Prier de communiquer les listes de leurs combattants et l’inventaire de leurs armements, en vue d’accélérer le processus de DDR, la CMA et la Plate-forme ont été finalement prises en flagrant délit de de les enfler pour les besoins de la cause. C’est un rapport de la Minusma, transmis au conseil de sécurité, qui relève ce scandale imputable aux mouvements armés et qui pourrait gripper le processus de la paix.
C’était une condition préalable au lancement de la procédure de cantonnement : la communication, par la CMA et la Plateforme, des listes de leurs combattants et l’inventaire de leurs armements. En dépit d’une certaine tergiversation sur cette question (les mouvements armés ont mis du temps avant de se décider d’envoyer le nombre de leurs combattants), les listes sont aujourd’hui effectives, selon des sources sécuritaires crédibles, et plusieurs sites de cantonnement, désignés par la CMA et la Plateforme, sont également identifiés. Côté gouvernemental, depuis plusieurs mois déjà, le président IBK a signé les décrets portant création des commissions nationales sur le désarmement, la démobilisation et la réintégration et sur l’intégration. Dès lors, en raison de sa mission de stabilisation du pays, la Minusma, de son côté, a multiplié les soutiens en faveur des autorités nationales dans la perspective de faire avancer la procédure de cantonnement. De ce fait, il est apparu plus clairement dans le rapport de l’Onu sur la situation sécuritaire du Mali que la Minusma, en collaboration avec la Banque mondiale, a continué d’aider les autorités maliennes à rédiger le descriptif de programme national de désarmement, démobilisation et réintégration.
Si, au niveau de l’État, le programme national de désarmement, démobilisation et réintégration a connu un plein régime, ce ne sera pas le cas, pour les mouvements armés, à savoir la CMA et la Plateforme, lesquelles ont mis du temps avant de s’engager résolument dans cette voie. Or, il est évident que les mesures de sécurité et de défense, relativement à la mise en œuvre de l’accord de paix, dépendant effectivement des progrès réalisés dans le cadre du programme national de désarmement, démobilisation et réintégration. Voilà pourquoi dans la logique de renforcer ces mesures de sécurité et de défense, il a été recommandé aux mouvements armés, signataires du processus de paix, d’accélérer la mise en disposition des listes de leurs combattants et l’inventaire de leurs armements.
Et là où le bât blesse, c’est justement ces listes communiquées de la CMA et la Plateforme sur leurs combattants et l’inventaire de leurs armements qui posent problème. En fait, ces listes sont erronées et falsifiées quant au nombre réel de combattants, ayant effectivement été enregistrés sur le terrain, et celui des combattants qui a été transmis à la Minusma pour la mise en œuvre de la procédure de cantonnement. Il en est de même pour l’inventaire des armes. Tous ces chiffres ont été retouchés à la hausse par les deux mouvements armés, lesquels seront finalement démasqués par un rapport confidentiel de la Minusma qui a été également acheminé au patron de l’organisation onusienne qui le défendra, comme l’exige la procédure, devant le conseil de sécurité, dont le rôle est de l’adopter ou le rejeter, en y prévoyant des correctifs.
En donnant ses listes de combattants, il est mention d’un nombre élevé, pour la Plateforme, de près de 20.000 hommes qui ont combattu dans les rangs des forces patriotiques. Là, le nombre des combattants effectivement reconnu n’excelle pas les 1.000 et 3.000 combattants. La même augmentation artificielle est décelée au niveau de la CMA, au niveau des différentes composantes, notamment la Coalition du peuple de l’Azawad (CPA) le Mnla, ou le HCUA où le nombre des hommes actifs est anormalement revu à la hausse dans le but certain de vicier les statistiques en la matière. Le rapport confidentiel de la Minusma, transmis à l’Onu, et qui sera à son tour remis au conseil de sécurité, lui, plus pragmatique et plus complet, a établi le chiffre réel des combattants de part et d’autre. Et le nombre auquel il est parvenu, s’agissant de l’un ou de l’autre des groupes armés, est nettement plus inférieur que le nombre de combattants, artificiellement annoncé. La maldonne concerne également l’inventaire des armements qui ne reflète pas également la réalité de l’arsenal, enregistré sur le terrain.
Manifestement, les opérations de cantonnement sont du coup altérées, dès lors que les chiffres annoncés par les groupes armés sont visiblement erronés. Pris tous les deux dans la faute de la surenchère outrancière, quant à l’effectivité des listes de leurs combattants, il est évident que CMA et Plateforme ne sont pas forcément dans la logique d’aider le processus à sortir de l’ornière. Et pour cause ? De graves dysfonctionnements en matière comptable et financière qui pourront en découler. Il est évident, pour beaucoup d’observateurs, que le nombre des combattants est anormalement augmenté, par les mouvements armés, pour d’évidentes raisons financières. C’est d’ailleurs pour cette raison que le nombre des combattants est revu à la hausse. Mais, selon les mêmes sources, c’est pour cette raison fallacieuse de surévaluer le nombre des hommes sur le terrain qui constituera un goulot d’étranglement certain pour le processus de cantonnement. Face à tel nombre si élevé de combattants, le processus DDR est donc forcément coûteux et exorbitant. Et dès lors qu’il s’agit manifestement de chiffres biaisés et erronés, volontairement annoncés par les groupes armés, il est évident que l’Etat y fera quelques réserves d’autant qu’il s’agit avant tout de la gestion de fonds publics qui doit obéir à des règles comptables et financières rigoureuses. En la matière, la logique des mouvements armés est d’autant plus connue qu’une simple précaution des autorités nationales face à ces questions, surtout lorsqu’il s’agit des questions financières, est assimilable à un retard contre le processus de mise en œuvre de l’accord de paix.
Ce qui est sûr, c’est qu’une fois que l’État décidera d’examiner la situation financière, devenue faramineuse avec les vrais faux chiffres annoncés par les groupes armés sur le nombre de leurs combattants, il n’est pas exclu que ces mêmes groupes crient au scandale, en mettant une pression stérile sur l’État, accusé, en ce moment de tout, même pour les fautes qu’il n’a pas commises, comme dans le cas de l’augmentation anormale du nombre des combattants dans le but de disposer de l’argent frais au détriment de l’orthodoxie financière et comptable en la matière.
Dans ce cas d’espèce, et pour ne pas laisser envenimer la situation, c’est à l’Onu, qui dispose des chiffres réels, établis par un rapport secret que la Minusma a fait, à partir du nombre réel des hommes identifiés, çà et là, de taper du poing sur la table. En vertu du mandat dont elle dispose dans le cadre du processus de la stabilisation du Mali, elle en a le pouvoir et les moyens d’initier des sanctions ciblées à l’encontre de ceux qui torpillent par leurs actes le processus de paix, enclenché au Mali, et dont la concrétisation doit mobiliser les efforts de chacun des acteurs concernés.
Sékouba Samaké