Accueil    MonKiosk.com    Sports    Business    News    Femmes    Pratiques    Le Mali    Publicité
aBamako.com NEWS
Comment

Accueil
News
Faits Divers
Article
Faits Divers

Abattage : Les ânes à la boucherie
Publié le jeudi 28 avril 2016  |  L’Essor




En violation de la législation, des individus mènent ces bêtes à l’abattoir. Si la destination de la viande et des peaux reste inconnue, cette activité menace la race asinienne de disparition
Une grosse menace pèse aujourd’hui sur le cheptel asinien de notre pays. Cette menace prend corps dans une nouvelle activité économique consistant à acheter des ânes, les abattre en vue d’en exporter la peau et la chair vers des pays consommateurs. L’activité choque nos compatriotes car l’âne ne fait pas partie des animaux d’abattage dans notre pays.

Pas plus tard que la semaine dernière, le ministre de l’Élevage et de la Pêche, en visite dans la région de Ségou, a découvert par hasard un véritable abattoir d’ânes installé non loin de Kolongotomo (voir l’Essor du 27 avril).

A Sanankoroba, derrière l’école du Village SOS, loin des habitations, une énorme installation d’abattage d’animaux s’étend sur plus d’un hectare. Entièrement clôturée par des murs assez hauts pour éviter des regards indiscrets, cette cour abrite un grand parc à bétail qui s’étend juste à gauche de l’entrée principale. A droite, se dresse un petit bâtiment devant lequel sont disposées quelques chaises et une table. A l’autre extrémité de la cour, le bâtiment dans lequel les animaux sont mis à mort est ouvert, mais à l’intérieur aucune activité n’est perceptible. Trois conteneurs sont placés de part et d’autre du bâtiment dont deux hermétiquement fermés.
Dans la cour, il y a de l’activité, mais pas de trace d’abattage d’ânes. Des hommes et des femmes, environ une vingtaine formant deux groupes distincts, jouent aux cartes ou devisent tranquillement sous un hangar à côté des conteneurs.
Dans le parc à bétail, l’on distingue quelques moutons, un cheval et un ânon. Un mois avant notre visite, soit vers la fin du mois de janvier dernier, la direction nationale des services vétérinaires, lors d’une descente sur les lieux, y avaient répertorié environ 500 ânes et plus des 28 tonnes de viande asine déclarée par les propriétaires de l’abattoir.

Que sont devenues les bêtes et la cargaison de viande ? Mystère. Dans la cour de l’énorme installation, un jeune homme fort peu coopératif refuse de nous indiquer le maître ou les maîtres des lieux. « Ils ne sont pas sur place, vous les manquez de peu, ils sont sortis à l’instant. Vous ne pouvez ni prendre de photos, ni visiter les installations, je n’ai pas le pouvoir de vous en donner l’autorisation». A la question de savoir s’il peut nous donner les contacts du propriétaire, le jeune homme répond : « ça je ne peux le faire non plus, je n’ai pas reçu d’instruction par rapport à cela. Même si je le faisais, vous ne vous comprendriez pas, ce sont des étrangers qui ne parlent ni français ni anglais. Ce que je peux faire c’est de prendre votre contact pour eux, à eux mêmes de juger s’ils peuvent vous appeler».

En l’absence du propriétaire des installations, notre batterie de questions reste sans réponses. Où va la viande ? Qui a donné l’autorisation pour ces activités ? Peut-on implanter ces installations et s’adonner à de telles activités sans aucune forme d’autorisation émanant d’une administration ? Qu’en disent les services vétérinaires et que peuvent-ils faire ?

A cette dernière interrogation, les techniciens vétérinaires ont une réponse. Le Dr Drissa Coulibaly, chef de division inspection et santé publique à la direction nationale des services vétérinaires, estime que si cette activité d’abattage se poursuivait à l’allure constatée, la race asinienne serait menacée de disparition dans notre pays. Dans certains pays, dit-il, la viande asine est très prisée.
« Personnellement, j’estime que si on autorise cet abattage au bout de six mois, c’est tout le cheptel asinien du Mali qui y passera. Cela créera un vide dans le rôle socio-économique que l’âne joue dans notre société. Si cette pratique est encouragée, tout le monde s’y mettra. Les paysans vendront leurs ânes et par conséquent ils n’auront plus d’animaux pour tirer les charrettes et les charrues. Cela constitue un danger réel pour l’agriculture », analyse le docteur vétérinaire.
ACTIVITE ILLEGALE.
Le spécialiste rappelle que l’article 9 d’un arrêté interministériel datant du 22 décembre 1987 stipule que « l’abattage de toutes les espèces animales bovines, ovines, caprines, porcines, équines est autorisé au Mali ». L’espèce asine n’est pas citée dans cet article, par conséquent ce n’est pas un animal de boucherie.

