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L’avenir politique au Mali : Les alertes et les symboliques
Publié le mardi 17 mai 2016  |  L’Essor
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© aBamako.com par Momo
La semaine de la liberté de la presse
Bamako, la semaine de la liberté de la presse a été lancé a la maison de la presse




Les coupe-feu ont été allumés dans la zone de Ténenkou, mais il faut déjà voir plus loin. Et souhaiter que nos partenaires aiguisent leur regard sur la lutte contre l’insécurité

Pour l’adjectif « intangible », le dictionnaire Le Robert propose deux significations très proches d’ailleurs l’une de l’autre : « à quoi on ne doit pas toucher, porter atteinte » ou « que l’on doit maintenir intact ». Le terme, dans ses deux acceptions, garde toute son importance dans le pays en questionnement continu qu’est le nôtre aujourd’hui. Les temps nouveaux n’ont pas tout à fait émergé des brumes de l’avenir, mais déjà chez beaucoup de nos compatriotes pointe le réflexe de faire le deuil de certaines valeurs et de certaines convictions. Comme si l’Histoire avait amené celles-ci à leur péremption et qu’elles appartenaient à un mode de vie désormais révolu. Or, en l’état actuel des choses c’est l’attitude inverse à cette propension à larguer qui devrait prévaloir. Le pire qui pourrait en effet nous survenir serait de ne pas nous préoccuper suffisamment des acquis qui doivent demeurer intangibles et qui nécessitent qu’une vigilance continuelle soit accordée à leur préservation. Et le plus dangereux pour nous serait de sous-estimer la portée des alertes ou de mal déchiffrer celles-ci.

Il est toujours utile de rappeler aux amateurs de l’incantation facile que la qualité du vivre ensemble malien s’est construite en tirant expérience des remous et des affrontements qui ont jalonné notre histoire. Et que le choix intelligent de la tolérance et de la pondération a le plus souvent succédé au tumulte des conflits. Notre pays a certainement la chance rare d’avoir produit, sur presque toute l’étendue de son territoire, une gamme étendue d’amortisseurs sociaux particulièrement précieux dans la gestion des conflits communautaires. L’acceptation réciproque de notre diversité a en effet inspiré des cohabitations originales et produit des mécanismes efficients de gestion traditionnelle des différends. Les acquis de cette régulation socioculturelle continuent d’être essentiels, surtout dans le pays réel et ils s’avèrent même déterminants dans le traitement de certaines situations. Mais ils ne constituent pas une panacée. Et surtout, ils s’érodent sous les assauts conjugués de l’évolution socio-économique, de l’apparition de nouvelles convoitises et de l’affaiblissement des autorités traditionnelles.

FACTEUR DÉSTABILISATEUR. Sur ce sujet, la Fondation Friedrich Ebert a publié, il y a quelques semaines, une très instructive étude intitulée « Les conflits communautaires et les mécanismes de médiation et de réconciliation au Mali ». L’enquête, menée par une équipe dirigée par l’expert Ousmane Kornio, a concerné huit Régions (celles de Ménaka et de Tessalit récemment formalisées n’y figurent pas) et le District de Bamako. Elle a terminé de collecter ses éléments d’étude en septembre 2014. L’un des aspects les plus intéressants du document est qu’il reprend une démarche similaire déjà effectuée dix ans auparavant par le même auteur et dont les résultats bruts ne sont malheureusement pas reproduits dans la récente étude. Cependant, l’équipe des chercheurs fait le constat sans équivoque (et sans surprise) que la situation s’est, depuis, globalement complexifiée et que sous l’effet de la crise politico-sécuritaire enclenchée par les événements de 2012, les contradictions locales se sont aiguisées, les contestations se sont multipliées et les recours à la violence se sont multipliés.

Cette montée des tensions concerne toute l’étendue du territoire national, certes à des degrés divers et à travers des manifestations souvent très différentes. Elle a évidemment été accélérée par le net affaiblissement de l’autorité de l’Etat. Affaiblissement entamé avant la tragédie de 2012, accentué lors de la période d’occupation et maintenu par l’insécurité qui prévaut sur de vastes pans du territoire national. Ainsi en ce qui concerne la Région de Mopti, dernièrement secouée par les événements qui se sont déroulés dans le Karéri, l’étude énumère les frictions nouvelles qu’ont générées les conflits fonciers, ceux autour de la gestion des pêcheries, ceux entre les éleveurs et les populations d’agriculteurs, ceux autour des chefferies et de la désignation des chefs de village.

