Le refus de statuer sur la violation de l’obligation constitutionnelle de consultation du Haut conseil des collectivités ; interprétation erronée de la loi sur les autorités intérimaires ; insertion de facto de l’Accord d’Alger dans le bloc de constitutionnalité, telles sont entre autres incohérences relevées par Dr Brahima Fomba, professeur de droit, à propos de l’Arrêt n° 2016-05/CC du 05 mai 2016 rendu par la Cour constitutionnelle suite à une saisine de l’opposition aux fins de contrôle de constitutionnalité de la loi n°2016-11/AN-RM du 31 mars 2016 portant modification de la loi n°2012-007 du 07 février 2012, modifiée par la loi n°2014-052 du 14 octobre 2014 portant Code des collectivités territoriales.
A l’origine de l’Arrêt n° 2016-05/CC du 05 mai 2016, une saisine de la Cour constitutionnelle par l’opposition aux fins de se prononcer sur des griefs d’inconstitutionnalité reprochés à la loi n°2016-11/AN-RM du 31 mars 2016 portant modificative de la loi n°2012-007 du 7 février 2012 modifiée par la loi n°2014-052 du 14 octobre 2014 portant Code des Collectivités Territoriales.
Ces griefs se ramènent pour l’essentiel à la violation des articles suivants de la Constitution : article 98 sur le principe de la libre administration des collectivités territoriales ; articles 70 et 73 relatifs aux domaines respectifs de la loi et du règlement ; article 99 alinéa 4 relatif à l’obligation pour le Gouvernement de saisir pour avis le Haut Conseil des Collectivités(HCC) de toute loi relative aux collectivités territoriales. D’un revers de main cependant, la Cour constitutionnelle va systématiquement rejeter l’ensemble de ces griefs et déclarer ainsi conforme à la Constitution, la loi n°2016-11/AN-RM du 31 mars 2016 portant modification de la loi n°2012-007 du 07 février 2012 modifiée portant Code des Collectivités Territoriales.
Au-delà de cette déclaration de constitutionnalité quasi péremptoire de la loi querellée, l’analyse de fond de l’Arrêt n° 2016-05/CC du 05 mai 2016 fait ressortir des failles dans l’argumentaire de la Cour constitutionnelle que nous proposons ici de soumettre au débat. De notre point de vue, l’Arrêt brille plutôt par ses incohérences qui se traduisent par des approximations, des erreurs d’appréciation et surtout par son refus à certains égards de dire le droit ; bref toutes choses qui ne contribuent guère à faire asseoir la crédibilité d’une juridiction constitutionnelle et à la mettre au-dessus de tout soupçon. Nous tenterons ici comme le disait la constitutionnaliste Charlotte DENIZEAU de « procéder comme un archéologue pour en découvrir les éléments enfouis, cachés et même dissimulés ». Ces incohérences se ramènent pour l’essentiel aux points suivants : le refus de la Cour de statuer sur la violation de l’obligation constitutionnelle de consultation du HCC et l’insertion de facto par la Cour de l’Accord d’Alger dans le bloc de constitutionnalité tout en délivrant au passage une interprétation erronée de la loi sur les autorités intérimaires.
Le refus de statuer sur la violation de l’obligation constitutionnelle de consultation du Haut conseil des collectivités
La disposition constitutionnelle en cause ici est l’article 99 du Titre XII de la Constitution consacré au HCC : « Le Haut Conseil des Collectivités a pour mission d’étudier et de donner un avis motivé sur toute politique de développement local et régional. Il peut faire des propositions au Gouvernement pour toute question concernant la protection de l’environnement et l’amélioration de la qualité de la vie des citoyens à l’intérieur des collectivités. Le Gouvernement est tenu de déposer un projet de loi conforme dans les quinze jours de sa saisie sur le bureau de l’Assemblée Nationale. Le Gouvernement est tenu de saisir pour avis le Haut Conseil des Collectivités pour toutes actions concernant les domaines cités dans le présent article ». La requête de l’opposition reproche au gouvernement de n’avoir pas soumis la loi sur les autorités intérimaires à cette procédure de consultation, alors que cette loi relève parfaitement des domaines énumérés par l’article 99. Dans l’embarras où elle s’est très probablement trouvée plongée face aux arguments pour le moins peu convaincants développés par le Gouvernement à l’encontre de ce grief, la Cour a tout simplement opté pour la fuite en avant à travers ce qui a tout l’aire d’un véritable déni de justice.