Les services vétérinaires avaient-ils connaissance de l’existence de ces installations et des activités qu’on y mène ? « Non, nous n’étions pas au courant, mais dès que nous l’avons appris nous sommes allés sur place pour constater, voir de quoi il s’agit », assure le directeur national adjoint des services vétérinaires, le Dr Souleymane Camara. « Quand nous nous sommes rendus sur les lieux avec la direction nationale de la production et de l’industrie animale, nous avons clairement fait savoir que l’activité est illégale. Nous avons dit au propriétaire d’arrêter le processus », précise le Dr Drissa Coulibaly. Quelque soit la destination de cette viande, explique ce dernier, elle représente un réel danger car les services vétérinaires qui sont compétents en matière d’hygiène alimentaire, n’ont inspecté ni ces animaux vivants, ni leurs carcasses. Il ajoute qu’évidemment les services vétérinaires n’ont pas non plus donné de quitus pour l’exportation de cette viande.

Lors de leur descente sur les lieux, fin janvier dernier, les services vétérinaires n’ont saisi ni la viande stockée ni le troupeau d’ânes destiné à l’abattage. Le directeur national adjoint des services vétérinaires explique : « Comprenez que ce ne sont pas des animaux de boucherie, c’est-à-dire de la viande que nous, nous devons obligatoirement contrôler. Si c’était de la viande ordinaire destinée à la consommation nous la saisirions. Nous la saisirions si surtout elle était destinée à notre population. Nous sommes là pour protéger les Maliens, préserver la santé publique de la population. Ce que nous pouvons faire, c’est de refuser toute délivrance de certificat de salubrité ».
Le Dr Souleymane Camara ajoute que lors de la visite de ses agents sur les lieux, ceux-ci ont demandé de ne pas abattre les 500 ânes et de les restituer à leurs propriétaires. « Mais les propriétaires de l’abattoir ont affirmé ne plus avoir leurs contacts. Nous savons que ce ne sont que de mauvaises excuses», dit-il.

Notre interlocuteur précise que la situation est compliquée car les services vétérinaires ne sont pas les seuls impliqués. « Il y a la direction nationale de la production et de l’industrie animale, il y a la direction nationale du commerce et la concurrence aussi. Ces individus sont en possession d’une autorisation d’exportation du ministère du Commerce et de l’Industrie. Nous avons fait un rapport intégral de la situation, nous l’avons mis à la disposition de notre ministre de tutelle. Pour le moment, notre rôle, notre devoir aujourd’hui, c’est de ne donner ni autorisation d’exportation ni certificat de salubrité, et c’est ce que nous faisons », assure le directeur national adjoint.
ANIMAL A TOUT FAIRE.
Le chef de division inspection et santé publique à la direction nationale des services vétérinaires, le Dr Drissa Coulibaly, revient sur la place de l’âne dans la vie socio-économique de notre pays. Dans toutes les régions du pays, souligne-t-il, l’âne est l’animal principal qui assure le transport des personnes et de leurs biens. Au sud du pays, l’âne transporte les récoltes, les marchandises pour les foires, le bois de chauffe, etc. Il est également sollicité dans les travaux champêtres comme le labour pour tirer la charrue. En milieu sarakolé, l’âne est l’un des éléments de la dot.

« Dans les régions du nord, si vous n’avez pas d’âne vous ne pouvez pas avoir de l’eau car les gens parcourent des kilomètres à la recherche de l’eau. C’est l’âne qui sert de moyen de transport pour ramener la provision d’eau à la maison. Il sert aussi à tirer l’eau des puits profonds », explique le spécialiste qui prévoit aussi que si l’âne devient un animal d’abattage, son prix s’envolera. Aujourd’hui, un âne coûte entre 50.000 et 60.000 Fcfa.
Sous l’effet d’un abattage intensif, l’espèce pourrait disparaître rapidement car l’âne se reproduit plus lentement que d’autres animaux. « Sa gestation s’étend sur une année », précise le vétérinaire.

Le directeur national adjoint, lui, en appelle à la mobilisation de tous en faveur de la sauvegarde de la race asinienne. Pour lui, agents vétérinaires, médias, marchands d’ânes, propriétaires… tout le monde doit s’impliquer pour que la viande d’âne ne soit pas introduite dans le marché local pour se retrouver dans nos assiettes. « Pour le moment ce n’est pas le cas, assure le Dr Souleymane Camara. Battons-nous pour que cela n’arrive pas ! ».

K. DIAKITE
Commentaires