Elle est surtout le fait des multinationales qui déploient un trésor d’ingéniosité pour payer moins au fisc Le scandale des « Panama papers » qui défraie la chronique, a propulsé la question de l’évasion et de l’optimisation fiscales à la une de l’actualité. En effet, entre 2013 et 2016, quatre énormes « fuites » ont mis en lumière les dessous de l’évasion fiscale mondiale. Avant les 11,5 millions de documents qui impliquent 140 personnalités de premier plan des « Panama papers », l’opinion publique a découvert « Offshore Leaks » ou l’utilisation des sociétés écrans, « Swiss Leaks » et ses petits secrets bancaires et « Lux Leaks » et son optimisation fiscale des multinationales
Ces affaires vont-elles aider à faire avancer la lutte contre l’évasion fiscale et renforcer la transparence ? Qu’en est-il du Mali ? La direction générale des impôts attire l’attention sur le fait que le phénomène des transferts indirects de bénéfices constitue aujourd’hui l’une des préoccupations majeures des administrations fiscales des Etats africains en raison du fait que les plus grandes entreprises pourvoyeuses de ressources pour ces Etats font partie de grands groupes dont les sociétés mères sont implantées à l’étranger.
Ainsi, les activités de ces entités donnent lieu à beaucoup de flux d’opérations, de transferts indirects de bénéfices pour lesquels les bases imposables sont peu maîtrisées par l’administration fiscale notamment à cause d’un certain vide juridique constaté dans les législations fiscales. Le responsable de la sous-direction législation fiscale et contentieux, Mathias Konaté, explique que dans ce domaine, « nous sommes un peu en retard ».
C’est l’année dernière seulement, que grâce au concours de AFRITAC les pays membres de l’UEMOA et la Mauritanie ont été formés sur le contrôle des opérations fiscales internationales, ajoute-t-il. AFRITAC a ainsi organisé à l’intention de ces pays trois séminaires sur le contrôle des multinationales, les sociétés minières et les banques et assurances. A l’issue de ces séminaires, il a été constaté qu’en dehors du Sénégal aucun des pays ne disposait d’un dispositif qui permet de contrecarrer les évasions fiscales, le transfert indirect des bénéfices. « Au cours des séminaires, on nous a même proposé des textes que nous avons transposé dans notre législation nationale à partir de l’année dernière. L’optimisation fiscale entre dans ce cadre », explique le spécialiste. L’optimisation fiscale, énoncera-t-il, signifie payer moins d’impôt.
Elle implique la mise en place d’opérations juridiques dont le but est de minimiser l’impôt à payer. Est-elle légale ? « L’opération elle-même est légale mais si on tient compte du transfert indirect de bénéfices, c’est là où il y a problème », répond notre interlocuteur. Pour mieux illustrer le phénomène de transfert indirect de bénéfices, il donne l’exemple des sociétés multinationales qui ont des filiales dans plusieurs pays. Si l’un de ces pays est par exemple considéré comme à fiscalité privilégiée, elles font une comparaison avec le taux d’imposition. Mathias Konaté explique : « Par exemple, au Mali on est à 30% pour l’impôt sur les sociétés c’est-à-dire au Mali, une société doit payer 30% d’impôt sur ses bénéfices.
Si un autre pays (comme la fiscalité relève de la souveraineté de chaque pays), comme Monaco, où l’impôt sur les sociétés est relativement bas (10%) ou même exonéré, une société qui y est installée et ayant sa filiale au Mali (cela signifie qu’elle détient plus 50% des actions et donc a une décision sur la filiale malienne) va transférer les bénéfices réalisés au Mali, à travers les charges. Elle va, par exemple, envoyer des prestataires pour faire un travail à Bamako. Si le coût effectif de ce travail est d’environ un million Fcfa, la société va demander à la filiale malienne de facturer à 2 millions Fcfa.
25 inspecteurs vérificateurs. Ces deux millions seront considérés comme des charges et vont diminuer les bénéfices qui vont être imposés à Monaco où il n’y a pratiquement pas d’impôt. Il s’agit donc de mettre en place des textes juridiques pour contrer ces mécanismes ». Les transferts indirects de bénéfices à l’étranger existent sous diverses formes et l’administration fiscale fait face à des opérations très complexes avec des moyens limités : frais de siège et redevances excessifs, difficultés d’appréciation de prix de transfert, difficultés dans la taxation des opérations des sociétés minières, des sociétés de téléphonie mobile, des banques et compagnies d’assurance, sous-capitalisation, etc. Dans un tel contexte, il apparaît donc nécessaire de renforcer le dispositif législatif en vue de mieux cerner les opérations des multinationales.
La législation malienne a dorénavant défini un pays à fiscalité privilégié. Les informations doivent circuler à travers la communication des documents.
Ainsi, la filiale est tenue de donner pratiquement tous les documents, même ceux concernant les filiales et le siège. Cela permet de garder l’œil sur les mouvements et de savoir, s’il y a un transfert des bénéfices. Les textes ont été adoptés en décembre dernier. Les cas d’optimisation fiscale sont rares au Mali, mais existent dans de nombreux pays, indique notre spécialiste qui explique les mécanismes permettant l’évasion fiscale par l’existence « des failles que les entreprises exploitent pour échapper à l’impôt ».
Selon Mathias Konaté, ce sont surtout les cas de fraude fiscale qui sont fréquents au Mali. Les textes existent. Mais les opérateurs ne déclarent pas tout. Par exemple, un opérateur vend pour 10 millions de Fcfa et déclare 8 millions aux impôts. « Comme on n’a pas suffisamment de moyens pour contrôler, beaucoup de cas nous échappent et toutes les sociétés ne sont pas contrôlées », déplore-t-il en faisant remarquer qu’à la direction des grandes entreprises (1 milliard et plus de chiffres d’affaires et c’est là bas que sont classées toutes les multinationales), il n’y a que 25 inspecteurs vérificateurs pour plus de 500 entreprises.
F. MAÏGA