Dans un arrêt rendu le 5 mai dernier, la Cour constitutionnelle déboute l’opposition malienne d’une requête en annulation de la loi sur le Code des collectivités territoriales créant les autorités transitoires ou intérimaires au nord du Mali introduite par son groupe parlementaire VRD. Au vu de plusieurs motifs invoqués par la Cour, celle-ci déclare tout simplement que la loi incriminée est tout à fait conforme à la constitution, ouvrant du coup la voie à sa promulgation par le président de la République.
Le 31 mars 2016, l’Assemblée nationale adopte la loi n°2016-11/AN-RM portant modification de la loi n°2012-007 du 07 février 2012, modifiée par la loi n°2014-052 du 14 octobre 2014 portant Code des collectivités territoriales. Cette loi consacre la substitution des autorités intérimaires aux délégations spéciales des collectivités territoriales dans les régions du nord du Mali.
Qu’est-ce qui a motivé le législateur ? Il est parti sur la base des arguments du gouvernement dans le projet de loi. D’abord, les collectivités territoriales présenteraient des limites au regard, notamment, de leur taille réduite, de leurs attributions restrictives et de la durée de leur mandat.
Ensuite, la mise en place des autorités intérimaires s’inscrit dans le cadre du renforcement de la continuité des organes élus des collectivités territoriales. Car, contrairement aux Délégations spéciales, elles sont chargées, sans restriction, des attributions dévolues aux conseils des collectivités territoriales qu’elles remplacent.
Enfin, cette loi s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre de l’Accord pour la Paix et la Réconciliation au Mali, issu du processus d’Alger. A ce niveau, il est effectivement dit qu’« afin d’assurer la continuité de l’Etat, les institutions actuelles poursuivront leur mission jusqu’à la mise en place des organes prévus dans le présent Accord. La mise en place, le cas échéant et au plus tard trois mois après la signature de l’Accord, des autorités chargées de l’administration des communes, cercles et régions du Nord durant la période intérimaire …».
Mais, ces arguments sont loin de faire l’unanimité aussi bien au sein des élus du nord que de l’opposition politique et de l’opinion nationale.
Le niet des élus du nord
Effectivement, les élus du nord ne sont pas d’accord avec cette loi instituant les autorités intérimaires et l’avaient fait savoir, bien avant son adoption, au président de la République. Ils avaient le soutien des populations du nord à cause des multiples risques de tension que le texte faisait planer.
Pourquoi des risques de tension ?
Primo, dès le lancement de l’initiative, les groupes armés ont entamé une campagne d’information des populations sur les changements prévus dans la gestion des collectivités du nord. Ils expliquent notamment que la gestion des collectivités reviendra bientôt à la CMA et à la Plateforme, alors qu’il y a des localités où ces mouvements n’ont même pas de représentants.
Effectivement, le choix des membres des autorités intérimaires, place systématiquement les régions de Tombouctou, Gao, Kidal, Taoudéni et Ménaka sous le contrôle de la CMA et de la Plateforme. Parce qu’il est dit que les membres des autorités transitoires « seront désignés par le Gouvernement, la Coordination et la Plateforme au sein d’un vivier comprenant les autorités traditionnelles, la société civile, les conseillers sortants et les agents des services déconcentrés du ressort de la collectivité territoriale concernée… ». Du coup, les anciens maires et présidents de conseil sont mis à l’écart. Pis, des structures politiques locales de la CMA et de la Plateforme étaient en train de pousser dans toutes les collectivités du nord, en plus du fait que les groupes armés sont autorisés à se muer en partis politiques en prélude aux futures échéances électorales.
Secundo, les élus des régions du nord ont adressé trois correspondances au Président de la République pour manifester leur opposition à l’idée d’instaurer des autorités transitoires après que les mandats des organes des collectivités eurent été prorogés jusqu’à la tenue des prochaines élections communales et régionales. Ils affirment leur attachement à l’unité nationale et à la cohésion sociale au bénéfice des communautés dont ils disent demeurer les seuls représentants légitimes. Pour les élus du nord, il y a deux poids, deux mesures, et selon eux la mesure doit s’imposer à tous et s’étendre à tout le Mali afin d’éviter de donner raison à toute idée séparatiste du pays.
D’où la question, synonyme du tertio de notre raisonnement: les autorités transitoires sont-elles nécessaires ? Avis partagés ! Mais, les détracteurs redoutent que cette mesure n’accentue davantage le clivage entre les régions de Tombouctou, Gao et Kidal et le reste du Mali.
L’opposition « porte plainte »
La contestation s’est immédiatement étendue à l’opposition quand la loi fut effectivement adoptée. Elle est directement allée à l’essentiel à travers les membres de du Groupe parlementaire Vigilance démocratique et républicaine (Vrd) qui ont déféré à la Cour constitutionnelle, conformément à l’article 88 alinéa 2 de la Constitution, aux fins de contrôle de constitutionnalité de certaines dispositions de la loi n°2016-11/AN-RM du 31 mars 2016 portant modification de la loi n°2012-007 du 07 février 2012, modifiée par la loi n°2014-052 du 14 octobre 2014 portant Code des collectivités territoriales.
