Demain mardi 3 mai 2016, le Mali, à l’instar de la communauté internationale célèbrera la Journée mondiale de la Liberté de la Presse. Au Mali, faut-il le souligner, cette célébration intervient dans un contexte marqué par la floraison des journaux et des radios privées auxquels il faut ajouter la naissance avec la TNT des télévisions privées. Il y a aussi le fait que tout le monde s’accorde à reconnaitre que la Presse malienne dans son ensemble reste confrontée à plusieurs maux dont le manque de professionnalisme et de moyens mais aussi et surtout la spécialisation qui reste le plus grand défi de la Presse malienne. Mais pour que les journalistes puissent mieux faire leur travail, il est fondamental dans le pays du 26 Mars 1991, où le rôle de la Presse a été déterminant dans l’avènement de la Démocratie, que l’on aille vers la dépénalisation des délits de presse à l’instar d’autres pays de la sous-région comme le Niger.
On se rappelle que la dépénalisation du délit de Presse au Niger avait été l’œuvre de la junte militaire au pouvoir présidée à l’époque par le général Salou Djibo, président du Conseil suprême pour la restauration de la démocratie (CSRD). Le texte du Niger avait été proposé à la suite des "Etats généraux" de la presse convoqués par la junte.
La dépénalisation des délits de presse veut dire, ou du moins, ce que nous souhaitons pour le Mali est qu’un journaliste condamné pour délits de presse ne soit plus envoyé en prison. Il ne doit, pour renforcer la liberté d’expression, qu’écoper d’une amende. Si l’amende plutôt que la prison avait été votée au Mali, des journalistes émérites comme Alexis kalambry, Sambi Touré, Birama Fall et autres n’auraient pas séjourné à la prison centrale de Bamako pour l’affaire de « la Maitresse du président ». La dépénalisation des délits de diffamation, d’injure ou de propagation de fausses nouvelles que nous appelons de tous nos vœux pour la presse malienne, ne saurait signifier une carte blanche aux journalistes pour en faire à leur tête. Nous voulons simplement que nos directeurs de publications et nos journalistes soient écroués à la suite de personnalités proches du pouvoir ou de «Ma famille d’abord» plaintes de personnalités proches du pouvoir. En prélude à la célébration demain de la journée mondiale de la Liberté de la presse, votre journal vous brosse ici l’historique de cette journée mondiale à travers un état des lieux dont le portrait est donné par nos deux confrères du journal Le Reporter et le chargé de l’information au Haut-commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés.
Historique de la journée mondiale de la Liberté de la Presse
Faut-il le rappeler, la Journée mondiale de la liberté de la presse a été instaurée par l'Assemblée générale des Nations Unies en décembre 1993 après la tenue du Séminaire pour le développement d'une presse africaine indépendante et pluraliste. C’est ce séminaire, qui s’était déroulé à Windhoek en Namibie en 1991, qui avait conduit à l'adoption de la Déclaration de Windhoek sur la promotion des médias indépendants et pluralistes. En effet, la Déclaration de Windhoek exige l'établissement, le maintien et la promotion d'une presse pluraliste, libre et indépendante en mettant l'accent sur l'importance d'une presse libre pour le développement et la préservation de la démocratie au sein d'un État, ainsi que pour le développement économique. La Journée mondiale de la liberté de la presse est ainsi célébrée le 3 mai de chaque année, date à laquelle la Déclaration de Windhoek a été adoptée.
Même si l'on ne célèbre que depuis 1993 la Journée mondiale de la liberté de la presse, il faut dire que la liberté de la presse prend ses racines dans l'histoire des Nations Unies. On peut lire déjà dans l'article 19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 que : "tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit." L’article 7 de la Constitution malienne du 25 février 1992 garantit en ses termes la liberté de la presse : « La liberté de presse est reconnue et garantie. Elle s'exerce dans les conditions fixées par la loi. L'égal accès pour tous aux médias d'Etat est assuré par un organe indépendant dont le statut est fixé par une loi organique. »
Aujourd'hui, dans le monde entier, la date du 3 mai est devenue l'occasion d'informer le public à propos des violations du droit à la liberté d'expression et le moment de se rappeler que plusieurs journalistes ont payé au prix de leur vie leur soif d’informer et beaucoup risquent encore la mort ou la prison juste en essayant de transmettre l’information au public.
Ainsi, selon l'UNESCO, la Journée mondiale de la liberté de la presse est aussi un moment d'action, qui favorise et permet de mettre sur pied des initiatives qui visent la défense et l'évaluation de l’état du respect de la liberté de la presse à travers le monde. Cette date rappelle aux États le respect des engagements qu'ils ont pris envers la liberté de la presse et alerte le public à accroître la sensibilisation pour la cause. Pour les hommes de médias, cette date est une journée de réflexion, pour stimuler le débat parmi les professionnels des médias sur les problèmes qui touchent la liberté de la presse à l'éthique et à la déontologie professionnelles.
La date du 3 mai est aussi l’occasion d'appuyer les médias qui sont victimes de mesures qui entravent la liberté de la presse ou qui visent à l'abolir. La liberté de la presse est considérée comme une pierre angulaire des droits de la personne et comme une assurance que les autres droits sont respectés. Elle favorise la transparence et une bonne gouvernance. Elle représente, pour la société, la garantie que règne une véritable justice. La liberté de la presse est le pont qui relie la compréhension au savoir.
