Créée en 2009, l’Université Kankou Moussa, tout comme le nom qu’elle porte, fait aujourd’hui la fierté des Maliens à l’échelle internationale de part la qualité de sa formation. Mais, le Ministère de tutelle veut lui mettre les bâtons dans les roues. C’est du moins ce qu’on peut retenir de l’interview que nous avons eue avec son Directeur général, Pr Sinè Bayo.
Le Prétoire : Voulez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Je suis Sinè Bayo, professeur honoraire de la Faculté de médecine et de pharmacie de Bamako. Je suis, avec un certain nombre de collègues, initiateur de l’Université Kankou Moussa. Ce projet, nous l’avons mis en œuvre à partir de décembre 2009.
Comment est donc venue l’idée de création de l’Université Kankou Moussa ?
C’est une idée qui nous est venue, car étant tous enseignants à la Fmpos. Et compte tenu des difficultés liées à la pléthore des effectifs et de la dégradation des conditions de formation, nous avons pensé qu’il fallait offrir aux Maliens, à nos enfants des conditions idoines d’une bonne formation en médecine. Cela nous a amené à ce projet. Car, nous avons également estimé qu’aujourd’hui, ou vous êtes à la Faculté de Médecine, ou vous êtes dehors. Alors que ceux qui peuvent envoyer leurs enfants à l’extérieur ne sont qu’une minorité. Et beaucoup de Maliens qui ont des moyens assez modestes aimeraient former leurs enfants avec qualité, soin et n’ont aucune alternative dans le pays. C’est cette alternative que nous avons voulu offrir aux Maliens.
Quelles sont les filières de formation que vous proposez?
Nous avons commencé d’abord par la filière Médecine qui conduit au doctorat d’Etat dans cette discipline. Depuis 2ans maintenant, nous avons également ouvert la filière Pharmacie. Donc, aujourd’hui l’Université forme des docteurs en médecine et en pharmacie. Plus tard, avec le système LMD, il y a certaines disciplines pour lesquelles nous voulons proposer des Licences professionnelles et des Masters professionnels,tel en Gynéco-obstétrique, en santé publique. Ce sont des projets que nous allons élaborer pour les deux et trois prochaines années
Peut-on savoir le nombre d’étudiants et leur pays d’origine ?
Actuellement, nous avons 148 étudiants inscrits. Parmi eux, on compte une quinzaine de nationalités. Ils viennent des pays de l’espace Cedeao à savoir :le Niger, la Mauritanie, le Burkina, la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Benin, le Togo.On a également des étudiants qui viennent de l’Afrique centrale francophone, tels le Burundi, le Rwanda,le Congo Brazzaville, le Cameroun, le Gabon, la République Centrafricaine, le Tchad.
Nous savons que le rayonnement d’une université privée n’est pas une chose aisée, surtout quand elle intervient dans un secteur aussi sensible comme la médecine. Voulez-vous nous parler des difficultés que vous rencontrez ?
Au départ, nous avons connu d’énormes difficultés.Mais on a dû faire comprendre aux uns et aux autres que cette Université était nécessaire pour notre pays.Car, elle offrait une alternative à nos populations qui veulent donner une éducation à leurs enfants et qui n’ont pas de gros moyens pour les envoyer à l’extérieur comme en France et aux Etats-Unis. A partir de là, nous avons rencontré des résistances d’abord au niveau de l’Aeem pour des raisons que nous ignorons totalement, suivie dans une certaine mesure par nos autorités. Nous avons montré que ce n’est pas une aventure au dessus de nos possibilités. Nous avons fait appel à une évaluation extérieure. Car, nous sommes dans un espace économique et politique, la Cedeao, et depuis une dizaine d’années, la Cedeao a procédé à une harmonisation des curricula de formation, particulièrement dans le domaine de la santé.Nous avons été acteurs de cette reforme et c’est ce qu’on applique à l’Université Kankou Moussa. Pour évaluer la qualité de la formation, il y a eu un conseil régional d’accréditation qui a été mis en place avec des critères très rigoureux. L’Université Kankou Moussa a fait appel à ce conseil d’évaluation en 2015. Elle a reçu la même année une délégation du Conseil régional d’accréditation de l’Organisation ouest africaine de la santé. Elle était constituée exclusivement des responsables des universités de la sous-région. Cette délégation a séjourné dans nos locaux pendant trois jours et a visité les infrastructures, évalué les équipements pédagogiques et rencontré les étudiants et les enseignants. A l’issue de cette évaluation, elle nous a adressé un rapport qui fait état de la qualité de la formation. Ce qui fait que dans leur grille de notation, sur cent points, l’Université Kankou Moussa a obtenu 80.Cette note a donné à l’Université une accréditation totale sur cinq ans.
Quelle est la valeur d’une accréditation ?
