Installé au pouvoir le 17 mai 1997 par le Rwanda, l’Ouganda, l’Angola et les Etats-Unis, Laurent- Désiré Kabila va rapidement se débarrasser de ses oripeaux de marionnette pour redevenir le nationaliste zaïrois qu’il avait été dans les années 1960 à Lemera de céder une grande partie de l’est du pays et ne rêve déjà plus que de chasser les étrangers qui pillent ses richesses. Il ne veut plus être à la tête d’un Etat sous tutelle et souhaite tout simplement rétablir le Zaïre, devenu RDC, dans sa souveraineté, en commençant par réhabiliter les infrastructures de base et l’appareil d’Etat.
Malgré le soutien réel, et surprenant, du peuple, qui l’avait perçu à son arrivée à Kinshasa comme l’homme des Rwandais, il se trouve paradoxalement très isolé, car, pas plus maintenant qu’avant, ceux qui se considèrent comme les maîtres légitimes du Zaïre ne sont installés à Kinshasa et ne souhaitent l’aider à créer un Etat qui fonctionne un tant soit peu.
La «communauté internationale», la Belgique en tête, le méprise et lui refuse l’argent nécessaire pour faire redémarrer le pays. Plus grave encore, il est enfermé, piégé par les Rwandais qu’il a lui-même installés aux postes-clés de l’État, notamment James Kabarebe, l’homme qui l’a conduit à Kinshasa et dont il a fait son chef d’état-major. Les frictions puis les affrontements se multiplient entre les deux hommes à propos de ceux que le nouveau régime de Kigali appelle les «génocidaires», c'est-à-dire tous les Huturwandais réfugiés au Zaïre, parmi lesquels figurent effectivement des Interahamwe (ex-milicien), mais, très majoritairement, des ex-militaires des FAR et des civils.
Laissons d’abord la parole à James Kabarebe, qui, quatre ans après les faits, se souvient de cette période délicate : «Il (Kabila) a fait circuler des rumeurs sur la complicité des Rwandais avec Tshisekedi, reprochant à Kigali de masser des troupes le long de la frontière. Il a nommé sans me consulter des généraux proches des génocidaires à la tête des régions limitrophes du Rwanda, avec pour instruction d’organiser les milices Interahamwe pour qu’elles puissent lancer des opérations militaires contre mon pays. Quand je lui en ai parlé, il a nié les faits, mais il est encore devenu plus hostile aux Rwandais, désormais informés de son plan. C’est ainsi que j’ai échappé à plusieurs tentatives d’assassinats».
Dès avril 1998, les Rwandais font savoir aux Angolais qu’ils entendent débarquer le Mzee (le «sage»), surnom donné au chef de l’Etat congolais. L’Afrique du Sud, d’accord avec ce projet, a fourni à cette fin à Kigali des équipements militaires pour une valeur de 100 millions de dollars. À Kigali, un officier de renseignements confie à Colette Braeckman : «Les Américains nous ont demandé d’écarter Kabila, qui ne leur convient pas.»
A la frontière entre le Zaïre et le Rwanda, les Américains ne prennent même plus la peine de se cacher. Kabila sait dès lors que sa vie est en danger. Jusqu’a sa mort, il va vivre dans la hantise des complots, changer constamment et au dernier moment de domicile, de parcours, de mode de transport…
Le 1er juin 1998, il limoge cinq de ses ministres, pour la plupart rwandaise. Et si l’on en croit James Kabarebe, le Mzee fomente lui aussi de nombreux complots et tentatives d’assassinat : «la plus spectaculaire est intervenue en mai 1998. Laurent-Désiré Kabila était à Lubumbashi et m’a demandé de le rejoindre d’urgence. Il m’a informé qu’un hélicoptère m’attendait à la base militaire.
Arrivé sur le tarmac, j’ai senti le piège et ai refusé d’embarquer. L’appareil a explosé quelques minutes après avoir décollé. Il a essayé à plusieurs reprises de rééditer son coup, jusqu’au jour où je me suis rendu au Palais de marbre sans y être invité. Je lui ai dit que, s’il m’arrivait malheur, il ne me survivrait pas longtemps. La situation était intenable. J’en ai informé le président Kagamé, qui m’a ordonné de rentrer.