Selon le gouvernement en effet, cette consultation « n’est obligatoire que pour les actions concernant la protection de l’environnement et l’amélioration de la qualité de la vie des citoyens à l’intérieur des collectivités et, plus généralement, sur toute les politiques de développement local et régional ». Or, poursuit-il, « dans le cas d’espèce, il s’agit d’une loi et non d’actions à entreprendre ». En d’autres termes, le gouvernement établit la différence entre ce qu’il considère comme « les actions qu’il entreprend » sur « la protection de l’environnement et l’amélioration de la qualité de la vie des citoyens à l’intérieur des collectivités et sur les politiques de développement local et régional » et les projets de loi relatifs à ces questions, comme si les projets de loi pouvaient avoir d’autres finalités que la traduction juridique des actions gouvernementales. Il en tire comme conséquence, l’absence de toute obligation constitutionnelle quant à la consultation du HCC en ces termes : « Dans le cadre du renforcement de la complémentarité entre les institutions de l’Etat et de l’amélioration des pratiques institutionnelles, la consultation épisodique du HCC par le gouvernement sur certains projets de loi ne saurait être assimilés à l’institution d’une consultation obligatoire ». De manière surprenante, le gouvernement relègue ainsi au rang de banalité procédurale plus ou moins conditionnée à ses humeurs du moment, l’habitude qui prévalait jusque-là et qui consistait à saisir systématiquement le HCC en application de la Constitution.
Bien évidemment, l’article 99 ne peut aucunement s’expliquer à travers une pareille interprétation. En tout état de cause, ce discours en porte à faux total avec la Constitution doit être compris la déclaration officielle de la marginalisation définitive du HCC et sa relégation au rang d’institution de la République à la coquille totalement vide. La Cour aura soigneusement évité de se « mouiller » en transformant la question de l’inconstitutionnalité du défaut de saisine du HCC en une banale divergence d’interprétation relevant selon elle d’un « conflit d’attribution entre deux institutions à savoir le gouvernement et le HCC ». Se référant aux Arrêt n°01-123 du 30 mars 2001 et n°01-126 du 2 octobre 2001, elle précise « qu’en cas de conflit d’attribution entre des institutions de la République, la saisine de la Cour constitutionnelle ne peut et ne doit se faire que par les institutions concernées sous la plume de leurs chefs car ce sont ces institutions qui ont un intérêt et la qualité pour agir. Qu’il s’en suit que les requérants n’ont pas qualité à saisir la Cour constitutionnelle de ce chef ». Une véritable acrobatie juridique à la limite de l’imposture !
S’agissant des références jurisprudentielles des Arrêts n°01-123 du 30 mars 2001 et n°01-126 du 2 octobre 2001 citées par la Cour à l’appui de sa cause, nous estimons qu’en ce qui concerne tout au moins l’Arrêt n° 01-123 du 30 mars 2001, le compte n’y est pas. Cet Arrêt où la Cour était saisie par la Confédération Syndicale des Travailleurs du Mali (CSTM aux fins de faire appliquer un arrêt de la Cour Suprême, constitue au contraire un contre-exemple. La Cour rejetant en l’occurrence ladite requête, avait négativement défini le conflit d’attribution en déclarant que « dans le cas présent aucune institution n’a effectué un acte relevant des pouvoirs d’une autre institution » et qu’il « échet en conséquence de dire qu’il n’y a pas de conflit d’attribution ». Par rapport à cette jurisprudence, l’Arrêt n° 2016-05/CC du 05 mai 2015 ne nous dit pas en quoi le grief du défaut de consultation du HCC soulève-t-il un conflit d’attribution, puisqu’il n’y est aucunement question de « l’exercice par une institution d’un acte relevant des pouvoirs d’une autre institution ». Il y est plutôt question du refus d’une institution (le gouvernement) de solliciter l’avis constitutionnellement requis d’une autre institution (le HCC) dans une procédure législative. Inutile de préciser que le « Considérant » étouffant ainsi l’inconstitutionnalité du défaut de saisine du HCC dans un soi-disant conflit d’attributions frôle le déni de justice. Et dire que ces mêmes juges, par la voix de leur présidente faisant mine de regretter l’impossibilité pour son institution de s’autosaisir, avaient émis il y a à peine quelques semaines lors de leur colloque d’avril dernier, le souhait que la Cour puisse récupérer toutes ses compétences à l’instar des autres Cours et Conseils de la sous-région. A quoi bon, alors qu’elle n’est même pas capable de se servir de ses pouvoirs actuels ! En effet, si la Cour constitutionnelle ne peut pas se saisir d’office, elle dispose en revanche d’une prérogative importante consistant à pouvoir soulever d’office des griefs non invoqués dans une saisine pour inconstitutionnalité et donc à pouvoir « statuer ultra petita ».