Parmi les griefs exposés par les requérants (la constitution de l’autorité intérimaire, la nomination de ses membres, le constat de l’impossibilité de constituer le conseil communal ou sa non fonctionnalité, la violation de l’article 70 de la constitution par l’article 86 nouveau, l’adoption de la loi en violation de l’article 99, alinéa 3 de la constitution etc..), l’accent est particulièrement mis sur la VIOLATION DU PRINCIPE CONSTITUTIONNEL DE LA LIBRE ADMINISTRATION DES COLLECTIVITES TERRITORIALES posé par l’article 98 de la constitution.
En effet, l’article 98 de la constitution dispose : « Les collectivités s’administrent librement par des conseils élus et dans les conditions fixées par la loi ».
Les requérants avancent qu’il est admis que du principe de la libre administration, il découle la garantie d’une autonomie à la fois constitutionnelle et fonctionnelle au profit des collectivités territoriales et que cette autonomie institutionnelle suppose des conseils élus.
Autre grief invoqué par les députés de l’opposition : prescrire dans la loi le remplacement de conseils élus par des organes dont les membres sont nommés par le pouvoir central consacre une mise en cause du principe de la libre administration par le législateur au profit de la déconcentration.
Le législateur malien l’ayant fait, il a mis en cause le principe de la libre administration, donc il a violé la constitution.
Par conséquent, les requérants demandent à la cour constitutionnelle de déclarer contraires à la constitution, les articles 11 nouveau, 12 nouveau, 86 nouveau, 87 nouveau, 152 nouveau et 153 nouveau (qui violent le principe constitutionnel de la libre administration des collectivités territoriales.
La Cour dit Non !
La Cour constitutionnelle reçoit la requête en la forme. Mais, sur le PRINCIPE CONSTITUTIONNEL DE LA LIBRE ADMINISTRATION DES COLLECTIVITES TERRITORIALES, voici les motifs et le verdict de la Cour :
« En ce qui concerne la substitution d’organes nommés aux conseils élus :
Considérant que les requérants reprochent à la loi déférée d’avoir substitué des organes nommés aux conseils élus ;
Considérant qu’au sens des articles 97 et 98 de la constitution : les collectivités territoriales sont créées et administrées dans les conditions définies par la loi et s’administrent librement par des conseils élus et dans les conditions, par elle, fixées ;
Considérant qu’au regard de ces dispositions constitutionnelles, la libre administration des collectivités suppose nécessairement que celles-ci soient habilitées par la loi à disposer d’une réelle capacité de décision, qui leur permette de gérer leurs propres affaires ;
Considérant que la loi querellée participe de la mise en œuvre de l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger d’une part et d’autre part, opère une substitution aux organes actuels de gestion des collectivités territoriales, des autorités intérimaires dont la composition, les attributions et la durée du mandat sont définies par la loi, ne compromet nullement, l’effectivité de la libre administration des collectivités territoriales ;
Qu’il s’ensuit que le grief n’est pas fondé et ne saurait donc prospérer ;
En ce qui concerne la nom motivation de l’acte administratif constatant l’impossibilité de constituer les conseils élus ou leur non fonctionnalité :
Considérant que les députés requérant reprochent à la loi l’absence de motivation de l’acte administratif devant constater l’impossibilité de constituer le conseil communal, le conseil de de cercle, le conseil régional ou du district et/ou leur fonctionnalité ;
Mais que s’agissant de la régularité d’un acte administratif, son appréciation ne pouvant relever du juge constitutionnel, la cour se déclare incompétente pour l’examen de ce grief ;
En ce qui concerne la violation de la délimitation du domaine de la loi et de celui du règlement :
Considérant que les requérants reprochent à la loi déférée la violation de la constitution en ses articles 70 et 73 pour non-respect de la délimitation du domaine de la loi et de celui du règlement ;
Considérant qu’au soutien de ce grief, ils soulignent que la procédure de constatation de l’impossibilité de constituer le conseil de cercle ou la fonctionnalité de celui-ci a été occultée par la nouvelle loi ;
Mais, considérant que l’article 86 nouveau est libellé comme suit : « Lorsque le conseil de cercle ne peut être reconstitué ou n’est plus fonctionnel pour quelques causes que ce soit, une autorité intérimaire est mise en place sur rapport du représentant de l’Etat dans la région dans les quinze (15) jours pour remplir les fonctions pendant six mois… » ;
Qu’il résulte de cette rédaction que la procédure de constatation de l’impossibilité de constituer le conseil de cercle ou la non fonctionnalité de celui-ci est bien décrite pendant que l’article 87 suivant précise les modalités de nomination des membres de l’autorité intérimaire de cercle ;
Qu’il s’ensuit que cet autre grief est sans fondement ;
Par ces motifs :
Article 1er : Reçoit en la forme la requête des membres signataires du Groupe parlementaire Vigilance démocratique et républicaine (Vrd) ;
Article 2 : La rejette ;
Article 3 : Déclare conforme à la Constitution la loi n°2016-11/AN-RM du 31 mars 2016 portant modification de la loi n°2012-007 du 07 février 2012, modifiée par la loi n°2014-052 du 14 octobre 2014 portant Code des collectivités territoriales.
Sékou Tamboura