Pour lui transmettre ce message, j’ai exigé d’être accompagné par le général Célestin Kifwa, patron de la police, en lui précisant qu’au moindre coup fourré je l’abattrais de mes mains. Kabila a demandé d’organiser notre départ. Il n’y avait plus que 199 Rwandais à Kinshasa, je suis parti le dernier.»
Les Rwandais qui occupaient des postes de responsabilité sont partis le 27 juillet. Cinq jours plus tard, James Kabarebe, nouveau chef d’état-major des forces rwandaises au Zaire, déclenche une offensive dans le Kivu ;trois semaines plus tard, il en fait porter la responsabilité à un mouvement prétendument rebelle, appelé RCD-Goma (Rassemblement congolais pour la démocratie, basé à Goma ),qui est une pure création de Kigali.
Les militaires du RCD-Goma s’approvisionnent au Rwanda, notamment en armes et en munitions sophistiquées (par exemple, en obus capables de percer le blindage des tanks) prêtées par un Israélien ; ils disposent de Sam7 (l’arme qui a été utilisée par l’APR de Paul Kagamé pour abattre l’avion de Juvénal Habyarimana) et n’hésitent pas à s’en servir pour abattre des avions.
Le 11 octobre 1998, un Boeing 727, avec 40 civils à son bord, est ainsi abattu par les rebelles. Entrent aussi en guerre, contre le «pouvoir central» de Kabila, le MLC (Mouvement pour la libération du Congo), dirigé par Jean-Pierre Bemba et soutenu par l’Ouganda, ainsi que deux mouvements plus modestes encouragés par Kigali et Kampala, le RCD-ML (Rassemblement congolais pour la démocratie-mouvement de libération) et le RCD-N (Rassemblement pour la démocratie nationale). Les rebelles contrôlent rapidement les principales villes du Kivu frontalier du Rwanda et du Burundi : Goma, Bukavu et Uvira.
Le 23 août 1998, Kisangani tombe entre leurs mains. James Kabarebe tente une opération aventurée en prenant pied dans le Bas-Congo, à quelque 2.000 kilomètres du Rwanda, et en s’appuyant sur d’anciens soldats mobutistes dans l’espoir de prendre plus rapidement Kinshasa. Le coup d’éclat va se transformer en fiasco, contrarié qu’il est par l’Angola, Dos Santos s’étant rapproché de Laurent-Désiré Kabila. Le Mzee ne reste pas les bras croisés.
Le 02 août, la chasse aux Rwandais est lancée dans tout le Zaire, hormis dans l’Est. Pour faire front, Laurent-Désiré Kabila négocie l’appui de l’Angola, de la Namibie, du Tchad et du Zimbabwe, qui dépêche des troupes au Zaire. Luanda accepte de faire de Kabila son allié dans sa lutte contre l’UNITA de Jonas Savimbi, son combat principal.
Le 25 août 1998, grâce à l’appui de troupes zimbabwéennes et angolaises, Kinshasa reprend le contrôle de l’ouest (Bas-Congo) frontalier de l’Angola, où Luanda voulait prendre à revers les troupes de l’UNITA. Kabila réussit aussi à mobiliser le peuple congolais contre les envahisseurs. Il n’empêche que les troupes dépendant de Kigali et de Kampala occupent toujours le nord et l’est du pays.
Dans ce contexte, Laurent-Désiré Kabila accepte la main tendue par d’anciens officiers de l’armée rwandaise pourchassés depuis 1994. Après la destruction des camps de réfugiés hutu dans l’est du Zaïre et le massacre des fuyards dans les forêts congolaises, l’année précédente, quelques officiers supérieurs, ex-FAR rescapés, se sont en effet retrouvés à Nairobi, au mois de mai 1997, et ont cherché les voies et moyens de poursuivre la lutte pour défendre les réfugiés survivants, toujours menacés par le Front patriotique rwandais (FPR) : pour cela, ils ont organisé la liaison entre les différents groupements de réfugiés et une résistance disséminée dans l’est de la RDC, au Congo-Brazzaville, en République centrafricaine, en Tanzanie et au Rwanda, puis ils ont noué des contacts indirects avec Kabila.