De jurisprudence constante au Mali et en matière de contrôle de constitutionnalité des lois, le juge constitutionnel s’est toujours estimé saisi de l’ensemble du contenu de la loi querellée et s’est ainsi prononcée d’office sur des dispositions ou des moyens non contestés ou soulevés dans les requêtes. Et soulever ainsi l’inconstitutionnalité évidente du défaut de consultation du HCC. Les termes de la requête ne la liant pas, la Cour constitutionnelle pouvait bel et bien procéder à la vérification de toute disposition qu’elle suspecte d’inconstitutionnalité ou tout moyen susceptible d’entraîner l’invalidation de la loi comme le défaut de consultation du HCC. Ce qui suppose évidemment une volonté réelle du juge de statuer en toute indépendance. Ce dont malheureusement on peut légitimement douter.
Il est également vrai que dans une certaine mesure, la Cour a abusé de la rédaction malencontreuse de l’article 85 de la Constitution qui en fait « l’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics » et de l’article 86 qui lui donne compétence pour « statuer sur les conflits d’attribution entre les institutions de l’Etat » sans pour autant être explicite sur les modalités concrètes de mise en œuvre des recours éventuels liés à ces attributions.
A cet égard, on voit bien qu’en dehors des dispositions lui faisant déclarer le caractère législatif ou réglementaire d’une loi, ou l’irrecevabilité en procédure parlementaire qui sont les véritables conflits d’attribution, même la loi n°97-010 du 11 février 1997 portant loi organique déterminant les règles d’organisation et de fonctionnement de la Cour constitutionnelle ainsi que la procédure suivie devant elle, ainsi que sa loi modificative n°02-011 du 05 mars 2002 ne prévoient, en termes de procédures, aucune disposition particulière pour l’exercice des compétences de la Cour en tant qu’organe régulateur des institutions et arbitre des conflits d’attributions. Ni la Constitution, ni la loi organique sur la Cour constitutionnelle ne se prononce sur les fonctions de régulateur des institutions et d’arbitre des conflits d’attribution entre les institutions de l’Etat que la Cour pourrait exercer en dehors des dispositions lui faisant déclarer le caractère législatif ou réglementaire d’une loi, ou l’irrecevabilité en procédure parlementaire. En réalité, la Constitution et la loi organique sur la Cour constitutionnelle ne donnent pas de réponse expresse quant à l’identification des institutions qui peuvent la saisir d’autres conflits d’attributions ou d’autres dérégulations du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics. Le refus de la Cour constitutionnelle de statuer sur l’inconstitutionnalité du défaut de saisine du HCC se nourrit également de ce relatif flottement juridique dans la Constitution.
Interprétation erronée de la loi sur les autorités intérimaires
Au détour d’un de ses Considérants, l’Arrêt n° 2016-05/CC du 05 mai 2016 déclare que « la loi querellée opère une substitution aux organes actuels de gestion des collectivités territoriales, des autorités intérimaires dont la composition, les attributions et la durée du mandat sont définies par la loi… ». Si telle était éventuellement l’intention inavouable du gouvernement reprise à son propre compte par la Cour constitutionnelle, force est de reconnaître qu’elle ne reflète pas ce qui résulte expressément de la loi n°2016-11/AN-RM du 31 mars 2016. C’est à tort évidemment que la Cour considère que la loi sur les autorités intérimaire « opère une substitution aux organes actuels de gestion des collectivités territoriales ». Il s’agit en réalité d’une interprétation erronée, car la loi n°2016-11/AN-RM du 31 mars 2016 portant modificative de la loi n°2012-007 du 7 février 2012 modifiée portant Code des Collectivités Territoriales ne conçoit pas les autorités intérimaires comme ayant vocation comme le dit la Cour « à se substituer, donc à remplacer les organes actuels de gestion des collectivités territoriales ». Telle n’est pas la vocation des autorités intérimaires loin s’en faut ! La loi querellée a substituée les autorités intérimaires aux Délégations spéciales dans le but de remplacer de façon temporaire (18 mois maximum) les conseils des collectivités territoriales pour motifs de dissolution, de démission des membres, d’annulation devenue définitive de l’élection des membres, d’impossibilité de constitution et de non fonctionnalité.
