En proie à la violence terroriste et à des conflits sanglants sur son territoire, le Mali est aussi fragilisé par les conséquences ravageuses du changement climatique et de l'accaparement des terres. Mondafrique publie le témoignage d'Ousmane Barké Diallo, éleveur malien, rapporté par dans un rapport de la Fondation de l'écologie politique.
Cycles de pluie altérés, sécheresses, baisse des rendement agricoles, l’impact du changement climatique qui frappe de plein fouet les pays du Sahel est un défi supplémentaire pour ces Etats extrêmement fragiles préoccupés en priorité par leur situation sécuritaire.
Les deux menaces sont pourtant liées intrinsèquement. En effet, les phénomènes migratoires et la mise sous pression des ressources disponibles provoqués par le réchauffement climatique aggravent les conflits qui minent déjà ces pays. C’est le cas notamment au Mali où le changement climatique s’accompagne d’un phénomène d’accaparement des terres et l’arrivée d’un modèle d’agro-business qui renforce les inégalités entre les territoires.
C’est ce qu’explique Ousmane Barké Diallo, pasteur dans la région de Mopti au centre du Mali, dans un témoignage publié dans un rapport de la Fondation de l’écologie politique « Cop21 : réparer l’injustice climatique en Afrique ».
Mondafrique : Vous êtes agro-pasteur dans le centre du Mali depuis près de quatre décennies. Quelle réalité revêt pour vous le changement climatique ?
Ousmane Barké Diallo : Dès le milieu des années 1970, les paysans maliens ont commencé à rencontrer des phénomènes météorologiques inhabituels : les grandes sécheresses des années 1973 à 1975, puis en 1984-1985, ont été annonciatrices dans le Sahel d’un cycle de pluie qui a commencé à changer. Auparavant, la saison des pluies se terminait en septembre, maintenant elle dure jusqu’en octobre, parfois même en novembre, avec des précipitations beaucoup plus abondantes qu’il y a deux ou trois décennies.
De même, les grandes chaleurs du printemps deviennent insupportables, pour les humains comme pour les cultures. Partout la poussière, anormalement abondante, recouvre les champs. Tous ces phénomènes perturbent nos prévisions et vont jusqu’à gâcher certaines récoltes. Les rendements agricoles commencent à baisser (…). Finalement, les greniers ne sont pas remplis, la menace d’un manque alimentaire plane constamment.
M. Le changement climatique est-il l’unique facteur qui affaiblit l’agriculture vivrière malienne ?
O.B.D. Certainement pas. Depuis une quinzaine d’années, dans la zone sahélienne et notamment sur les pourtours du Niger, les paysans maliens subissent un accaparement de leurs terres. Au Mali, la terre appartient officiellement à l’Etat. Dans les campagnes, elle est en pratique aux mains des familles qui les cultivent selon la coutume ancestrale.
Elle est cédée de génération en génération, selon un droit d’usage, à l’héritier qui l’exploite et qui en retour nourrit les autres membres de la famille, souvent partis vivre ou du moins survivre en ville. Mais il est possible, depuis la colonisation et plus encore depuis l’indépendance, de se rendre dans un ministère pour acquérir des titres fonciers qui donnent un droit sur une terre et de faire valoir ces titres dans les campagnes. Depuis le début des années 2000, ce phénomène s’est considérablement accéléré. Différents types d’acteurs courtisent les ministères pour acquérir, sur plusieurs milliers voire plusieurs dizaines de milliers d’hectares, des baux emphytéotiques d’une durée de 40, 60 voire 90 ans.
Il s’agit le plus souvent de personnes privées, de nationalité malienne, généralement des prête-noms, qui achètent ainsi jusqu’à 5 000 hectares. Ils agissent pour le compte de sociétés multinationales basées au Brésil, au Canada, en Afrique du Sud, en Libye, dans la péninsule arabique, et beaucoup plus rarement en Europe. Certains Etats, parfois mêmes certaines ONG internationales, sont directement acquéreurs de ces titres fonciers, concernant des terres souvent situées sur les rives du Niger.
Au total, on estime à plus de 800 000 hectares, soit plus 8 000 km2, la surface des terres sahéliennes qui ont été accaparées au Mali depuis 2000. Dans un pays vaste mais où moins de 6 % du territoire peut être cultivé, ce modèle a conquis 12 % des terres arables en quinze ans !