Après le 02 août 1998, ces contacts deviennent directs. La petite cellule se déplace même à Kinshasa. Elle propose de mobiliser ses combattants et de ramener au Zaïre ceux qui sont à l’extérieur, pour aider Kabila dans un combat qui est aussi le sien. Elle entend ainsi renforcer la résistance des forces d’autodéfense des réfugiés, à l’Est, reconstituer une force armée pour s’opposer au FPR avec comme objectif ultime la reconquête du pouvoir.
Le premier contingent de quelques milliers de ces combattants ex-FAR rassemblés à Brazzaville traverse le fleuve Congo et est reçu à Kinshasa le 03 octobre 1998. Un deuxième contingent en provenance de Brazzaville suit au début de novembre 1998, et un troisième, moins important, arrivera en janvier 1999. Un bataillon viendra de République centrafricaine en décembre 1998, un autre de l’Angola, via Kolwezi et le Kasaï occidental. Quelque 7.000 combattants seront ainsi mobilisés sur le front intérieur, tandis que la force d’autodéfense des réfugiés résistera avec les combattants locaux Mai-Mai sur le front de l’Est.
En décembre 1998, un bataillon d’ex-FAR traversera le Congo-Brazzaville pour venir aider Sassou à mater une rébellion. Ce rapprochement avec les «génocidaires», comme disent Rwandais et Ougandais, mais aussi leurs amis et protecteurs américains, ne vaut pas des bons points à Kabila. Les préparatifs d’attentats et de coups d’Etat se multiplient contre lui.
Au cours du mois d’août 1999, deux espions britanniques sont arrêtés aux bords de l’aéroport de Ndolo, à Kinshasa. Interrogé, l’ambassadeur britannique se contente de répondre qu’il s’agit de membres de l’ambassade venus voir comment on pouvait procéder à l’évacuation des étrangers européens au cas où surviendrait une attaque dans Kinshasa.
A la même époque, trois «missionnaires» blancs, américains cette fois, sont appréhendés à Lubumbashi, porteurs de fusils d’assaut avec balles explosives. Dans le sous-sol de leur maison d’habitation, protégé par un système électrique, sont trouvés des jumelles infrarouges de vision nocturne, des armes et des lunettes de tir de précision, le tout portant l’inscription «US Army». Les trois hommes faisaient la navette entre Lusaka et Lubumbashi et avaient été filés.
Il s’agit en réalité d’un commando chargé d’étudier les moyens d’abattre Kabila lors d’un de ses nombreux passages à Lubumbashi. Ils sont eux aussi relâchés et remis à l’ambassade américaine à Kinshasa. Interrogé, l’ambassadeur William Lacy Swing affirme qu’ils sont des missionnaires venus faire du tourisme à titre privé.
Questionné sur le fait qu’ils détenaient des armes d’assaut de gros calibre, il répond que ces armes leur servaient à abattre du gibier pour se nourrir. Au cours de la même période, trois espions américains sont également arrêtés à Harare, la capitale du Zimbabwe ; ceux-là sont emprisonnés, jugés et condamnés. Les Américains enverront Kofi Annan pour les faire libérer…
Mis au ban de la communauté internationale, Kabila est victime d’un incroyable campagne de dénigrement : il est traité à son tour de «génocidaire» ; on en fait le responsable de la mort de 200.000 Hutu en 1996-97- alors que ce sont les soldats de l’APR de Paul Kagamé qui en ont tué les principaux responsables-et l’instigateur du massacre des Tutsi dans le pays en aout 1998. Mais le Mzee résiste, au grand dam des nouveaux parrains de l’Afrique centrale, l’administration Clinton en tête. (A suivre !)
Source : Carnages Pierre PEAN
Source: L'Inter de Bamako