Facteur déstabilisateur par excellence, la crise de 2012 a notamment encouragé la remise en cause de conventions d’utilisation et d’exploitation de pâturages, les affrontements autour des points d’eau, les enlèvements de bétail, les occupations de certaines anciennes bourgoutières et le réveil des conflits de succession de chefs de village dans les zones occupées. Des équilibres laborieusement élaborés et sur le respect desquels l’Etat avait pour mission de veiller se sont donc trouvés rompus. Les événements meurtriers qui se sont produits il y a quelques jours dans les villages de Koroguiri et de Malimana restituent malheureusement la tragique jonction de diverses tensions. Au point de départ, se trouve un malentendu coutumier (assez répandu, serait-on tenté de dire) entre les éleveurs peulhs et les agriculteurs bamanans, malentendu qui a amené un incident certes violent, mais circonscrit. Au lieu que les protagonistes directs s’emploient à désamorcer la tension par un échange d’explications de bonne foi, des forces belliqueuses se sont mobilisées pour monter une terrible et inacceptable expédition punitive. Cette dernière s’est soldée par un nombre élevé de victimes et provoqué un traumatisme d’ampleur dans la zone.

Il convient de laisser aux enquêteurs le soin de démêler l’écheveau des faits (les versions contradictoires s’entrechoquent en effet) et de situer les exactes responsabilités. Mais déjà, il est possible de prendre acte de certaines réalités. Parmi celles-ci et au-delà même de la sécurisation par les FAMAs de la zone, la nécessité d’organiser le retour effectif de la présence de l’Etat dans le cercle de Ténenkou. Les collectivités de la circonscription ont déjà eu l’occasion d’exprimer le sentiment d’abandon qu’elles éprouvent depuis 2012 et évoquent fréquemment l’exemple édifiant que constitue à cet égard le sanglant épisode survenu dans le village de Doumgoura. Le 18 mars 2013, vingt innocents y avaient été froidement exécutés par les djihadistes et leurs corps balancés dans un puits. Le sentiment d’horreur qu’avait suscité la tuerie n’avait pourtant pas dépassé le cercle de l’émotion locale.



UN PANORAMA ÉDIFIANT. Aujourd’hui, dans cette zone incontestablement à risques et mettant à profit l’absence d’une manifestation active et régulière de l’autorité administrative, se sont installés et ont pris de l’ampleur trois phénomènes négatifs qui interagissent les uns sur les autres : la stigmatisation de certaines collectivités peuhles accusées d’être favorables au fantomatique Front de libération du Macina, la création de milices d’autodéfense et la circulation facilitée des armes légères, sinon de guerre. La forte présence dans cette partie de la Région de Mopti des éléments du MUJAO lors de la période 2012-2013 est à l’origine du premier préjugé, la multiplication des exécutions des responsables locaux par les bandes armées a suscité la naissance de brigades de chasseurs et l’insécurité persistante dans la zone (malgré la présence de l’armée dans la ville de Ténenkou) a encouragé le troisième phénomène.

La rapide réaction de l’Etat à travers l’envoi des missions gouvernementales et la vigoureuse interpellation des présumés auteurs d’actes de violence a certes tracé les premiers et indispensables coupe-feu. Mais le travail sur la durée ne fait que commencer et il serait intéressant d’écouter le diagnostic que les populations feront de la situation à l’occasion de la rencontre de vendredi prochain. Rencontre au cours de laquelle, espérons-le, l’indispensable exercice de vérité prendra le pas sur le forum de récriminations.

Les événements du Karéri valident dramatiquement un plaidoyer que la délégation gouvernementale malienne avait développé avec insistance à l’ouverture du processus de négociations d’Alger. Au chapitre des changements de gouvernance envisagés, avait-elle indiqué, le futur Accord pour la paix et la réconciliation devait améliorer la situation autant au Nord du Mali que dans le reste du pays. Car focaliser l’attention uniquement sur les spécificités du Septentrion perpétuerait des insuffisances constatées et contrarierait l’adhésion des populations des autres zones aux dispositions du futur texte. Remarque dont la pertinence ne devrait pas se discuter, comme le confirme l’étude invoquée plus haut. Les auteurs y dressent un édifiant panorama national des conflits liés à la gouvernance locale depuis ceux amenés par les relations difficiles entre les populations et les services administratifs et techniques locaux jusqu’à ceux suscités par le découpage territorial lors de la décentralisation en passant par ceux concernant les relations des citoyens avec les services de justice. Un peu partout sur le territoire malien, le feu couve donc sous la cendre. Et pour que ne se multiplient pas les brasiers locaux, la présence d’un Etat impartial et pondérateur relève de l’absolue nécessité.