Etat des lieux de la presse malienne : Réformer à tout prix
Au Mali, et dans la plupart des pays africains, les conditions de vie et de travail des hommes de médias laissent à désirer. Rappelons que les défis auxquels sont confrontés les médias en plus de la spécialisation et de leur légitime revendication de dépénalisation des délits de presse, restent nombreux. Mais le plus grand dénominateur commun est principalement la faible capacité financière de nos entreprises de presse africaines. Ces difficultés économiques ont pour noms, le manque de ressources financières, matérielles, logistiques et humaines ainsi que le professionnalisme lié au manque de formation. Selon le constat, ces contraintes économiques expliqueraient en grande partie les dérives et les violations de l’éthique et de la déontologie. Idem pour les radios et les télévisions privées qui sont confrontées aux mêmes problèmes économiques et financiers. A juste titre, selon cet observateur de la scène médiatique malienne, «l’espoir suscité par la presse écrite privée dans les années 1990, avant et pendant la Révolution de Mars 1991, s’est estompé depuis quelques années. Les titres, à la « UNE », des journaux sont plus attractifs que leurs contenus. Les analyses sont rares et ont cédé la place aux atteintes à l’honneur et à la dignité des citoyens. Les opinions personnelles des journalistes ont remplacé l’information. Les violations répétées de l’éthique et de la déontologie ont fini par discréditer la presse et le non-respect de la confraternité est monnaie courante ». Cependant, reconnait-il «malgré ses lacunes, la presse écrite privée joue son rôle de 4ème pouvoir en dénonçant les abus, les violations des libertés et les tentatives de corruption tant politique qu’économique. Toute chose qui tend à faire éviter certaines dérives des pouvoirs publics».
Avec des journalistes mal formés, mal payés et qui ont «atterris » dans la presse pour la plupart d’entre eux par manque d’emplois et non par vocation, ils vivent dans des conditions de précarité totale dont près de la moitié n’ont ni contrat de travail, ni d’assurances maladies encore moins de déclaration à l’INPS. Ces journalistes, toujours sur le terrain respirent le plus souvent grâce aux organisateurs de séminaires, ateliers et autres rencontres qui payent le plus souvent des subsides pour les frais de transport. Cette précarité économique et financière dans laquelle vit la presse malienne favorise toutes les formes de pression et de corruption du pouvoir économique et politique. Dans ces conditions, on voit bien que l’espoir né de la liberté de la presse avec l’avènement de la démocratie s’est vite estompé au Mali.
Pour Kassim Traoré, directeur de publication du journal «Le Reporter», «la presse malienne est à l’image de notre société. Tout le monde peut devenir journaliste et créer un journal sans contrôle ni rien. Et, les responsables des associations de presse sont devenus des businessmans. Ainsi, chaque jour on entend des affaires de sous entre des responsables de la presse et des structures». Pour lui, depuis 2012, il n’y a pas eu de formations pour la presse et les débutants sont laissés à eux-mêmes. «C’est au Mali que ceux qui n’ont aucun diplôme, sont promoteurs de journaux et de radios. Et, les organes de régulation ont peur de jouer leur rôle. Et c’est au Mali aussi que des directeurs de journaux deviennent des portes paroles du pouvoir. Et quand cela pète on nous parle de confraternité» lance-t-il. D’où, dit-il, la nécessité de sa réforme.
Hamidou N’Gatté, chargé de l’information au Haut-Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés, aborde dans le même sens et reconnait que «la presse malienne vit dans une précarité indescriptible, ce qui empêche tout espoir d’indépendance pour le moment. Il y a certes certains professionnels dans ce milieu, mais force est de reconnaitre que beaucoup manque de formation en la matière. Ce qui est primordiale pour pouvoir exceller et sortir de cette situation de « misère » de certains organes (journalistes). Il faut que les responsables à tous les niveaux fassent en sorte que la presse malienne sorte de cette situation où n’importe qui se lève du jour au lendemain pour se réclamer journaliste ou créer un organe de presse. Que la convention collective qui est pendante devant les élus de la Nation depuis plusieurs années déjà soit signée et mis en application. Il faut également mettre l’accent sur la formation des jeunes journalistes et cultiver en eux l’esprit du respect de l’éthique et de la déontologie de ce noble métier, sans quoi les dérives ne cesseront jamais. Que chacun y mette du sien afin que nous puissions voir une presse indépendante, juste et surtout épanouis».
En somme, pour une Presse malienne professionnelle, spécialisée et responsable, il faut la mise en œuvre de la Convention collective, élaborée depuis 2009, qui propose un cadre réglementaire et moral à l’action du journaliste, dont elle fixe les modalités de travail. Bien que signée par la grande majorité des organes de presse, cette Convention n’est à ce jour quasiment pas mise en application. L’École de journalisme dont on attend incessamment l’ouverture, devrait renforcer l’offre de formation au métier de journaliste.
Il faut aussi que la Haute Autorité de la communication, en collaboration avec les faitières de Presse fasse asseoir plus de professionnalisme et plus de responsabilité dans le secteur. Les nouvelles initiatives de la Maison de la Presse conduite par M. Dramane Alou Koné, directeur de publication du journal «l’Indicateur du Renouveau » et promoteur de la Télé privée Renouveau TV, sont à saluer, comme celles qui verra bientôt la naissance du «Tribunal des Pairs » chargé de moraliser les manquements à la déontologie et à l’éthique professionnelle au Mali.
Dieudonné Tembely