Etymologiquement, accréditer c’est reconnaitre la capacité d’un établissement à former des étudiants dans un domaine particulier. C’est-à-dire quand vous créez une université pour former des étudiants en médecine, il y a un programme,un corps enseignant et du matériel didactique que vous devez avoir.Tous ces éléments sont évalués pour voir s’ils sont idoines pour former un docteur en médecine. Lorsque l’évaluation conclut que vous avez des équipements et le personnel qu’il faut pour former des étudiants en médecine, on dit que vous êtes accrédités. Cette accréditation vous donne la reconnaissance du diplôme.
Malgré cette accréditation de la Cedeao, est- ce que la résistance à laquelle vous étiez confrontés existe toujours ?
Je veux dire que nous sommes un peu surpris par le comportement du département de tutelle. Car, le Mali faisant partie de la Cedeao, à partir du moment où cet organisme d’évaluation a été mis en place par nos ministres, nous avons tout naturellement pensé que cela devrait en partie rassurer les uns et les autres. Malgré l’accréditation de la Cedeao, notre arrêté d’ouverture ne nous a pas été délivré tout simplement parce qu’au moment où nous ouvrions, les délais de trois mois étaient passés.Et comme disent les textes, si vous déposez une demande d’ouverture,si les autorités ne vous répondent pas au bout de trois mois, cela veut dire que vous avez l’accord. Nous avons donc utilisé cette disposition pour ouvrir l’Université. Maintenant, nous avons voulu régulariser cette situation et nous avons réintroduit un dossier de demande d’ouverture qui a fait tous les circuits. A toutes les étapes, il a été jugé bon jusqu’au niveau du département de l’Enseignement supérieur. Le ministère lui-même avait un projet d’arrêté d’ouverture. Lequel est parti jusqu’au secrétariat du gouvernement qui avait donné son accord. Il ne restait que la signature du ministre pour qu’il soit enregistré. Mais au moment où je vous parle, cet arrêté n’a pas été signé pour des raisons que nous ignorons.
Vous ignorez les raisons qui expliquent le refus du ministre de tutelle de signer ledit arrêté ?
Ça ne se dit pas. Lorsque des textes posent des conditions à remplir pour obtenir une telle décision, si toutes les conditions sont remplies et que la décision n’est pas prise, on est en droit de se poser des questions. La dernière information qui nous a été communiquée, c’est que le ministre de tutelle a souhaité que nous fassions une convention avec l’Université des sciences, des techniques et des technologies de Bamako. Bien que cela ne se justifie pas, ne voulant pas que notre université soit considérée comme un élément perturbateur,nous avons pris contact avec le Recteur de l’Université. Chacun de nous avait fait des propositions à partir desquelles le Département de tutelle avait fait une synthèse qu’on devait signer. Mais ce document est resté entre le rectorat et le ministère.
Malgré ces quelques obstacles, peut-on dire que l’Université Kankou Moussa fonctionne comme vous le souhaitez ?
Nous avons le programme harmonisé. Nous avons tous les enseignants qu’il faut pour le bon encadrement. Nous avons des enseignants permanents, des enseignants en vacation. Bref, les choses se passent bien. Au plan des activités académiques, nous n’avons pas de problème. La rentrée s’effectue normalement à partir du 15 octobre, nous avons fini l’évaluation du 1er semestre. Et l’évaluation du 2ème semestre interviendra vers fin juin.
Avec l’accréditation de la Cedeao, la question de la reconnaissance des diplômes ne se pose donc plus ?
Sûrement pas ! La reconnaissance des diplômes est un acquis. Le Mali en tant que membre fondateur de la Cedeao ne peut pas aller à l’encontre de sa décision.
Qu’est-ce qui vous différencie des autres universités privées ?
Nous sommes le premier à créer cette université dédiée à la médecine. Nous avons aussi souhaité une évaluation extérieure pour que nos diplômes soient reconnus au niveau international. Car la plupart de nos étudiants viennent d’autres pays. Aujourd’hui, le Cames et la Cedeao reconnaissent nos diplômes.
Quels sont vos objectifs à moyen et long termes ?
Actuellement, nous délivrons les diplômes de docteur d’Etat en médecine et en pharmacie. Avec le système LMD, nous envisageons de mettre en place les Licences professionnelles et recherche et les Masters professionnels et recherche.
Avez-vous un dernier mot ?
J’invite chacun au travailpour relever la qualité de la formation de nos enfants. Parce que le niveau de la formation a baissé. Il nous faut des établissements de qualité comme le nôtre, qui répondent aux normes internationales. Cela ne peut pas se faire en vase clos. Il se fait par l’ouverture au monde extérieur. De cette manière, les cadres que nous allons former seront à la hauteur.
Réalisée par Oumar KONATE