TOMBOUCTOU (Mali), Le maître efface du tableau noir la
dernière date inscrite: 22 mars 2012, celle du coup d`Etat au Mali. Après dix
mois de règne des islamistes dans le nord, "notre école rouvre à Tombouctou,
la guerre est finie pour nous", assure l`enseignant Ahmed Mohamed Coulibaly.
Quartier Abaradjou, rue 426. Garçons et filles s`agglutinent autour de la
fontaine, dans la cour entièrement couverte de sable de l`école fondamentale
(primaire et collège) Mahamane Fondogoumo.
Amid Dramane porte son tee-shirt n°10 de l`équipe nationale de football et
un simple cahier sous le bras. Depuis dix mois, dit-il, "je jouais dans les
rues, seulement. Mais j`avais peur des islamistes: Aqmi (Al-Qaïda au Maghreb
islamique), Ansar Dine, Mujao", dit-il, énumèrant spontanément les noms des
groupes armés qui avaient pris le contrôle de la moitié du Mali.
"Ils te chicottaient quand tu fumes, quand tu danses. Et quand tu voles,
ils te coupaient la main", ajoute l`adolescent de 15 ans. Puis chacun rentre
en classe. Et, quatre jours après la "libération" de la ville par les troupes
françaises et maliennes, M. Coulibaly, 42 ans, interpelle sa trentaine
d`élèves:
- Depuis le 22 mars, qu`est-ce qu`on a vu?
- Une crise.
- Et qui a provoqué cette crise?
- Les is-la-mistes!, s`écrient les écoliers, excités.
Quand l`instituteur demande "ce qu`ils ont fait", une fille provoque
l`hilarité générale en commençant par dire "ils ont coupé le réseau"
(téléphonique).
- Quoi encore?
- Ils ont coupé des mains, frappé les garçons... et les filles.
Sur un mur écaillé de la salle, une vieille affiche de 2007 montre encore
l`ex-président Amadou Toumani Touré, renversé par le coup d`Etat militaire de
2012, suivi par la prise de contrôle de l`immense nord malien par les groupes
islamistes armés.
Vêtue d`un large boubou de bazin bleu assorti à son "foulard de tête", la
directrice, Aïchatou Amadou, reçoit dans un petit bureau tapissé
d`illustrations montrant "le squelette humain", "les reptiles", "la façon dont
la couleuvre avale le rat"...
"Au moment du coup d`Etat, les élèves étaient partis d`eux-mêmes, leurs
parents avaient peur pour eux. Puis, le 1er avril, Tombouctou est tombée aux
mains des rebelles Touareg, le matin, et des islamistes, l`après-midi",
résume-t-elle.
A Tombouctou, les écoles sont mixtes
"Il n`y avait plus d`administration, or une ville, c`est l`administration.
C`est très fort (de vivre cela): plus de maire, de gouverneur, de préfet, de
militaires, de gendarmes, de protection civile: tous partis".
"Nous avons pris notre courage. Nous sommes restés", raconte Mme Amadou.
"Mais nous avons refusé de rouvrir l`école quand les islamistes ont posé leurs
exigences: ils demandaient que l`école se fasse en arabe, que l`on change le
programme, que les filles portent uniquement le voile. Nous ne pouvions pas
l`accepter", conclut l`enseignante née en 1957, dans un pays alors sous
administration coloniale française.
A l`entrée de l`établissement, comptant officiellement "1.400 inscrits dont
626 filles", l`enseignante Fatouma Loulou, 35 ans, confirme: "Les salafistes
voulaient l`école arabisante seulement. Mais je ne connais même pas l`arabe!
Et ils demandaient qu`on sépare garçons et filles alors qu`ici à Tombouctou,
toutes les écoles sont mixtes depuis toujours, même les écoles coraniques".
Dans la ville en partie désertée par ses habitants, où patrouillent
toujours militaires français et maliens, cette école était apparemment la
première à rouvrir.
La veille, le colonel Paul Gèze, "commandant du groupement français monté à
Tombouctou pour délivrer la ville avec l`armée malienne", s`arrêtait en blindé
devant la grande mosquée pour en saluer l`imam.
"J`ai rencontré (...) le maire, le gouverneur, le préfet rentrés de
Bamako", expliquait l`officier français. "Je leur ai dit que je souhaitais que
le plus vite possible, l`école reprenne à Tombouctou. Comme un très fort
symbole de reprise de la vie normale".
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