Ce phénomène massif vient s’ajouter à une autre cause majeure de l’affaiblissement de l’agriculture vivrière au Mali : depuis environ vingt ans, des très nombreuses terres céréalières ont été converties à la culture du coton, jugée plus rentable et également destinée à l’export. Cette culture a connu une crise dès 2004, lorsque les Etats-Unis ont décidé de subventionner leur propre coton, le vendant à bas prix et générant par-là une baisse des cours mondiaux. Le coton malien a été durement touché mais depuis, les cours mondiaux du coton se sont à nouveau régulés… Finalement, l’agriculture vivrière n’est pas du tout l’objectif des nouveaux propriétaires de terres au Mali : ceux-ci sont avant tout animés par des objectifs de rentabilité, voire de spéculation.
M. Dans un pays où l’autosuffisance alimentaire n’est pas acquise, comment expliquez-vous cette tendance centrifuge de l’agriculture malienne ?
O.B.D. Cette tendance centrifuge est encouragée par les pouvoirs publics. Depuis les années 1990, les gouvernements successifs du Mali prônent une ouverture totale de l’agriculture aux investisseurs. La vocation des terres agricoles est en train d’évoluer très vite, vers ce que le gouvernement appelle l’agriculture utile, l’agro-business prétendument seul capable de nous développer. De plus, le Mali est signataire de presque toutes les conventions et traités prônant l’ouverture maximale du commerce international. Dans ce cadre, on assiste à un bradage des ressources foncières et à une fuite des ressources naturelles du pays.
Un des principaux problèmes est que l’Etat malien est faible face aux organismes internationaux publics ou privés – Banque mondiale, FMI, certains Etats, multinationales agroalimentaires… – qui exercent des pressions pour qu’il rende les ressources du pays le plus accessible possible, en vue de favoriser soit leur propre intérêt, soit l’idée qu’ils se font de la croissance mondiale. La pression exercée pour la signature des accords de partenariat économique (APE) avec l’Union européenne en est une des illustrations. La plupart des Etats africains ne sont pas assez forts pour résister à ces pressions.
M. Dans ce contexte, comment agissez-vous ?
O.B.D. A titre individuel, je suis d’abord agro-pasteur à Sofara, dans la région de Mopti. Mon activité principale est l’élevage bovin, mais j’élève aussi quelques chèvres et quelques moutons. En plus, je cultive un peu plus de 5 hectares de champs : 3 hectares sont consacrés au riz, un hectare à l’arachide et un hectare au niébé2. Cette activité suffit amplement à me nourrir moi, une partie de mon village et ma famille élargie partie en ville : ensemble, nous consommons environ un tiers de ma production.
Ce modèle d’agriculture familiale est largement suffisant pour nourrir l’ensemble de la population malienne : celle-ci est encore à plus de 60 % rurale, et les familles disposent en général d’au moins 3 ou 4 hectares à cultiver. Sans compter qu’à Bamako, une bonne partie de la population, fonctionnaire, exerce aussi une activité agricole de surplus.
Pour vendre la production que ma famille ne consomme pas, je suis adhérent d’une coopérative locale, qui stocke la production et l’écoule régulièrement sur le marché à des prix d’achat (au paysan) et de vente (au client) réguliers. Cela permet d’échapper au système des intermédiaires grossistes qui revendent la production à très haut prix en période de manque.
Ces coopératives paysannes sont regroupées au sein de la Coordination nationale des organisations paysannes (Cnop). Celle-ci a pour objectif d’améliorer les conditions de vie des producteurs et l’autosuffisance alimentaire dans le cadre d’une agriculture paysanne, familiale et multifonctionnelle. La Cnop est totalement indépendante, fonctionnant avec ses moyens propres. Une de ses principales revendications est le droit des communautés villageoises. Nous tentons de leur expliquer qu’elles ont un droit inaliénable sur les terres qu’elles occupent, que même l’Etat ne peut les en chasser sauf une raison d’utilité publique particulièrement exceptionnelle et moyennant un dédommagement conséquent. Plusieurs paysans ont été jetés en prison pour défendre cette revendication. Nous luttons également pour que la durée des baux sur les titres fonciers ne puisse pas dépasser 20 ans.
Mais le plus important, c’est que nous nous battons finalement pour l’application de la loi. Car le remède existe depuis 2006. C’est l’application courageuse et déterminée de la Loi d’orientation agricole (LOA). Ce texte riche de 200 articles, que les organisations paysannes ont élaboré en complémentarité avec le Parlement et les services publics, propose une refonte totale de l’agriculture malienne dans les domaines de l’ensemencement, de la production, de la commercialisation, de la formation, de la recherche… Il prône un développement de l’agriculture malienne fondée d’abord sur les exploitations familiales, puis sur les entreprises agricoles à taille humaine, structurées autour des coopératives locales et non parachutées de l’extérieur. La loi donne la priorité à l’agriculture vivrière et à l’élevage de races locales, elle vise la souveraineté alimentaire avant l’exportation. Il est urgent d’appliquer cette loi.