Le climat reste extrêmement tendu entre la Confédération des travailleurs du Mali (Cstm) et le gouvernement. Le premier, accusant le second de violation des textes règlementaires, a particulièrement des dents contre le ministre en charge du travail et de la fonction publique, Mme Raky Talla qui, selon le patron de la Cstm, en plus de n’avoir aucune maîtrise des dossiers, traite les syndicalistes avec mépris et arrogance. Dans une interview qu’il a bien voulu nous accordé, le mardi dernier, Hamadoun A. Guindo fait le bilan des négociations (échouées) qui ont eu lieu, la semaine dernière, entre sa centrale et le gouvernement. Aussi, il évoque les motivations de la marche prévue pour le 12 mai prochain.
L’Aube : Vous observez, depuis ce matin, une nouvelle grève de 48 heures (ndlr : l’interview a été réalisée mardi matin). Pourquoi cette grève alors qu’il y avait des négociations entre vous et le gouvernement?
Hamadoun A. Guindo : Il y a des points d’accord et des points de désaccord. Mais ce qui était vraiment fondamental pour nous, c’est le respect de la liberté syndicale et le respect des droits des travailleurs de s’organiser et de défendre leurs intérêts. À ce niveau, j’avoue que nous n’avons pas enregistré d’avancées notoires de la part du gouvernement. Nous aurions souhaité, dans le cadre de ses négociations, trouver un accord en ce qui concerne le respect des conventions internationales et de la réglementation nationale en vigueur. Mais le gouvernement continue de garder un comportement qui n’est pas à la hauteur de ses responsabilités. Les violations de liberté syndicales continuent : licenciements, suspensions, mutations et autres sanctions… Il faut mettre fin à ses abus, sinon il n’y aura plus de mouvement syndical. Notre combat ne vise pas, à priori, l’augmentation des salaires ou encore des primes. Nous estimons surtout que notre organisation est attaquée dans ses fondements. Ce qui n’est pas normal dans un pays qui se dit de droit. Nous souhaitons des autorités, le respect des textes réglementaires. Même à la suite de la dernière grève, en avril 2016, des gens ont été suspendus, d’autres ont été radiés. Et l’Etat sait pertinemment que ces faits sont en contradiction avec la loi. Pour nous, il est inadmissible que l’Etat, qui doit sanctionner ceux qui violent les textes, sévisse contre les grévistes dans les services publics. Aussi, nous avons constaté que l’Etat n’est pas juste dans la gestion de ses relations avec les organisations syndicales. Il doit se mettre au-dessus de tous, servir d’arbitre et garder le même partenariat de dialogue social avec tout le monde. Voilà 16 ans que nous demandons des élections professionnelles pour qu’au moins chaque centrale syndicale sache quelle est sa représentativité sur l’échiquier national. Impossible. L’année dernière (en mars), nous étions arrivés à un accord sur ce sujet, et les élections devraient se tenir en octobre 2016. Non seulement rien a été fait, mais cette fois-ci encore (Ndrl : les négociations de la semaine dernière), on nous renvoie en 2017. Qu’est-ce que cela veut dire ? Aujourd’hui encore, l’Etat, en fonction de ses intérêts, traite avec les centrales. Et fait en sorte que celles-ci ne parlent pas le même langage. Et nous aussi, à partir de subside qu’on reçoit par-ci et par-là, on joue au jeu et on se tait. Or, dans nos textes fondamentaux, nous avons quand même la mission commune de promouvoir et de défendre les intérêts des travailleurs et des travailleuses.
Concrètement, quels sont les points de désaccord ?
Il y a l’abrogation des décrets abusifs, excluant la Cstm de toutes les commissions paritaires et tripartites. De quoi s’agit-il ? L’Etat a fait exprès de privilégier l’Untm, pour ne garder que cette centrale dans tous les conseils d’administration au niveau du conseil supérieur de la fonction publique, du conseil supérieur du travail et du conseil économique, social et culturel. Or, les textes fondateurs de ces différents conseils disent la représentation des centrales syndicales les plus représentatives. Nous avons attaqué tous les décrets qui ont violé les lois portant création de ces conseils. On a eu gain de cause. La cour suprême a invalidé les décrets présidentiels. Malgré tout, l’Etat ne veut pas les abrogés. Pourtant, c’est le juge qui a déclaré illégaux ces décrets et demandé qu’ils soient abrogés pour excès de pouvoir. Vous voyez, nous sommes dans un Etat qui ne veut pas respecter ses propres lois. Et le premier magistrat, qui a vu ses décrets cassés, ne veut pas revoir ses copies. Ça veut dire que lui-même s’en fiche. Pourtant, il dit que personne n’est au-dessus de la loi. C’est son leitmotiv…
Aussi, on n’est pas d’accord avec le gouvernement concernant ses relations avec les centrales syndicales. Lors de ses sorties, le ministre du travail a toujours dit que les augmentations sur les salaires et autres sont les conséquences des négociations avec l’Untm. Alors qu’en réalité, le ministre a signé avec les deux centrales syndicales. Même l’augmentation à hauteur de 5% des pensions des conventionnaires, que l’Untm n’avait jamais obtenue, a été mis au compte de cette centrale. Alors que c’est nous qui avions fait des sit-in pour demander cette augmentation. Lors des négociations, et bien avant d’ailleurs, nous avons dit au ministre de ne pas nommer les centrales quand il parle des acquis. Qu’il dise seulement les partenaires sociaux.