Insertion de facto de l’Accord d’Alger dans le bloc de constitutionnalité?
De manière inattendue, l’Arrêt n° 2016-05/CC du 05 mai 2016 semble consacrer indirectement de facto l’intégration de l’Accord d’Alger dans le bloc de constitutionnalité.
Pour le comprendre, il faut d’abord se référer au Mémoire en défense presque décomplexé mais non moins juridiquement bancal du gouvernement qui a eu l’audace de mettre en exergue devant la Cour constitutionnelle le lien direct entre la loi n°2016-11/AN-RM du 31 mars 2016 et l’Accord d’Alger en ces termes : « Qu’en outre, l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, issu du processus d’Alger prévoit « la mise en place en place, le cas échéant et au plus tard trois mois après la signature de l’Accord, des autorités chargées de l’administration des communes, cercles et régions du Nord durant la période intérimaire. Leurs désignation, compétences et modalités de leur fonctionnement seront fixées de manière consensuelle par les parties » ; Que cet Accord signé sous l’égide de la médiation internationale par le gouvernement et les groupes armés opérant dans les régions du Nord du Mali, constitue un acte consensuel qui engage l’Etat ; Que le gouvernement l’a signé dans une période exceptionnelle en vue de juguler une situation anormale née et en se fondant sur les responsabilités constitutionnelles du Président de la République (Art.29 de la Constitution ; Que dans le cadre de la mise en œuvre des engagements respectifs des parties à l’Accord la modification de la loi n°2012-007 du 7 février 2012 modifiée portant Code des Collectivités Territoriales est rendue indispensable ; Qu’elle permettra de prendre en compte les stipulations de l’Accord relaves à « l’administration des communes, des cercles et des régions du nord durant la période transitoire ».
Cette argumentation n’est ni plus ni moins qu’un plaidoyer devant la Cour constitutionnelle en faveur de l’Accord d’Alger, un plaidoyer qui prend franchement des allures rocambolesques lorsque le gouvernement va jusqu’à affirmer sans rire qu’il l’a signé « en se fondant sur les responsabilités constitutionnelles du Président de la République (Art.29 de la Constitution)».
Comme nous l’avons toujours soutenu, la loi n°2016-11/AN-RM du 31 mars 2016 se situe au cœur de la problématique du lien hiérarchique entre l’Accord d’Alger et la Constitution du Mali. Tout en esquivant soigneusement cette question fondamentale, le gouvernement a eu tendance à vouloir insérer directement les dispositions inconstitutionnelles de l’Accord d’Alger dans l’ordonnancement juridique national, passant ainsi de l’Accord à la loi sans transiter par la Constitution. Le pire dans cet imbroglio juridique est que la Cour constitutionnelle semble étrangement souscrire à cette démarche gouvernementale. Ainsi plutôt que de saisir l’occasion idéale offerte par le Mémoire en défense décomplexé du gouvernement pour enfin trancher sur la question de la Constitutionnalité de l’Accord d’Alger, la Cour rejetant le grief de la violation du principe constitutionnel de la libre administration des collectivités territoriales, reconnait explicitement à l’instar du gouvernement que « la loi querellée participe de la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger ». Tant pis si cet Accord contient de nombreuses dispositions contraires à la Constitution !
Comment la Cour a-t-elle osé ainsi se prêter à une pareille pénétration diffuse, indirecte voire pernicieuse de l’Accord d’Alger dans le bloc de constitutionnalité ?
