos questions dès 9 h 30 #AmphiTweet », il y a d’abord eu une phase de surprise puis d’enthousiasme. « On s’est vite pris au jeu », confie Diane Didi, étudiante en L3 ». A Angers, autre grande ville universitaire française, Nathalie Brafman soutient que les étudiants ont eu la même réaction lorsque Antony Taillefait, leur professeur de finances publiques, a introduit Twitter dans ses cours il y a trois ans : « On a trouvé l’initiative très novatrice et presque étrange, car ce n’est pas trop le genre de la fac de droit d’innover », déclare Alexandre Thuau, étudiant de L2. Notre consœur parisienne est si exaltée qu’elle parle carrément de révolution avec l’apport de « … boîtiers électroniques, quiz, pédagogie inversée, liens vers des vidéos… » Au regard des objectifs visés par ces pionniers dans les amphis hexagonaux, il n’est pas de doute de faire crédit à l’enthousiasme de notre consœur parisienne. En effet, ces profs. 2.0 ambitionnent de : « En finir avec le professeur qui « dicte » et l’étudiant qui « gratte » ; rendre les cours plus interactifs ; créer de la proximité entre le professeur et ses étudiants ou, en tout cas, réduire le fossé existant ; transformer l’élève de consommateur à acteur de sa formation ». Ce n’est pas beau ça ! Et vous n’imaginez pas combien de murs cette innovation va contribuer à abattre. Dans sa démonstration, la journaliste du Le Monde fait parler des étudiants qui lui confient pourquoi, en, amphi, ils ne posent pas de questions : « Premièrement, parce qu’il faut oser lever le doigt devant 400 personnes. Deuxièmement, parce que les professeurs nous font bien comprendre dès la première année que l’on n’est plus au lycée… ». Un étudiant de l’université d’Angers confesse : « Nos professeurs sont très bons, mais nous avons du mal à communiquer avec eux ». Et que disent les professeurs eux-mêmes : « Quand je regarde mes étudiants, je les vois face à trois écrans, celui qui est derrière moi, leur ordinateur et leur smartphone. Il faut que je capte leur attention », reconnaît Antony Taillefait. Quant aux questions, certains viennent en poser après les cours mais la réponse du professeur ne profite pas à tout le monde. « Le seul moment interactif, c’est les TD, qui ne sont pas menés par les professeurs. Résultat, c’est paradoxal mais je ne peux jamais échanger avec mes étudiants », explique-t-il. Bruno Dondero, un des précurseurs de ce nouvel enseignement, semble avoir bien rodé son rituel, précise notre consœur. Il annonce le thème du cours sur Twitter, envoie des liens vidéo à consulter, propose à ses étudiants de poser des questions via Twitter pendant le cours, répond en direct de vive voix et leur suggère de poursuivre ces échanges sur Facebook en différé. A Angers, poursuit notre consœur, un compte générique a été spécialement créé afin non seulement que les étudiants ne soient pas obligés de créer leur propre compte mais aussi pour préserver l’anonymat des étudiants et permettre ainsi aux plus timides de poser des questions. Et le fil Twitter s’affiche sur le tableau, les questions sont précédées du même code (@L2Droit) : « Pouvez-vous m’expliquer ce qu’est la débudgétisation ? » « Pouvez-vous définir le terme LIDES ? ». Selon Nathalie Brafman, dans d’autres universités, le professeur voit s’afficher sur son smartphone la question. Il y répond immédiatement ou attend le meilleur moment. « J’y réponds quand je veux. Je sélectionne les questions mais c’est moi le patron ! En fait, je me sers de Twitter aussi comme un outil de déconcentration-reconcentration. Je sélectionne les questions. C’est au professeur de maintenir le contrôle. C’est moi le patron de Twitter ! », explique Grégory Kalflèche, professeur de droit public à Toulouse-I-Capitole, qui utilise le réseau social depuis septembre 2015 dans son cours de droit administratif pour ses 400 étudiants de L2 et en master 1 pour ses 200 étudiants en droit des contrats. Pourquoi les universités à Dakar, Bamako, Ouaga, Accra ou Lomé ne s’engouffreraient-elles pas dans cette brèche technologico-pédagogique qui coûte presque du beurre et ne repose que sur la conviction et la volonté ? Il est évident que la peur de l’innovation peut inhiber certains professeurs et aussi les administrations de nos universités, mais le propre du monde universitaire n’est-il pas de porter le changement et de créer des passerelles entre la formation et l’entreprise ! Vivement que nos universités se connectent aux innovations et quittent définitivement le terrain de la médiocrité qui n’est qu’une fabrique cancres !
Serge de MERIDIO