Nous avons eu des policiers qui ont été radiés pour activités syndicales. La loi l’interdit. Il n’y a pas de sanctions par rapport à l’activité syndicale. Sur le même sujet, les conventions sont claires, et elles sont au-dessus de la constitution malienne. Le code de travail l’interdit également. Mais, le gouvernement mute, suspend les salaires des syndicalistes… Nous avons demandé que l’Etat revienne sur ces décisions. Mais, il refuse.
Autre point de désaccord : 27 syndicalistes et 30 autres travailleurs ont été licenciés pour fait de grève à Sadiola. On a été dans les tribunaux, où nous avons gagné tous les procès.
Nous avons également demandé l’intégration de tous les enseignants dans la fonction publique de l’Etat. Encore une fois, il s’agit là d’une résolution du forum national sur l’éducation, tenu en 2009. Mais, aujourd’hui encore, le gouvernement refuse de mettre en œuvre cette recommandation. Des enseignants sont laissés à la charge des communautés qui les paient souvent en deçà du Smig. Et on veut un enseignement de qualité dans de telle situation.
L’uniformisation de taux d’augmentation des pensions, constitue un autre point de désaccord. Quand l’Untm a négocié avec le gouvernement, celui-ci a décidé d’une augmentation de 20% de la valeur indiciaire de la pension des fonctionnaires. Et rien n’avait été décidé pour les conventionnaires. Pourtant, les fonctionnaires et les conventionnaires ont tous, en tant que citoyen, servi le pays dans les mêmes conditions et parfois dans les mêmes services. Mais une fois à la retraite, l’Etat choisi de donner 20% pour le fonctionnaire sur le budget commun et 5% pour les conventionnaires. Vous voyez l’injustice entre les citoyens d’un même pays ? D’ailleurs, au départ, l’Etat n’avait même pas décidé les 5%. C’est nous qui avions posé le problème. Quand nous avons demandé les raisons de cette discrimination, Madame le ministre n’avait pas de quoi répondre. Je vous dis, en réalité, cette dame n’a jamais négocié dans sa vie. Elle ne sait même pas comment aborder une réunion de négociation. C’est ça son problème. Nous avons été jusqu’à lui rappeler qu’est-ce qu’une négociation collective. Elle ne maîtrise aucun dossier. Et nous lui avons demandé de faire venir les autres ministres. Elle a refusé. Les conseillers qui sont venus n’étaient là que pour la forme. Pendant tout le débat, il y a des conseillers qui n’ont pas levé le petit pouce pour parler. Les quelques fois ou des conseillers ont parlé, c’était pour dire que nous sommes d’accord avec madame le ministre. Or, tout le monde savait que cette dame ne maîtrisait pas les dossiers. Pire, elle est arrogante. C’est pour cela que nous allons organiser une marche pour la dénoncer.
Peut-on savoir les grandes lignes des points d’accord ?
Certains points prêtent à confusion, bien qu’ils soient retenus comme points d’accord. Concernant l’organisation des concours professionnels pour les sages-femmes ayant niveau Def en vue de les reclasser au niveau technicien supérieur de la santé, on nous a dit que le gouvernement a informé sur la question et que des mesures sont en cours. En cours, mais est ce qu’on peut avoir un chronogramme ? Avions-nous demandé. La réponse de l’Etat : non, je ne me prononce pas là-dessus. Maintenant, on ne sait même pas quel langage devons-nous dire à nos militants.
Idem concernant la relecture des textes régissant les centres de santé communautaires. L’Etat dit que le processus est en cours, mais nous n’avions eu aucun chronogramme.
Par rapport à l’intégration du personnel qualifié des Cscom sur fonds Asaco dans la fonction publique des collectivités, l’Etat affirme qu’une commission sera mise en place. Là aussi on ne sait quand. C’est dire que maintenant, nous allons devoir attendre 2016, 2017, 2018. En tout cas, l’Etat nous dira toujours qu’il a pris un engagement, mais qu’il n’a pas déterminé de délais. Voilà dans quel type d’accords nous sommes. Voilà les types d’accord que nous avons acceptés avec l’implication de la commission de négociation.
Vous avez annoncé une marche pour le 12 mai prochain. Qu’est-ce qui motive cette manifestation ?
Nous ne sommes pas d’accord avec le gouvernement dans le cadre de sa gestion des relations avec les partenaires sociaux, particulièrement avec sa façon de gérer les doléances de la Cstm. Nous n’admettons pas que des travailleurs soient sanctionnés parce qu’ils ont suivi un mot d’ordre de leur centrale syndicale. Nous ne sommes pas d’accord avec l’exclusion. Nous ne sommes pas d’accord avec le faite que le gouvernement a dans ses mains des arrêts de justice et refuse de les appliquer. C’est tous ceux-ci que nous allons dénoncer le 12 mai prochain. Cette marche ira du siège de la Cstm en direction du ministère du travail et de fonction publique.
Réalisée par I B Dembélé