DES COMMENTAIRES ACERBES. Il arrivera certainement un moment où dans sa mise en œuvre, l’Accord fera apprécier son avantage global. Notamment par une instauration intelligente et progressive de la régionalisation qui déléguera aux populations une plus grande maîtrise du futur qu’elles se destinent. En attendant et un an après sa signature, le texte peine encore à faire admettre au Malien lambda qu’il a produit des résultats notables. Les citoyens ordinaires s’intéressent très peu à la comptabilité des petits et moyens pas. L’opinion publique est ainsi faite qu’elle ne retient que les faits à forte signification symbolique. Or en simplifiant à l’extrême les choses, on pourrait dire que l’Accord balance entre deux situations complètement opposées.

L’une incarnant l’importance de ce qui a été obtenu, l’autre reflétant la complexité de ce qui reste à faire. Mais il est à noter que la portée du plus emblématique acquis de l’Accord – la cessation des hostilités entre la Plateforme et la Coordination entérinée par l’accord d’Anéfis – est plus perceptible par les habitants du Nord du Mali que pour ceux du reste du pays. Or, le choix fait par les deux regroupements en faveur du règlement négocié de leurs divergences a éliminé un facteur considérable d’instabilité et renforcé l’espoir d’un retour à la normale. Il faut maintenant prolonger l’effet de cet acquis par une forte implication des ex combattants dans la lutte contre le terrorisme et le narcotrafic.

Malheureusement dans l’esprit de la plupart de nos compatriotes, la symbolique d’Anéfis est nettement supplantée par celle de Kidal. La capitale des Ifoghas reste au centre des polémiques les plus passionnées de l’opinion nationale et pour des raisons qu’il est inutile de rappeler en détails. Tout récemment encore, Kidal a éveillé les commentaires les plus acerbes pour avoir donné l’impression d’avoir usé de duplicité à l’égard du gouvernement pour organiser un forum aux frais des autorités, mais sans accepter la participation de celles-ci. Au-delà de cet épisode, il est évident que la ville continue de composer avec l’influence demeurée quasiment intacte de Iyad Ag Ghaly et avec les menées de l’aile irrédentiste du MNLA. Celle-ci y conserve une totale liberté de manœuvre ainsi que l’indiquent aussi bien la commémoration de la proclamation de l’indépendance de l’Azawad que la destruction d’infrastructures de la MINUSMA.

A bien considérer, le principal acquis d’une année de mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation pourrait bien être le fait que la perception malienne des difficultés de rétablissement de la normale commence à être partagée par les plus importants de nos partenaires. C’est-à-dire par ceux-là même qui demandaient que la cadence du processus de paix soit accélérée, mais qui ont assisté impuissants dans le Comité de suivi de l’Accord à l’enlisement provoqué par l’interminable bataille de représentation que se sont livrée les groupes politico-militaires. Par ceux-là qui ont aussi pu vérifier l’inadaptation du mandat et de l’équipement de la MINUSMA dont l’ampleur des pertes est âprement discutée dans certains pays contributeurs. Par ceux là qui ont également testé l’inanité de vouloir accélérer la normalisation de Kidal en déployant un effort particulier dans la réhabilitation des infrastructures sociales de base.

Les plus lucides des partenaires admettent implicitement le caractère incontournable d’un réexamen des périls qui planent sur notre pays et sur la bande sahélo-saharienne et ils concluront, souhaitons-le, à la nécessité de réévaluer la nature de l’appui qu’ils pourraient apporter. Ceci ne nous exonère nullement de notre responsabilité de faire progresser la situation autant et aussi vite que nous le pouvons. En gardant à l’esprit que l’intangible n’est pas un acquis dont on se gargarise. Mais un viatique dont il faut savoir reconnaitre la fragilité et protéger l’indispensabilité.

S. DRABO
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L’Essor N° 17187 du 17/5/2012

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