En principe, aucun texte dans l’ordonnancement juridique malien ne peut ne pas être conforme à la Constitution, qui se trouve au sommet de ce que Kelsen a appelé la hiérarchie des normes. Il arrive toutefois que des textes qui ne font pas partie de la Constitution au sens strict en gagnent pourtant la même valeur juridique en s’intégrant ainsi au « bloc de constitutionnalité ». Le « bloc de constitutionnalité » s’entend non seulement du texte même de la Constitution, mais aussi de celui des préambules, Déclaration et autres textes juridiques auxquels il fait référence, ces derniers ayant la même valeur juridique que le texte de la Constitution. Dans son Avis n°01-001/Référendum, la Cour constitutionnelle s’est notamment exprimée sur la notion de « bloc de constitutionnalité » en rappelant qu’en font partie la Déclaration universelle des droits de l’Homme et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Le « Considérant » dans la bouche de la Cour constitutionnelle intervenant dans le cadre d’une procédure de contrôle de constitutionnalité qui soutient que « la loi querellée participe de la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger » participe de notre point de vue d’une velléité à peine voilée d’insertion de facto de l’Accord d’Alger dans le bloc de constitutionnalité. Il a tout l’air d’un blanc-seing donné par la Cour au gouvernement dans le cadre de la mise en œuvre de l‘Accord d’Alger pour ce qui concerne particulièrement ses dispositions consacrant de facto un statut particulier pour les régions du nord. Avant même que le constituant ne se prononce, la Cour constitutionnelle, s’arrogeant ses prérogatives, semble insérer d’office et de facto l’Accord d’Alger dans le bloc de constitutionnalité alors que la Constitution à aucun moment ne fait une quelconque référence à cet accord. L’Accord d’Alger ne saurait avoir la valeur constitutionnelle que lorsque que d’une manière ou d’une autre, la Constitution lui en concèdera.
La transposition directe dans la législation nationale de la notion si controversée « d’autorité intérimaires » tirée d’un Accord essentiellement focalisée sur une partie du territoire national en violation de la Constitution, consacre de facto et de manière à peine voilée, un statut particulier inconstitutionnel pour les régions du Nord.
Comme nous l’avons également souligné, la Constitution malienne s’oppose à tout traitement particulier des autorités intérimaires du Nord dans le sens d’un partage de pouvoir entre l’Etat malien représenté par le gouvernement et des groupes rebelles armés de la CMA et de la Plateforme. Il n’est qu’à se rappeler de son article 25 selon lequel le Mali est une République indivisible comme la donnée fondamentale de son caractère unitaire. La république indivisible implique l’indivisibilité de la souveraineté, c’est-à-dire une seule source de souveraineté sur l’ensemble du territoire national comme écrit à l‘article 26 de la Constitution : « la souveraineté nationale appartient au Peuple et aucune fraction de ce peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice ». Elle implique enfin une homogénéité du droit applicable sur l’ensemble du territoire national.
Au total et c’était notre crainte, la toute jeune nouvelle formation de la Cour constitutionnelle malienne croule déjà par cette jurisprudence de l’Arrêt n° 2016-05/CC du 05 mai 2016, sous le poids d’un fort soupçon d‘inféodation au pouvoir gouvernemental.
Il est vrai que la loi objet de ce premier baptême de feu de contrôle de constitutionnalité n’est pas une loi comme les autres, puisque participant directement de la mise en œuvre de l’acte politique de règlement de la crise institutionnelle du Nord que constitue l’Accord d’Alger.
Les actes politiques de règlement des crises institutionnelles africaines demeurent de véritables défis pour les juridictions constitutionnelles. Face à ces actes politiques de règlement de crises internes qui se multiplient partout à travers le continent africain y compris au Mali, les Cours constitutionnelles jouent leur crédibilité qu’elle devrait cependant se garder à tout prix d’entacher en donnant aveuglement leur caution-au nom de la paix ?- à des montages politico-juridiques pour la plupart constitutionnellement grotesques. Par rapport à ce défi, le moins que l’on puisse dire est qu’en toute franchise, la jurisprudence de l’Arrêt n° 2016-05/CC du 05 mai 2016 est loin d’être rassurante.
Dr Brahima FOMBA
Officier de l’Ordre national
Chargé de Cours aux Facultés de Droit
Coordinateur Scientifique du Groupe ODYSSEE